Béatrice : “Ex-sympathisante FN, je suis tombée amoureuse d’un migrant !”

France Dimanche
Béatrice : “Ex-sympathisante FN, je suis tombée amoureuse d’un migrant !”

Tout séparait cette Française de ce réfugié iranien. Jusqu’à cet improbable coup de foudre dans la jungle de Calais. Si bien que la jeune femme, ex-sympathisante FN, l’a aidé à traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Un acte désintéressé qui a conduit Béatrice aujourd’hui devant la justice…

Béatrice Huret, Calais (Pas-de-Calais)

«J’étais la dernière personne au monde à m’imaginer un jour en garde à vue, fichée S, à serrer dans mes bras avec passion un migrant iranien sur une plage de Calais. Et pourtant...

Avant ma rencontre avec Mokhtar, j’avais vécu vingt ans avec mon mari. Une relation destructrice. À cause de sa jalousie maladive, il ne m’autorisait aucune sortie. Comme lui, je votais Front national. Je n’étais pas franchement raciste, mais inquiète de tout ce que j’entendais : on était envahis, les migrants nous piquaient notre travail et avaient plus de droits que nous. Maintenant que je connais la réalité, c’était tellement absurde de penser ça...

Après le décès de mon époux en 2010, je n’ai pas cherché de nouvelle relation. Je vivais avec mon fils et ma mère, je travaillais comme formatrice pour adultes. Puis tout a basculé en février 2015. En quittant ma salle de cours, j’ai croisé un jeune migrant exténué et gelé. Il cherchait la “jungle", et j’ai décidé de l’y conduire. Je ne m’étais jamais aventurée là et ce que j’ai vu m’a sidérée. Des milliers de tentes de fortune plantées sur un immense terrain vague, des grappes d’êtres humains frigorifiés, portant des chaussures trouées, parfois avec un sac-poubelle sur le dos, et des gosses dépenaillés pataugeant dans la gadoue.

Sur la route du retour, j’ai réfléchi à une façon d’aider ces pauvres gens. Rapidement, je me suis rapprochée d’un mouvement citoyen, Belgium Kitchen, qui acceptait les bonnes volontés pour éplucher les légumes, faire la vaisselle, tout ce qui pouvait aider à fournir des repas chauds aux réfugiés. En parallèle, j’ai récolté des vêtements et des chaussures.

Ma rencontre avec Mokhtar a eu lieu en mars 2016. Il faisait partie du groupe des neuf Iraniens qui s’étaient cousus la bouche en signe de protestation contre les conditions de vie dans la jungle. Les familles étaient entassées, il fallait se lever à 3 h du matin pour pouvoir prendre une douche de six minutes, ils ne mangeaient pas à leur faim. Dès que je suis entrée dans leur tente, je l’ai vu. Je suis “tombée" dans son regard si doux.

J’ai appris plus tard qu’il avait fui l’Iran parce qu’il avait abandonné l’islam au profit de la religion chrétienne. Impensable pour le gouvernement en place. Il risquait des poursuites, voire la mort. Je ne pensais pas le revoir, mais deux mois plus tard, plusieurs Iraniens ont eu à faire à un passeur véreux qui les a dépouillés. Ils ne pouvaient plus retourner dans la jungle et cherchaient un hébergement. J’ai accepté de les dépanner pour quelques jours.

Mokhtar et Dara sont finalement restés un mois. Ma mère et mon fils ont été très compréhensifs. Un profond lien de respect et d’amitié s’est créé entre eux. Comme je le raconte dans mon livre ("Calais mon amour", éditions Kero), c’est là que, grâce à Google traduction, nous avons appris à nous connaître et à nous aimer. Il m’a tout de suite parlé de son naufrage en Méditerranée.

Durant deux semaines, il a parcouru à pied le trajet entre l’Iran et la Turquie. Puis il s’est fait arrêter et jeter en prison, sans être nourri pendant une semaine, avant d’être relâché dans le froid et la pluie. Il a ensuite embarqué dans un bateau bondé au départ de la Grèce. Il a vu des gens se noyer sous ses yeux sans pouvoir leur porter secours. Entre Téhéran et Calais, il a vécu quatre mois d’enfer.

Vérité

Mais Mokhtar avait toujours en tête de partir en Angleterre pour y trouver un emploi. Professeur de persan en Iran, il espérait juste avoir une situation stable et être en sécurité. Après plusieurs tentatives de passage dans des camions, il a eu l’idée d’acheter un bateau pour traverser les 50 km qui le séparaient du Graal. Acquis sur le Net pour 1.000 euros, le bateau de plaisance flottait, c’était déjà ça ! Mais j’étais inquiète.

Une nuit de juin, à 4 h du matin, j’ai déposé Mokhtar et deux amis à lui sur une plage près de Calais. J’étais persuadée de le voir pour la dernière fois. Un si petit bateau serait englouti s’il croisait un des nombreux porte-containers sillonnant ce bras de mer. Sans compter qu’ils risquaient de se faire arrêter par la police avant d’atteindre les eaux anglaises. Jusqu’au lendemain à 18 h, je restais fébrile devant mon ordinateur en espérant avoir de bonnes nouvelles.

Puis une dépêche est tombée ! “Trois migrants iraniens ont été secourus par les gardes-côtes anglais." Mokhtar avait réussi, j’étais tellement heureuse pour lui. Dès que j’ai pu, je suis allée le rejoindre là-bas. Notre histoire continuait malgré la distance. Mais tout cela avait un prix...

Le 18 juin 2016, j’ai été placée en garde à vue et accusée “d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France en bande organisée" et “mise en danger de la vie d’autrui". Or j’étais seule, je n’ai perçu aucun argent pour aider Mokhtar et c’était son souhait de partir dans ces conditions. Jugée en juin dernier, j’ai été reconnue coupable mais dispensée de peine.

Malheureusement, le parquet a fait appel. Je suis donc dans l’attente d’une nouvelle audience. Malgré tout, si je devais le refaire, ce serait sans hésiter. Mokhtar m’a rendu le goût de l’amour oublié et, plus précieux encore, le goût de la vérité. »

Marine Mazéas

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