Adieu Marie Dubois : Catherine Deneuve et Romy Schneider l’ont empêchée d’être une star !

France Dimanche
Adieu Marie Dubois : Catherine Deneuve et Romy Schneider l’ont empêchée d’être une star !

Le 15 octobre dernier, la petite fiancée de Bourvil dans “La grande vadrouille" tirait sa révérence. Marie Dubois avait 77 ans et se battait depuis près de trente-sept ans contre la  sclérose en plaques.

« Maintenant, je voudrais que vous soyez extrêmement grossière et vulgaire. Insultez-moi, dites-moi les pires grossièretés que vous connaissez... » Face à cette curieuse demande, émanant d’un homme qu’elle admire, la jeune fille bafouille, mal à l’aise, et même quand poussée à bout, elle lâche le mot « con », elle éclate juste après d’un rire gêné, incapable d’être celle qu’il lui demande d’être. Lui, c’est François Truffaut, et la beauté blonde à qui il fait faire des essais pour son film Tirez sur le pianiste s’appelle encore Claudine Huzé.

Elle est parisienne, a 22 ans, et rêve depuis toujours de faire du cinéma, même si dans sa famille on ne voit pas cela d’un très bon œil. Comme le lui a dit un jour un de ses oncles : « C’est un métier de putain ». Mais qu’importent les tontons rabat-joie ! Si Claudine a le physique d’un ange, elle est aussi têtue qu’une mule. Actrice elle veut être, actrice elle sera...

Elle prend donc des cours à l’école de la rue Blanche, puis au Conservatoire, et décroche ses premiers rôles au théâtre, aussi à l’aise dans le répertoire classique (Le misanthrope de Molière) que dans la comédie de boulevard (Boeing Boeing de Marc Camoletti).

Avec Charles Aznavour dans "Tirez sur le paniste"

Ombre

Des planches aux plateaux de tournage, il n’y a qu’un pas, que Claudine franchit allègrement. Pour la télévision d’abord, où elle tourne dans les séries La caméra explore le temps et Les cinq dernières minutes. Puis au cinéma, grâce à Éric Rohmer, qui la fait jouer dans Le signe du lion, et surtout François Truffaut qui, après l’avoir vue sur le petit écran, lui confie le rôle de Léna dans Tirez sur le pianiste.

C’est lui aussi qui lui suggère de prendre le pseudonyme de Marie Dubois, l’héroïne d’un de ses écrivains préférés, Jacques Audiberti, parce que, comme elle, la jeune comédienne « incarne toutes les femmes en une seule ». Sous la houlette du maître, dont elle tombe folle amoureuse et avec lequel elle échange quelques baisers, Claudine Huzé devient donc Marie Dubois, et crève l’écran dans la peau de Léna, serveuse aux mœurs légères, qui connaît une fin tragique.

Tragique, ce tournage le sera aussi pour son interprète, comme elle raconte dans ses mémoires Je n’ai pas menti, j’ai pas tout dit..., parues en 2002 : « Je suis née au cinéma au moment même où une petite mort s’infiltrait en moi. Sclérose en plaques. La première fois, c’est comme une ombre furtive entraperçue la nuit et qui s’efface avec le jour. À peine inquiétante. Puis, peu à peu, elle est apparue dans la lumière. L’ombre a pris corps. Et ce corps, c’était le mien.»

Pendant près de vingt ans en effet les « papillons devant les yeux », premier symptôme du mal, la laisseront en paix. Cette épée de Damoclès au-dessus de la tête a-t-elle décuplé son appétit de vivre et de tourner ? Marie Dubois enchaîne en tout cas les seconds rôles, pour Jean-Luc Godard, dans Une femme est une femme, Truffaut encore, dans Jules et Jim, mais aussi Georges Lautner (Le monocle noir) et Édouard Molinaro (La chasse à l’homme)...

Avec Bourvil

Avec Lino Ventura dans "Les grandes gueules"

En 1964, elle est à l’affiche de cinq films ! Pourtant, ce n’est qu’en 1966, avec La grande vadrouille, de Gérard Oury, que le grand public la découvre en fiancée de Bourvil, pour lequel elle a toujours éprouvé une tendresse particulière. Il y a alors cinq ans que l’une des plus jolies fiancées du cinéma français, Marie Dubois a dit « oui » à l’homme de sa vie : l’acteur Serge Rousseau, rencontré en 1960 sur le tournage des Mauvais coups de François Leterrier.

Heureuse en amour, maman de Dominique, née en 1964, Marie continue d’illuminer de sa présence solaire les écrans de cinéma, tournant d’un à trois films par an, dont Le voleur de Louis Malle, qui lui permet de casser son image de blonde angélique : « Je n’ai jamais été aussi heureuse que quand il m’a teinte en rousse, habillée avec des boas et des bijoux. Enfin je jouais une garce, une salope ! » confiera-t-elle.

Déclin

Serge, lui, se range des plateaux pour monter Artmedia, aujourd’hui l’une des plus grosses agences de comédiens sur la place de Paris. Pourquoi, malgré cet agent dévoué, malgré sa beauté et son talent, Marie Dubois n’est-elle pas devenue une star ? Eh bien, comme elle l’a confié non sans humour à Télérama, en 2001 : « Parce que devant moi, il y avait Catherine Deneuve et Romy Schneider ! » En 1977, elle obtient enfin la reconnaissance de ses pairs, remportant le César du Meilleur second rôle féminin, pour La menace, d’Alain Corneau.

C’est à cette époque, hélas, qu’une autre menace bien réelle, réapparaît dans sa vie : la sclérose en plaques. Cette fois, ce ne sont pas les yeux, mais ses jambes qui se dérobent... C’est le début du déclin. Marie a du mal à marcher, doit de plus en plus souvent faire appel à ses « deux chères ennemies », comme elle appelle ses béquilles. Le tournage de Garçon ! de Claude Sautet, en 1983, est un calvaire. Marie Dubois souffre le martyre, physiquement et moralement : en effet, les médicaments qu’elle absorbe en masse provoquent des trous de mémoire et l’empêchent de se concentrer.

Deux ans plus tard, et bien que la maladie ait encore évolué, elle accepte de jouer l’un de ses derniers rôles dans Les caprices d’un fleuve au côté de son cher ami, Bernard Giraudeau. Condamnée au fauteuil roulant, Marie garde pourtant un moral d’acier, même si parfois, elle craque et que « la tentation du suicide » l’effleure. Mais pas question pour cette catholique fervente d’abréger ses souffrances ! Quand elle n’en peut plus, elle appelle ses deux grands copains, Giraudeau et Serge Lama, qui lui remontent le moral. Et puis il y a Serge Rousseau, l’autre, sa moitié, qui n’est jamais loin...

En 2001, elle s’engage dans la lutte contre la sclérose en plaques, en témoignant dans un film réalisé par son complice Alain Corneau. Comme Marie Dubois le confiait dans une interview accordée au site Doctissimo : « Je me rappelle être allée dans des émissions dans lesquelles il me fallait préciser que la sclérose en plaques n’était pas une maladie de peau. Même s’il est difficile d’expliquer en détail les causes de cette maladie, j’espère avoir pu à mon échelle sensibiliser le grand public. »

Le 3 novembre 2007, Marie Dubois connaît une nouvelle épreuve : son grand amour, Serge Rousseau, meurt, emporté par le cancer. Elle quitte alors la région parisienne pour s’installer dans une maison médicalisée à Pau, où Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, lui remet, en 2013, les insignes d’officier de la Légion d’honneur.

Mercredi 15 octobre dernier, Marie Dubois, cette battante dont le sourire et les yeux azur ont illuminé le cinéma français, a rendu les armes. On vous salue Marie...

Lili Chablis

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