Fait divers : Affaire Grégory, une machine a résolu l’énigme !

France Dimanche
Fait divers : Affaire Grégory, une machine a résolu l’énigme !

Trente-deux ans après les faits du meurtre du petit Grégory, un logiciel a réussi là où 
les hommes avaient échoué, comme nous le rappelle notre ancien collaborateur Pascal Giovanelli.

Les hommes sont les jouets de leurs passions et de leurs croyances. Les machines, aussi froides que l’acier, ne font pas de sentiments. Elles se contentent d’analyser les informations dont elles disposent pour en tirer les conclusions qui semblent s’imposer.

Et cette absence d’affect, cette objectivité absolue font leur force. Un atout qui va peut-être leur permettre de trouver l’auteur d’un crime atroce, le meurtre du petit Grégory, qui avait bouleversé la France en octobre 1984. Car c’est un ordinateur équipé du logiciel AnaCrim qui a conduit à l’arrestation de Jacqueline et Marcel Jacob, la grand-tante et le grand-oncle de la victime, trente-deux ans après les faits.

Technologie

Comment a-t-il pu réussir là où gendarmes et policiers se sont cassé les dents ? « Les dossiers sont tellement volumineux, il y a une masse d’informations si importante qu’un cerveau humain ne peut pas tout ingurgiter, a expliqué le lieutenant Léa Jandot, chef du département AnaCrim, sur France Info. Donc ce logiciel nous permet de montrer du doigt certaines incohérences et formuler de nouvelles hypothèses de travail qui sont ensuite fournies aux enquêteurs. »

Créé dans les années 90 à la suite de l’affaire Francis Heaulme, ce service spécialisé dans les enquêtes non élucidées réunit 360 experts armés d’un petit bijou de technologie. Dans le cas présent, ce bel outil numérique aurait permis de réaliser des expertises scientifiques de trois lettres anonymes datées de 1983, qui auraient un lien indissociable avec le courrier de revendication du meurtre, adressé à Jean-Marie Villemin le 16 octobre 1984, et dont l’auteure serait Jacqueline Jacob.

Une autre missive de 1989, menaçant le juge Simon, alors chargé de l’instruction du dossier, serait l’œuvre de Monique Villemin, la grand-mère du petit garçon. Il faut savoir que ce type d’expertise se distingue de l’analyse graphologique, qui vise à établir un profil psychologique et se penche sur la récurrence des termes employés. Si l’on ajoute à cela des incertitudes concernant l’emploi du temps du couple Jacob, le procureur général de la cour d’appel de Dijon, Jean-Jacques Bosc, a estimé avoir assez d’éléments à charge pour mettre en examen les deux suspects pour enlèvement et séquestration suivis de mort, les plaçant en détention provisoire.

Mais le 20 juin, la présidente de la chambre de l’instruction de Dijon a décidé de remettre en liberté les Jacob. Une liberté provisoire sous contrôle judiciaire assortie de deux contraintes. Ils ne pourront pas vivre ensemble ni parler aux médias jusqu’à ce qu’ils soient réentendus par les magistrats. Or si la machine devait en fin de compte réussir là où l’homme a échoué, ce sera sans doute parce qu’elle n’a pas ses faiblesses.

Christine et Jean-Marie Villemin, les parents du petit Grégory

Il suffit pour s’en convaincre d’écouter ce qu’en pense Pascal Giovanelli, qui couvrit cette affaire pour France Dimanche : « Je suis arrivé sur place juste après l’assassinat de Bernard Laroche [abattu par Jean-Marie Villemin, peu après sa libération contre l’avis du ministère public, ndlr], en 1985, pour seconder Alain Salmon, se souvient notre ancien collaborateur. Et déjà les avocats, les gendarmes, mais aussi les journalistes de la presse écrite ou de la radio s’étaient forgé une conviction quant à l’identité du coupable. Chaque titre, chaque station était pro-Laroche ou pro-Villemin. Et lorsque l’on a une conviction, tous les éléments sont sortis de leur contexte, il n’y a plus d’objectivité. Cela crée une atmosphère délétère. »

Concernant l’empressement des gendarmes à trouver le coupable, il précise : « Deux ans environ avant le meurtre, il y avait eu deux viols suivis de meurtres à Golbey, près de Lépanges-sur-Vologne. Les gendarmes avaient été dessaisis de ce dossier, qui avait été repris par la police judiciaire de Nancy. Du coup, après la fin tragique de Grégory, ils ont dit au juge : “Nous sommes capables de résoudre cette affaire." Et c’est vrai que, surtout en milieu rural, ils ont l’avantage d’être proches des gens, à leur contact, ce qui leur donne une véritable légitimité.

Mais tout est allé de travers. D’abord, ils ont fait réaliser l’expertise de l’enveloppe contenant la lettre de revendication du meurtre envoyée à Jean-Marie Villemin par un ancien gendarme, qui a répandu de la poudre noire sur cette pièce à conviction, la rendant inutilisable. Ensuite, ils ont confié l’analyse graphologique de la lettre en question à une spécialiste indépendante, alors que l’expert doit être choisi par le juge parmi ceux agréés par les tribunaux. »

Manipulations

Pour autant, Pascal Giovanelli ne croit pas à une guerre des services : « Quand la police judiciaire a finalement repris l’enquête, elle n’a pas cherché à prendre le contre-pied de celle menée par les gendarmes. Les choses ne sont pas aussi manichéennes que ça. »

Il met aussi en exergue les risques de manipulation dont peuvent être victimes les journalistes qui deviennent proches des principaux protagonistes d’un dossier à force de les côtoyer : « Alors qu’au début toutes les portes se fermaient, j’ai réalisé plusieurs interviews, et comme nous nous contentions de rapporter les faits, France Dimanche est devenu crédible, on acceptait volontiers de nous parler. J’ai travaillé cinq ans sur cette affaire, en restant toujours sur cette ligne. Mais cela n’empêche pas que dans les familles, on pouvait être considérés comme des alliés ou des ennemis. C’était aussi ce qui guidait le choix des interlocuteurs par les avocats. Et, avec le temps, j’ai noué des liens d’amitié avec Marie-Ange Laroche. Alors, quand elle me dit : “Je te jure que mon mari est innocent", j’ai beau savoir que des soupçons pèsent contre lui, je la crois. Et quoi qu’il puisse arriver, elle restera mon amie. C’est une question de principe. »

Que pense-t-il des derniers rebondissements de ce drame qui, plus de trois décennies après les faits, continue de passionner tout un pays ? Notre reporter n’est pas persuadé qu’ils permettent la manifestation de la vérité : « Il y avait de la jalousie, et, surtout dans le monde rural, il suffit d’un rien pour que l’on envoie des lettres anonymes. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un écrit : “Je vais te tuer" qu’il va passer à l’acte. Ce genre de courrier est l’exutoire des faibles. »

Le point de vue de Marie-Ange Laroche, que Pascal Giovanelli a eue au téléphone le jour de notre rencontre, est plus laconique : « Elle pense que l’on va rouvrir la plaie de sa souffrance et veut qu’on lui foute la paix ! » Car si l’affaire Grégory a fait deux morts, elle a aussi détruit ses survivants. Et il n’existe aucune machine qui puisse les réparer.

Claude Leblanc

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