Adieu Henri Salvador : Il s'en est allé faire rire les anges

France Dimanche
Adieu Henri Salvador : Il s'en est allé faire rire les anges

2.500 personnes ont rendu un ultime hommage à Henri Salvador le 16 février, en l'église de la Madeleine, à Paris.2.500 personnes ont rendu un ultime hommage à Henri Salvador le 16 février, en l'église de la Madeleine, à Paris.

Ils étaient très nombreux, en cette matinée du 16 février 2008, à s'être rassemblés place de la Madeleine, à Paris, pour assister aux obsèques d'Henri Salvador. Lui, le joyeux drille au rire inimitable, fauché par une rupture d'anévrisme à l'âge magnifique de 90 ans.

Sous un ciel parfaitement bleu, un soleil radieux, et malgré un froid saisissant, plus de deux mille cinq cents personnes avaient répondu présent à cet ultime rendez-vous. L'église était archi-comble, et les centaines d'anonymes massés à l'extérieur ont pu suivre la cérémonie sur écran géant...

Grâce à des hauts parleurs, la foule a pu reprendre en chœur les plus belles chansons du crooner. Parmi ses proches, on pouvait apercevoir des personnalités du monde du spectacle. Des artistes de la chanson, comme Eddy Mitchell, Mireille Mathieu, Bénabar, Laurent Voulzy, Françoise Hardy... mais également des humoristes tels que Laurent Baffie, Élie Semoun ou Michel Leeb, les animateurs Stéphane Bern, Daniela Lumbroso et Patrice Laffont.

Le septième art était dignement représenté par Jean-Pierre Marielle, Line Renaud ou encore José Garcia. Nicolas Sarkozy était présent, ainsi que le prince Albert de Monaco et la ministre de la Culture, Christine Albanel.

->Voir aussi - Henri Salvador : Le rideau rouge est tombé

Chagrin

À 11 heures précises, le cercueil blanc et sobre faisait son entrée dans le célèbre édifice, au son du Lion est mort ce soir. Les lunettes noires de Catherine, la veuve du chanteur, ne parvenaient pas à dissimuler sa peine.

Et tout près d'elle, triste et silencieuse, se tenait la petite Caline dont le regard laissait poindre l'indicible chagrin. Entre eux, c'était l'amour fou, une complicité de tous les instants depuis que, récupérée à la SPA par Catherine, voilà quelques mois, la jeune chienne avait fait irruption dans la vie d'Henri. Ces deux-là étaient inséparables, jour et nuit. Près de son cœur lorsqu'il tomba, foudroyé, Caline l'aura accompagné jusqu'au bout.

Entourée de tous ces proches, la dépouille du chanteur a rejoint l'autel pour une cérémonie religieuse, conforme aux vœux du défunt. Une somptueuse gerbe de roses blanches ornait la sépulture et un très joli portrait nous rappelait ce visage enfantin, toujours fendu d'un immense sourire.

Lumière

Le père Philippe Desgens, aumônier des artistes, a salué « une vie marquée d'une longue et belle carrière, et de beaucoup de lumière ». Puis les chœurs de la Madeleine ont entonné le Requiem de Gabriel Fauré, avant que quelques intimes ne livrent un dernier témoignage.

Comme la fille de Gisèle Mollard, sa parolière de longue date, qui a salué un « rire tonitruant !» Avant d'ajouter : « Tu es parti faire rire les anges au ciel, mais nous, tu nous laisses orphelins. » Puis, son ami violoniste, Ivry Gitlis, n'hésita pas à empoigner son instrument pour jouer quelques notes d'Une chanson douce, l'un des titres préféré du défunt, avant que le comédien Jean-Pierre Marielle ne conclue cette série d'hommages avec un ravissant texte de Boris Vian, « Pourquoi que je vis / Parce que c'est joli »!

Puis, après plus d'une heure et quart de cérémonie, c'est en se remémorant ses plus belles mélodies que ceux qui le désiraient furent invités à s'approcher du catafalque pour un dernier adieu à l'artiste. Un signe de croix, une main posée sur le cercueil immaculé ou tout simplement un sourire, une pensée, chacun, à sa manière, lui a adressé une ultime marque d'affection.

Et, enfin, c'est dans la plus stricte intimité, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, que l'artiste a rejoint pour toujours son ultime Jardin d'hiver.

Parmi les nombreuses vedettes : Eddy Mitchell et Françoise Hardy, Michel Leeb, Michèle Torr, Véronique Genest, et le jeune chanteur Bénabar, Jean-Pierre Marielle et l'animateur Stéphane Bern.

S'il regrettait qu' « à la pétanque, les boules deviennent plus lourdes » avec l'âge, vieillir ne lui faisait pas peur... Même si, ces derniers temps, Henri Salvador avouait : « C'est pas toujours marrant d'avoir 90 ans, parfois qu'est-ce que je déguste !»

La vie lui aura bien rendu l'amour qu'il lui portait. Jamais carrière d'artiste n'a été si longue - 75 ans ! - ni si variée. Le chanteur au swing impeccable était aussi un grand compositeur - il a été à l'origine de la bossa nova -, un clown qui tirait des larmes de rire au général de Gaulle et un animateur de télévision dont, dit-on, les scores d'audience sont encore inégalés à ce jour...

Fou de jazz

Henri, cadet d'une famille de trois enfants, voit le jour le 18 juillet 1917 à Cayenne, en Guyane, où son père, Clovis, est percepteur des impôts. C'est sa mère, Antonine, qui élève la tribu, qu'elle berce de chansons douces. En 1929, les Salvador embarquent pour la métropole, où Clovis est muté.

À l'école, qui l'ennuie, Henri préfère le cirque Médrano où son père l'emmène parfois. Le numéro du clown Rhum le fait hurler de ce rire qu'il a déjà tonitruant... et qui lui vaut son premier engagement. Rhum propose en effet au jeune Salvador d'être son chauffeur de salles ! Celui-ci est ravi, d'autant qu'après le spectacle l'artiste lui montre ses gags. L'élève est doué... et envisage une carrière de comique.

Il change d'avis à 16 ans, après avoir écouté les disques de Duke Ellington et de Louis Armstrong. Une révélation qui le conduit, dès le lendemain, à s'acheter une guitare. « Je jouais jour et nuit, ma mère se demandait si je n'étais pas fou. Au bout de trois ans, je suis devenu bon. »

Il se fait remarquer par Django Reinhardt qu'il accompagne, et tape le bœuf avec de grands jazzmen américains. En 1939, alors qu'il se promène, avec un ami, dans Biarritz, il croise une fille ravissante. Henri parie avec son ami que si elle lui dit « oui », il l'épouse. Pari gagné ! Même s'il découvre vite que la belle lui est infidèle. Il n'a guère le loisir d'en souffrir : les nazis occupent Paris.

En 1941, il intègre l'orchestre de Ray Ventura. Ce dernier, comme la plupart de ses « Collégiens », est juif, donc menacé. Aussi à la fin de l'année emmène-t-il tout son petit monde en Amérique du Sud, pour une tournée qui durera le temps de la guerre.

Amoureux

À son retour en France, Salvador enregistre pour Ventura, avant de signer, sous son nom, un 78 tours en 1947, Maladie d'amour, qui devient un tube mondial. Son succès se confirme avec la ballade Le Loup, la biche et le chevalier, inspirée des chansons dont le berçait Antonine. Et surtout, il tombe amoureux. Jacqueline est arménienne et croit en lui. En 1949, celle qu'il surnomme son « lion », lui dit « oui » pour le meilleur...

Les rencontres ont joué un grand rôle dans la vie d'Henri Salvador. Celle de Boris Vian, en 1951, marque un tournant dans sa carrière. Avec Bobo, il compose, sous le pseudonyme d'Henry Cording, plus de quatre cents titres.

À la disparition de son ami, en 1959, Henri, aidé de Jacqueline, monte sa maison de disques : Rigolo. Il enchaîne les chansons cocasses, qu'il n'aime guère, mais qui le font vivre, et produit quelques chefs-d'œuvre dont le sublime Syracuse, composé en une nuit avec le parolier Bernard Dimey. Exploit d'autant plus remarquable que Dimey était ivre mort et que les deux hommes n'avaient jamais mis les pieds dans la cité sicilienne...

Crooner

Henry a beau faire l'éloge de la paresse, « Le travail c'est la santé / Rien faire c'est la conserver », il n'arrête pas... Dans les années soixante-dix, il investit le petit écran. La France entière se gondole devant ses émissions, Salves d'or et Dimanche Salvador. En 1976, Jacqueline, atteinte d'un cancer, s'éteint sans avoir pu voir son rêve se réaliser : qu'Henri s'impose enfin comme crooner... Ce qu'il réussira vingt-quatre ans plus tard, avec le magnifique album : Chambre avec vue.

Révérence

Le chanteur poursuit l'aventure seul, mais le cœur n'y est plus. En 1978, il arrête les galas, pour se consacrer à son autre passion : la pétanque. La parenthèse durera... vingt-deux ans. Entre deux parties, il rencontre celle qui deviendra sa troisième épouse : « Une emmerdeuse, avouera-t-il plus tard. Quand elle est morte, je me suis acheté une montre pour fêter l'évènement !»

En 1982, il rencontre pour la première fois, son fils naturel, fruit de sa liaison avec la comédienne Jacqueline Porel, le photographe Jean-Marie Périer, avec lequel il tisse une relation de tendre complicité.

Dix-neuf ans plus tard, le fiston dévoile leurs liens cachés dans une biographie, Enfant gâté, qui fait grand bruit. Salvador ne le lui pardonnera jamais... La maladie d'amour le rattrape à l'aube de ses 80 ans.

« Catherine est le dernier miracle de ma vie », confie-t-il. Il l'épouse en 2001, année riche en bonheur, puisqu'il reçoit deux Victoires de la musique pour Chambre avec vue. Album de la renaissance, qui s'écoulera à plus de deux millions d'exemplaires... En 2004, il récidive avec l'album Ma chère et tendre, suivi, en 2006, du bien nommé Révérence.

Le 21 décembre dernier, il s'est résigné à faire ses adieux à la scène. Au Palais des congrès, l'émotion est intense quand, après avoir chanté Bonsoir amis, Henri Salvador salue le public : « C'est une déchirure de vous quitter, vous savez ...»

Vous aussi, cher monsieur Henri Salvador, vous allez beaucoup nous manquer ! Même si votre voix suave et vos mélodies légères continueront, longtemps encore, d'enchanter nos jardins d'hiver...

Laura Valmont

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