Johnny Hallyday : 2 - Le temps des copains

France Dimanche
Johnny Hallyday : 2 - Le temps des copains

Devenir une idole du jour au lendemain, quand on a à peine 20 ans, cela peut vite devenir un poids terrible et une source d’angoisse. Pour supporter cette charge, Johnny Hallyday avait trouvé le remède souverain : ses copains. Mais alors, quels copains !

C’était un gamin qui avait peur du noir !

Dès le début des années 60, son succès est si fulgurant, Johnny Hallyday est si vite érigé au rang de symbole absolu de toute une jeunesse avide de nouveauté que l’on finirait par en perdre de vue une chose essentielle : lui-même est alors âgé d’à peine 20 ans !

Tout juste sorti de l’adolescence, le voici placé brutalement sous le feu des regards et des jugements de tout un pays, obligé d’endosser des responsabilités énormes, et d’abord celle de sa propre gloire, cette charmeuse versatile toujours prête à laisser tomber du jour au lendemain celui qui aurait le malheur de la décevoir.

Petites culottes

Une charge si soudaine, on comprend bien que Johnny ne saurait y faire face tout seul, à un âge où la plupart des hommes n’ont guère à se soucier que de ce qu’ils vont faire le week-end suivant. Il a un double besoin, vital : qu’on le soulage le plus possible du fardeau, d’une part ; qu’on l’aide à se sentir jeune et insouciant lui aussi, d’autre part.

C’est précisément ces deux rôles essentiels que remplit la bande de Johnny, la garde rapprochée de l’idole. C’est la raison d’être des copains. Avec eux, il n’est plus « l’idole des jeunes », il redevient Jean-Philippe et peut se laisser aller à son tempérament de gamin turbulent.

« Ça n’était pas toujours très fin, les divertissements de la bande ! se souvient Hugues Vassal qui, tout en faisant partie du groupe, pouvait tout de même l’observer plus froidement, avec le regard d’un « vieux » de presque 30 ans.

Par exemple, pour vous situer le niveau de gaminerie, Johnny avait décidé de lancer ce qu’on appelait le “concours de petites culottes". Au début de la journée, chacun sortait de sa poche les culottes des filles qu’il avait réussi à séduire la veille : celui qui en avait le plus payait la première tournée d’apéros... »

Vassal évoque aussi le plaisir que prenaient Johnny Hallyday et les autres, lorsqu’ils se trouvaient dans un grand hôtel, en province, à mélanger toutes les paires de chaussures que les autres clients avaient disposées devant leurs portes respectives pour qu’on les leur cire !

« Une nuit, raconte encore Vassal, je ne sais plus qui avait eu l’idée, peut-être bien Johnny lui-même, on a téléphoné au room service et on a commandé le plus copieux et le plus cher de tous les petits déjeuners pour tous les autres clients de l’hôtel ! Quand on a commandé les nôtres, le lendemain matin, évidemment le personnel s’arrachait les cheveux en cuisine et il n’y avait plus rien à manger pour nous. Si bien que Johnny s’est payé le luxe de les engueuler avec une belle indignation ! »

On aurait tort de s’arrêter à ces anecdotes, en effet, pas toujours très finaudes, et d’émettre un jugement basé uniquement sur elles. Elles sont le reflet de quelque chose de plus profond et de plus essentiel. Une fois encore, c’est Vassal qui éclaire le mieux la situation : « À cette époque, Johnny, c’était un gosse qui avait peur du noir. Il craignait la nuit. C’est pour ça qu’il avait besoin de rester éveillé jusqu’à l’aube et d’avoir toujours sa bande de copains autour de lui. »

Grosses bagnoles

La bande, les potes... on en revient toujours à eux, en particulier dans ces années-là, au début des sixties. On pourrait d’ailleurs les répartir plus ou moins en deux groupes distincts, mais avec de nombreuses « passerelles » entre eux : les copains qui organisent et sécurisent d’un côté, ceux qui déconnent et désamorcent les tensions de l’autre.

Dans le premier groupe, on trouve tout naturellement ceux à qui l’on donne ce titre un peu ronflant de « managers ». Comme ils étaient chargés d’organiser et de veiller sur les tournées, ils faisaient de fait partie intégrante de la tribu, à commencer par le tout premier d’entre eux, un certain Georges Le Roux.

« Georges, il devait être à peine plus âgé que moi, se souvient Vassal. Mais il se la jouait pas mal : grosses bagnoles américaines, gros cigares, etc. C’était une sorte de Bruno Coquatrix ! Il était arrivé dans le show-biz parce qu’il était ami depuis la guerre avec Raymond Marcillac, le tout-puissant producteur télé de cette époque. C’était un bon manager, mais il finissait toujours par se faire piquer tous ses poulains ! C’est ce qui lui est arrivé avec Hallyday, quand Johnny Stark est arrivé... »

Pour la petite histoire, signalons qu’un jour Georges Le Roux demande à Hugues Vassal : « Dis donc, j’ai mon fils qui s’emm... dans son boulot actuel : tu pourrais pas lui trouver quelque chose qui soit plus dans ses cordes ? » Vassal a alors décroché son téléphone pour appeler son directeur de la rédaction. Et c’est comme ça qu’Yves Le Roux est devenu photographe à France Dimanche, pour y finir sa carrière, il n’y a pas si longtemps, comme chef du service photo ! On le salue au passage...

Mais revenons aux années 60, à Johnny Hallyday et à sa bande de joyeux lurons. Le fait d’être propulsé manager de l’idole n’impliquait pas forcément que l’on renonce à tout esprit de « déconnade ». C’est ainsi que l’un des amusements favoris de Gill Paquet, dans les soirées, était de couper en deux les cravates de ceux qui avaient eu la mauvaise idée d’en porter une ce jour-là ! Ça ne l’empêchait nullement d’être un vrai professionnel... mais toujours avec une paire de ciseaux dans sa poche !

S’il en est un qui ne devait pas approcher de trop près notre coupeur de cravates compulsif, c’est bien Jean-Pierre Pierre-Bloch, que nous avons déjà brièvement évoqué la semaine dernière.

« Ah ! lui, c’était un vrai fils de famille, toujours habillé bon chic bon genre ! s’exclame Hugues Vassal. C’était très pratique, d’ailleurs : quand il s’agissait d’arrondir les angles avec un hôtelier qui voulait foutre tout le monde dehors en pleine nuit, c’est lui qu’on envoyait négocier... »

Vassal dit aussi que Johnny avait des rapports assez ambigus avec ce « fils de famille » : « D’un côté, comme je l’ai déjà dit, il se servait volontiers de Jean-Pierre comme d’un souffre-douleur, mais toujours gentiment ; et, d’un autre côté, il était au fond très flatté qu’un type aussi élégant, cultivé, bourgeois, s’intéresse à lui, le fils de saltimbanques, le gosse de la place de la Trinité. Ça le flattait... »

Toujours ce côté gamin dont nous parlions ; qui traite de « fayot » le premier de la classe, mais ne peut s’empêcher de l’admirer secrètement et de rechercher son amitié. Au point d’avoir, en ces années de jeunesse, habité durant deux ans chez Pierre-Bloch, à Neuilly, et d’en avoir fait le parrain de son fils David !

Il faut dire que ce garçon, tout bourgeois et propre sur lui qu’il était, ne manquait pas de ressources pour tirer la troupe des mauvais pas où elle se fourrait régulièrement... y compris lorsqu’il lui fallait pour cela plonger dans l’illégalité !

Rendons la parole à Vassal : « Il [Jean-Pierre Pierre-Bloch, ndlr] me racontait encore hier, au téléphone, comment, Johnny Hallyday devant aller chanter en Espagne, ils s’étaient tous retrouvés bloqués à la frontière, l’un des membres de la bande ayant oublié son passeport, indispensable à cette époque pour franchir les Pyrénées. Mon Jean-Pierre ne s’est pas démonté : il a vidé une malle des costumes de scène de Johnny qu’elle contenait et y a fait entrer le “sans-passeport" qui, par chance, était plutôt petit ! Et ils ont passé la frontière comme ça, avec leur clandestin dans la malle ! »

Clandestin

Le clandestin en question n’était autre que le secrétaire de la star, à savoir Ticky Holgado. Si Pierre-Bloch parvenait à dégoupiller les grenades parce qu’il savait parler et « présentait bien », d’autres le faisaient avec la même efficacité, mais avec des armes radicalement différentes. Ceux-là avaient en quelque sorte un double couvre-chef : la casquette très sérieuse (en apparence...) de « secrétaire », et le bonnet à clochettes de fou du roi. C’était le cas du futur acteur.

« Ticky est l’un des plus grands “déconneurs" que j’aie connus, affirme Hugues Vassal : il n’arrêtait jamais ! Ce n’était pas toujours d’une grande finesse, mais ça fusait à jet continu. Cela dit, il était très utile, parce qu’il n’avait pas son pareil pour désamorcer les bagarres que Johnny s’ingéniait à provoquer : uniquement avec son humour et sa drôlerie. Mais pas seulement ça. Je me souviens de ce jour, en Argentine, où nous devions nous rendre de Buenos Aires à Mar del Plata, où Johnny avait un gala.

Démineur

« Quand on est montés dans le DC3 qui devait nous emmener, inutile de le cacher : on était tous fin bourrés ! Or, voilà qu’une tempête se prépare et que l’on nous annonce que le zinc ne peut pas décoller pour l’instant : aussitôt, Johnny Hallyday s’est mis à injurier le commandant de bord en le traitant de tous les noms, allant même jusqu’à sous-entendre qu’il aurait des mœurs sexuelles spéciales... ce qui n’est jamais très recommandé avec les Sud-Américains ! Résultat prévisible : le commandant, outragé, a déclaré que l’avion ne décollerait pas, ni maintenant ni plus tard... et il s’est barré !

« Évidemment, pour Johnny Hallyday, qui avait un contrat à honorer à Mal del Plata, c’était une catastrophe. Eh bien, c’est Ticky qui s’est dévoué. On l’a vu descendre du DC3 et aller parlementer avec le commandant de bord, en faisant de grands gestes. À un moment, il a même esquissé devant lui un petit pas de danse sur le tarmac ! Le résultat est que le commandant de bord est revenu prendre sa place dans la cabine. On n’a jamais su comment Ticky l’avait embobiné, mais c’est un pilote détendu et même hilare qui nous est revenu ! »

Ce double rôle de « démineur » et de fou du roi, le remplaçant de Ticky Holgado au rang de secrétaire de Johnny le remplissait lui aussi très bien, quoique de façon différente. Il s’appelait Jean Chrysostome Dolto, mais on le connaît évidemment mieux sous le pseudonyme de Carlos.

Si l’on en croit Long Chris, un autre membre « historique » de la bande, Johnny a connu Carlos dès l’été 1960, alors qu’il devait chanter durant deux semaines au Vieux-Colombier de Juan-les-Pins, station balnéaire de la Côte d’Azur où les parents du futur Carlos avaient une villa... villa dans laquelle Johnny Hallyday, avec la complicité du fiston de la maison, prit rapidement l’habitude de ramener les filles draguées le matin même sur la plage, afin de « conclure » ! On se demande, si elle l’avait su, comment la très digne et très sérieuse Françoise Dolto aurait pris la chose...

« Carlos aussi, comme Ticky, était toujours prêt à faire le clown, raconte Vassal. Mais, à côté de ça, c’était un type brillant, profond, un véritable humaniste. Et puis, quelle élégance ! Jamais je ne l’ai entendu répandre le moindre ragot sur qui que ce soit. Et je puis vous assurer que, contrairement à beaucoup d’autres que je ne nommerai pas, il n’a jamais fait un sou sur le dos de Johnny... »

Feu

En tant que secrétaire, là encore comme Holgado l’avait fait avant lui, Carlos était également très doué pour « éteindre le feu ». Sauf que lui, au moins une fois, il l’a fait au sens propre.

Vassal raconte : « J’étais parti avec toute la bande pour Téhéran : France Dimanche voulait un reportage sur le gala privé que Johnny devait y donner pour le neveu du shah d’Iran. Ce jeune homme, grand fan, avait payé une petite fortune afin d’avoir son idole rien que pour lui. Le concert avait lieu dans une immense salle d’un palais somptueux, on était tous assis par terre, à la mode orientale, sur des tapis qui devaient valoir chacun son poids en or ou à peu près. C’était en hiver et un feu de bois crépitait dans une immense cheminée.

Et voilà qu’à un moment, sans doute à cause d’un brandon parti de la cheminée en question, l’un de ces tapis commence à prendre feu ! Mais à vraiment prendre feu, au point que les flammes étaient à deux doigts de se propager aux autres tapis qui le bordaient ! Eh bien, le seul qui a gardé son sang-froid c’est Carlos, et il a maîtrisé les flammes tout seul comme un grand ! Il n’empêche que le tapis était foutu... »
Cette fois-là, donc, grâce à la présence d’esprit et à l’efficacité de Carlos, le drame a été évité. Mais le destin attend son heure, qui, hélas, ne va pas tarder à venir. Car Johnny Hallyday, en ces années de prétendue insouciance, va bientôt devoir affronter de véritables tragédies, dont certaines déboucheront sur la mort...

Pierre-Marie Elstir

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