Mireille Darc : Son cœur s’est arrêté d’avoir trop aimé !

France Dimanche
Mireille Darc : Son cœur s’est arrêté d’avoir trop aimé !

Douloureusement marquée par son enfance de petite “bâtarde”, Mireille Darc n’aura cessé 
de rechercher l’amour des hommes et de donner le sien à tous les déshérités de la vie.

«Le cœur quand ça bat plus / C’est pas la peine d’aller chercher plus loin / Faut laisser faire et c’est très bien » : c’est ce que gémissait Léo Ferré en 1970, dans Avec le temps. Le cœur de Mireille Darc, lui, aura battu vite et fort, durant toute sa vie.

Et c’est seulement dans la nuit de dimanche à lundi dernier qu’il a rendu les armes, ce cœur épuisé d’avoir tellement aimé : à 79 ans, l’irrésistible Grande Sauterelle a fermé les yeux à jamais.

Mais Mireille symbolise tellement la vie qu’on ne peut pas, lorsqu’il s’agit d’elle, laisser à la mort le dernier mot. Et c’est donc sa merveilleuse existence, débordante de joie, que nous allons évoquer. C’est le plus bel hommage que nous puissions lui rendre.

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Pourtant, on ne peut pas dire que le destin ait fait de cadeau à la petite Mireille Aigroz, née le 15 mai 1938 à Toulon : dès l’enfance, elle souffre d’un cruel manque affectif, dont elle ne découvrira la raison que plus d’un demi-siècle plus tard : Marcel Aigroz n’est pas son vrai père ! Sa mère est tombée enceinte suite à un « faux pas » commis avec un homme mort en Indochine, durant la Seconde Guerre mondiale.

C’est pour cela – mais la fillette ne peut pas encore le comprendre – que Marcel, lorsqu’il est en colère contre elle, a la cruauté de la surnommer « la bâtarde ». « Mon père ne pouvait pas me supporter puisque je représentais une infidélité, analysera Mireille bien plus tard. Et ma mère ne pouvait pas m’aimer, puisque c’était comme si elle aimait un autre homme à travers moi. »

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Ce manque d’amour, l’enfant va en souffrir énormément, en son cœur déjà meurtri de naissance, car elle est venue au monde avec une grave malformation cardiaque. C’est peut-être pour cela que, montée à Paris et devenue Mireille Darc, elle va décider de « bouffer de la vie ». Et faire en sorte que ce cœur malformé batte plus vite et plus fort que celui des autres ! Elle va gagner sur les deux tableaux.

Les hommes, évidemment, il ne lui est pas bien difficile de les attirer, avec son sourire à la fois mutin et candide et sa silhouette de rêve ! Ce l’est encore moins par la suite, quand elle commence à briller en tant qu’actrice. Seulement, Mireille ne cherche pas à jouer les séductrices. Les hommes, elle ne les veut pas à ses pieds mais tout contre son cœur sevré d’amour parental. Ce qu’elle cherche, c’est un amour assez grand pour le remplir. Bref, malgré son succès grandissant, Mireille Darc ne parvient pas à combler les carences dont souffre depuis toujours Mireille Aigroz.

“Trop beau pour moi"

Pas encore... En 1968, elle accepte le rôle féminin principal d’un film de Jean Herman, Jeff. D’un certain point de vue, on peut dire que c’est le film le plus important de toute sa vie, puisqu’elle y fait la connaissance d’un nouveau partenaire masculin : Alain Delon. La star de Plein soleil et du Guépard traverse l’une des pires périodes de sa vie, entre sa séparation d’avec sa femme, Nathalie, et l’affaire Markovic qui vient d’éclater. Il est donc à mille lieues de songer à une nouvelle idylle.

Pourtant, face au charme lumineux et simple de cette jeune comédienne blonde, il baisse aussitôt son bouclier et rend les armes. Pour la première fois, il se retrouve face à quelqu’un qui l’accepte tel qu’il est, quelqu’un qui n’a pas l’intention de le changer. Quelqu’un qui n’aspire qu’à une chose : l’aimer totalement, sans restriction. La tâche n’est pas facile, mais Mireille s’y consacre avec ferveur : « Alain était trop pour moi, trop beau, trop célèbre, racontera-t-elle plus tard. On se dit : je ne peux pas entrer dans la vie de cet homme. Et puis, comme il était dans un moment critique de sa vie, j’ai senti qu’il pouvait avoir besoin de moi. »

Elle a tout de suite mesuré le poids de la souffrance qui hante le comédien du matin au soir : « Alain n’a pas le goût du bonheur, affirmera-t-elle bien des années après. Même s’il est heureux dans la minute, il pense déjà avec effroi à la minute qui suit, et cette angoisse le mine... Dès nos premières rencontres, j’ai compris cela, et j’ai eu ce désir de lui transmettre ma joie de vivre, ma foi, mon optimisme. »

Mireille et Alain Delon

Tout cela va s’incarner dans les maisons qu’elle va décorer avec passion : Aix-en-Provence, Douchy, dans le Loiret, ou encore l’immense appartement du quai Kennedy, à Paris. Car lorsqu’Alain lui demande si elle se sent capable d’aménager la maison d’Aix, Mireille comprend fort bien que, en fait, il lui demande si elle se sent capable de lui construire un foyer... et elle répond oui ! Elle va même prévoir deux pièces qui pourraient devenir des chambres d’enfants...

Ces deux pièces n’auront malheureusement pas cette destination : les médecins lui font comprendre que, en raison de ses problèmes cardiaques, donner la vie reviendrait à mettre la sienne en grand danger. Le coup est très dur pour elle et pour Alain. Si dur que c’est finalement leur amour qui est mis à mort : après quinze ans de passion, ils se séparent, la mort dans l’âme et le cœur lourd de regrets.

Ils se séparent mais ne se déchirent pas, bien au contraire : la fin de leur vie conjugale marque la naissance d’une amitié indestructible, à laquelle seule la mort pourra mettre fin. « On ne s’est jamais quittés complètement, dira Mireille, trente ans plus tard. Je crois aujourd’hui que tout ce temps qu’on n’a pas passé ensemble, on l’a d’une certaine manière quand même passé ensemble. »

Et Delon, de son côté, en 2007 : « Mireille reste quelque part la femme de ma vie parce que nos liens, notre complicité sont inoxydables. Nous avons vécu tant de choses ensemble ! C’est sans doute, parmi toutes les femmes que j’ai aimées, celle qui me connaît le mieux. »

Mireille et son mari Pascal Desprez

Mais l’amitié, même aussi belle que celle-là, ne pouvait suffire à combler le cœur de Mireille. Ce cœur qui lui interdisait de fonder une famille ! Ce cœur dont elle aspire toujours, plus que jamais, d’en faire le don total à un homme. La comédienne connaîtra en effet d’autres amours. Avec Pierre Barret d’abord, le patron d’Europe 1, qu’elle aura la douleur de perdre en 1988. Et, enfin, avec le seul homme qu’elle ait épousé, l’architecte Pascal Desprez, rencontré en 1996, et qui a eu la douleur de la veiller durant les trois jours qu’elle a passés dans le coma, avant de s’éteindre lundi dernier.

Humanité

Mais même eux, chacun à son tour, n’ont pas suffi à étancher complètement la soif d’amour qui possédait Mireille. Il lui fallait aimer plus large encore. C’est pourquoi, à partir des années 90, alors que le cinéma la boude un peu, Mireille va se lancer dans la réalisation de documentaires, avec toujours un regard chargé d’humanité et de tendresse envers ceux qui souffrent : sans-abri, prostituées, détenues des prisons...

Elle se dépense sans compter pour tous ces mal-aimés, sans trop se soucier de sa propre santé, laquelle est pourtant de plus en plus alarmante : personne n’a oublié qu’il y a un peu moins d’un an, Mireille a fait trois hémorragies cérébrales, dont la dernière l’a menée à la mort.

La mort, aujourd’hui, a eu le dernier mot, comme elle l’a toujours. Est-elle victorieuse pour autant ? Non ! Car ce qui demeure en chacun de nous, quand on se murmure à soi-même ce nom, Mireille Darc, c’est l’image toujours vivante d’une femme dont le cœur vacillant aura pourtant battu durant près de huit décennies au rythme de l’amour fou.

Valérie Bergotte

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