Alain Delon : Hanté par ses morts !

France Dimanche
Alain Delon : Hanté par ses morts !

Montand, Bourvil, Ventura, Gabin 
ou encore Dalida… au fil du temps, la star Alain Delon a dû apprendre 
à vivre avec  ses disparus  qui lui manquent tellement.

Comment les légendes quittent-elles la scène quand ce n’est pas le destin qui les y force ? De quelle façon les mythes mettent-ils fin à une carrière superbe, passant du plein soleil à l’ombre, de l’acteur à l’humain, de la vie extrême au repli ? Alain Delon a sans doute beaucoup réfléchi à la question. Et il a tranché, il y a peu.

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« J’ai l’âge que j’ai. J’ai fait la carrière que j’ai faite. Je vais boucler la boucle avec un film et une pièce magnifiques. Ce n’est pas tout de suite une fin de vie, mais une fin de carrière. En organisant des compétitions de boxe, j’ai vu des hommes qui regrettaient d’avoir fait un combat de trop. Il n’y aura pas le combat de trop ! »

Dans cette déclaration, recueillie par l’AFP en mai dernier, l’acteur, qui n’a pas l’habitude de dire un mot pour un autre, choisit bien pour décrire sa vie le terme de « combat ». Pourquoi user de ce mot guerrier pour évoquer ce métier qui lui a tant donné, qui l’a créé, lui a apporté reconnaissance, gloire, argent, amour ?

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Sans doute parce qu’aujourd’hui son paysage ressemble à un champ de bataille. Un endroit où ceux qu’il a aimés, admirés, ceux avec qui il a tant partagé, sont tombés... Car même si le temps ne semble pas avoir eu prise sur son charme, Alain Delon a 81 ans. Et tous ses aînés, ceux qui l’ont mis en scène, comme les merveilleux acteurs avec lesquels il a tourné, ont disparu.

Cimetière

« Montant, Bourvil, Lino. Et bien sûr mon maître, “le vieux", Gabin. Il m’appelait “le môme" », énumère Delon, dans Vanity Fair. Poignante évocation du désert dans lequel il est aujourd’hui condamné à errer... Et cette bande magnifique, qui a marqué les années 60, ce gang de talentueux beaux gosses, Belmondo, Trintignant, Brialy, Cassel et lui-même... Qu’en reste-t-il ? Le carnet d’adresses de Rocco ressemble un peu plus chaque jour à un cimetière...

Sans doute doit-il rayer, au fil du temps, les noms des prestigieux artistes qu’il y avait inscrits... Comme il a dû effacer de son quotidien «les trois êtres [qu’il] ador[ait] : Romy, Deray, Ronet»...
Effacer, mais pas de ses pensées ! C’est même tout le contraire. Si ses semblables se sont peu à peu éclipsés, ils continuent de vivre en lui, de le hanter, et de faire battre son cœur.

Romy Schneider, qu’il a tant aimée, est déjà une star quand ils se rencontrent en 1958. Leur amour fusionnel... Leur beauté à couper le souffle. Il la quittera, des années plus tard. Alors qu’il est devenu aussi une star et qu’elle est un peu moins en vue, il l’impose dans le film de Jacques Deray, La piscine, à l’été 1968. Il sera toujours là quand elle aura besoin de lui, comme ce 7 juillet 1981 où il la soutient, désespérée, aux obsèques de son fils David.

Delon ne parvient plus à regarder La piscine aujourd’hui. « Je ne pourrai jamais le revoir, c’est impossible. [...] Je récite chaque réplique avant qu’elle n’arrive... Entendre Romy dire “Je t’aime" alors qu’elle n’est plus là, je ne peux pas », a-t-il confié à Vanity Fair... Alors, Alain parle avec elle dans sa tête, dans ses souvenirs, peut-être le seul lieu où il parvient à vivre sans trop souffrir. En support à sa mémoire, il a toujours sur lui ces photos d’elle, trois Polaroid qu’il avait pris dans l’appartement de la comédienne, quelques heures avant son enterrement.

Comme pour illustrer à quel point Delon est habité par tous ses morts, il avait expliqué sur ParuVendu en 2010 : « Ceux que j’ai aimés continuent à vivre en moi. La preuve, je suis là, à vous parler de Romy, cinquante ans après l’avoir connue... Par nature, je vis avec ce que j’ai fait. » Et il continue.

Par nature aussi sans doute, il s’est mis à l’écart, retiré derrière les hauts murs de sa demeure de Douchy, où ses enfants ont fait leurs premiers pas. Un endroit où il se sent assez protégé pour pouvoir vivre comme il l’entend, c’est-à-dire dans une absolue nostalgie. Où il côtoie en toute sérénité Melville, Visconti, René Clément, discute avec Romy et Dalida, une autre chère disparue dont il refuse d’accepter la mort. Et tout ça sans qu’on lui reproche d’être passéiste !

Chapelle

Mais peut-on avoir été et être Delon, et ne pas regarder derrière soi en pleurant ? Comme il le reconnaît, il a eu « un passé extraordinaire ». Comment ne pas le regretter ? Quand il répète que le cinéma est mort, sa fille adorée, Anouchka, 26 ans, lui oppose : « Ce n’est pas le cinéma qui est mort, c’est ton époque. » Si elle n’a pas tout à fait tort, son père non plus.

Qui peut dire comme lui aujourd’hui : « J’ai fait ce que je voulais, avec qui je voulais, quand je voulais » ? Certains le prétendent, mais pour lui, c’est vrai. « Une vie comme ça, on n’en verra plus, dit-il à Vanity Fair, en parlant de la sienne. C’est pour ça que je n’ai aucun regret de partir. » Ce « départ », il le prépare depuis longtemps. Il a dépensé une énergie folle pour pouvoir être enterré près de ses chiens à Douchy, dans une chapelle qu’il a fait ériger non loin de leurs tombes. Car avec le temps, ses bêtes, comme ses amis humains, ont aussi disparu. Il ne lui en reste qu’une, Loubo...

Quant à lui, qui reposera à son côté quand il aura rendu son dernier souffle ? Le caveau qu’il a fait construire comporte six places. Il pensait passer l’éternité auprès de Mimi, Mireille Darc, son ex-compagne et amie chère, mais maintenant qu’elle est mariée... Alors peut-être ne faut-il pas dire adieu trop tôt à cet acteur de génie. Car il a prévu de faire un ultime film, avec Patrice Leconte. Puis il enchaînera avec une pièce, la dernière, dit-il, écrite pour lui sur mesure par Jeanne Fontaine, Le crépuscule d’un fauve.

Pourtant en lisant bien ses confidences à Vanity Fair, s’il affirme se préparer à la mort « sans aucun regret », l’acteur a aussi cette phrase malicieuse qui laisse penser que sa soif de vivre n’est pas tout à fait étanchée. Au sujet du long-métrage qu’il va tourner avec Leconte et de sa décision d’arrêter le cinéma, il dit : « Enfin, si le film fait cinq millions d’entrées, je peux toujours changer d’avis. »

Oui, Alain Delon a toujours fait ce qu’il voulait quand il voulait. Et s’il changeait finalement d’avis, ce serait une grande joie.

Laurence Paris

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