France Gall : Elle était la petite fiancée pop des Français

France Dimanche
France Gall : Elle était la petite fiancée pop des Français

France Gall, devenue très tôt une icône de la chanson, va sortir de la vague yé-yé le cœur brisé…

Avec sa voix et son swing particuliers, sa beauté à la fois douce et piquante, il semblait aller de soi que France Gall devienne un jour chanteuse. C’était une enfant de la balle, avec des parents artistes.

Son père, Robert, est un ancien chanteur lyrique devenu auteur des Amants merveilleux, chanté par Édith Piaf, et de La mamma, titre culte du répertoire de Charles Aznavour, notamment.

Sa mère, Cécile Berthier, descend d’une prestigieuse lignée de musiciens, puisqu’elle est la fille du cofondateur des Petits chanteurs à la croix de bois...

À la maison, les amis qui défilent s’appellent Claude Nougaro, Maurice Chevalier, Hugues Aufray, Marie Laforêt...

Rien de plus normal donc que « Babou », surnom donné depuis sa plus tendre enfance et qui lui collera toujours à la peau, commence très jeune, vers 5 ans, à apprendre le piano, avant de s’attaquer à la guitare à 11 ans. Pas étonnant non plus qu’à l’adolescence, elle forme avec ses deux frères un petit groupe qui se produit l’été sur les plages.

Mais dans la tête de celle qui s’appelle encore Isabelle, il n’est pas question de se projeter dans une vie d’adulte et de transformer une distraction en métier, avec toutes les contraintes que cela implique. Il faut dire que quand son père lui écrit ses premiers titres au printemps 1963, elle n’a que 16 ans !

Un âge bien tendre pour commencer à affronter les exigences d’une activité professionnelle... D’ailleurs, Babou n’est pas du tout emballée à l’idée de devenir chanteuse. Il faudra l’intervention d’un très grand monsieur, Charles Aznavour en personne, pour qu’elle accepte de franchir le pas : « Robert Gall avait amené sa fille à Bruxelles pour que je la pousse à chanter, racontait l’interprète de La bohème, invité du 20 heures de Laurent Delahousse, le 7 janvier dernier. Elle ne voulait pas chanter, mais lui trouvait qu’elle avait une voix merveilleuse. Heureusement, elle a finalement accepté après avoir vu mon spectacle, et elle a fait une carrière extraordinaire. »

“Le petit caporal"

Une carrière qui démarre sur les chapeaux de roues dès 1963 où sa première chanson, Ne sois pas si bête, devient immédiatement un succès ! Certes, la jeune fille enrage de devoir abandonner son prénom, Isabelle, pour celui de France, qu’elle trouve trop dur, à cause de la popularité dont jouit alors Isabelle Aubret.

Son père la surnomme « le petit caporal », du fait de son caractère bien trempé. Puisqu’elle a finalement décidé de se lancer dans la chanson, elle doit en assumer les aléas. À cette époque, Serge Gainsbourg, auteur-compositeur très doué mais peinant à occuper le devant de la scène, lui écrit plusieurs titres bien classés au hit-parade, comme Laisse tomber les filles. « J’aimais les mots et le style de Gainsbourg, il était le plus moderne, je chantais ses chansons avec plus de plaisir que les autres», confiera France Gall, des années plus tard, à Gilles Verlant.

Fin 1964, Sacré Charlemagne, dont le texte est écrit par son père et la musique signée Georges Liferman, la consacre chanteuse préférée des enfants, avec un vinyle qui se vend à plus de 2 millions d’exemplaires dans le monde ! Pourtant, France a enregistré ce titre contre son gré. Elle ne l’aime pas. Et en 1965, elle retrouve avec joie Gainsbourg, qui lui taille un vêtement sur mesure : Poupée de cire poupée de son. Avec ce tube, elle remporte, pour le Luxembourg, le grand prix de l’Eurovision et devient la petite fiancée pop de tous les Français !

De tous les Français, sauf un. Une autre star : Claude François...
Car en 1964, la ravissante jeune femme est tombée follement amoureuse. Une rencontre coup de foudre qu’elle avait raconté à France Dimanche en 1967 : « C’était au mois de mai 1964, à Boulogne-sur-Mer, où Claude et moi faisions ensemble une émission de radio. Ce n’est que deux mois plus tard que je devais le revoir. Après son spectacle, je suis allée en compagnie d’autres amis le voir dans sa loge. Nous sommes restés près d’une heure avec lui et, pendant cette heure, pas une seconde nos regards ne se sont quittés. »

Les deux jeunes gens sont si amoureux qu’ils passent des heures au téléphone quand ils sont éloignés l’un de l’autre. « Il m’appelait vingt fois, trente fois, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, avait confié France. Un jour, il est venu voir mes parents. Claude voulait m’épouser. »

Mais papa Gall s’y oppose. Sa fille est trop jeune. Et le chanteur est déjà marié à Janet Woollacoot ! C’est donc en secret que les amants se retrouvent, pour une idylle qui durera un an. Hélas, le côté possessif et la jalousie de Claude auront raison de cette histoire d’amour, le 20 mars 1965. « Le soir du Grand prix de l’Eurovision, quand on m’a annoncé ma victoire, j’ai sauté sur le téléphone pour prévenir Claude. Il m’a répondu d’un ton sec : “C’est très bien, mais pour nous c’est fini. Tu as gagné, mais tu m’as perdu." »

“Comme d’habitude"

Ils se verront encore jusqu’en 1967, mais rien ne sera plus comme avant. Quand France rompt définitivement avec lui, Claude est fou de douleur. Un sentiment qu’il traduira magnifiquement dans la chanson Comme d’habitude, qu’il coécrit avec Gilles Thibaut et cocompose avec Jacques Revaux. « Claude m’a dit que cette chanson m’était adressée... peut-être pour m’émouvoir. Mais je ne vois pas le rapport entre le texte et notre rupture. Parce que le monstre que décrit la chanson, ce n’était pas moi », dira-t-elle à L’Express en 2004.

Même si l’artiste ne se reconnaît pas, cette bouleversante chanson d’amour qui lui est adressée, et qui sera chanté par une myriade d’interprètes dans tous les pays, à toutes les époques, est un message personnel qu’elle ne pourra éviter d’entendre et qui lui rappellera à tout jamais cet amour...Mais si France assume sa séparation, une nouvelle épreuve l’attend. Une épreuve qu’elle va vivre comme une terrible humiliation. En 1966, son compositeur préféré lui a en effet « fabriqué » une nouvelle chanson : Les sucettes.

“Les sucettes"

« Quand Gainsbourg a écrit la petite chanson, je me voyais aller acheter ma sucette, avait-elle confié au Parisien en 2015. C’était l’histoire d’une petite fille qui allait acheter ses sucettes à l’anis, et quand elle n’en avait plus, elle y retournait... Il me l’a jouée au piano, comme ça, et je l’ai tout de suite trouvée très jolie, je lui ai dit : “Serge, j’adore ta chanson !" ». Mais avec l’immense succès de ce titre, qui parle en sous-texte de sexe, France découvre que Gainsbourg s’est joué d’elle... Et le choc est énorme. « C’était horrible, horrible ! Ça a changé mon rapport aux garçons. Ça m’a humiliée, en fait », avait-elle expliqué.

Cette atmosphère de scandale qui l’entoure désormais la fait profondément souffrir. Souvenons-nous qu’elle n’a alors que 19 ans ! 19 ans avant mai 1968 ! En 2004, se confiant déjà au Parisien, la chanteuse se souvenait qu’elle avait voulu « effacer [ses] dix premières années de carrière ».
« À 16 ans, au lieu d’aller en classe, je participais à des émissions, des séances photo, alors que je ne voulais pas me montrer. J’avais le sentiment d’être violée en permanence », expliquait-elle. Avec l’affaire des Sucettes, ce sentiment est renforcé. Et sa détresse est réelle.

Comme si cela ne suffisait pas, voilà que le public français se met à la bouder. Sans doute l’a-t-il trop aimée, et lui fait-il payer le prix de cette passion. France continue sa carrière à l’international, en Allemagne entre autres, avant de faire un retour timide au bercail. Mais le cœur n’y est plus. La chanteuse entame alors sa traversée du désert, un comble pour une jeune fille de 20 ans ! Mais le travail n’est pas tout.

En 1969, une comédie musicale fait un tabac à Paris : Hair. France, qui aime le talent et la beauté, est très sensible au charme du chanteur qui en est la vedette : le jeune Julien Clerc. Elle se rend très souvent au théâtre de la porte Saint-Martin pour assister au spectacle, et aussi sans doute pour rencontrer son héros. Entre eux, l’accord sera parfait. Au début en tout cas. Ils sont tous les deux connus, jeunes, beaux...

Mais si le magazine Salut les copains révèle leur liaison fin 1969, France va déchanter. Car l’entourage de Julien lui explique qu’avec un public presque exclusivement féminin, il ne peut se permettre d’afficher son amour. Cela lui ferait perdre une grande partie de ses fans. Il doit paraître célibataire. Le chanteur se soumet et impose à sa compagne, qui ne rêve que de famille et d’enfants, un mode de vie qui ne lui convient pas : elle doit se cacher, porter des perruques, nier sa relation... Elle doit, tout simplement, cesser d’exister.

Malheureuse, France finira par le quitter en 1974. À cette rupture, Julien répondra comme le font les compositeurs : par une chanson, magnifique, bouleversante : Souffrir par toi n’est pas souffrir.

« Je n’ai pas imaginé que c’était possible, mais la chanson traduit parfaitement ce que je ressentais. Pour qu’elle revienne, j’ai tout essayé », expliquera-t-il dans Julien, la biographie signée Sophie Delassein, parue en 2013 aux éditions Calmann-Lévy. Souffrir, aimer, chanter, France continuera de le faire. Mais c’est avec un autre que son histoire se poursuivra, avec lui qu’elle réalisera à la fois son rêve d’être une véritable artiste, et celui de fonder une famille...

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Laurence PARIS

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