Alain Delon : L’appel au secours d’une femme suppliciée

France Dimanche
Alain Delon : L’appel au secours d’une femme suppliciée

Malika Oufkir a supplié Alain Delon de sortir sa famille 
des geôles du roi du Maroc Hassan II.

Il est des lettres qui vous laissent le cœur serré après leur lecture. De tels courriers, l’acteur a sans doute eu l’occasion, hélas, d’en lire de nombreux au cours de son existence. Mais il en est un qui a dû le marquer plus que les autres, tant la situation de son auteure était dramatique.

Et la situation devait être d’autant plus douloureuse pour Alain Delon que la star se savait impuissante, incapable de voler au secours d’une amie chère, au destin broyé, comme celui de toute sa famille, par les séides d’une police politique. Car ce n’était pas seulement par la volonté d’un homme que celle qui appelait le comédien au secours vivait le martyre, mais par celle d’un monarque tout-puissant, Hassan II, roi du Maroc jusqu’en 1999.

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Or, malgré toute la rage qui devait l’habiter, Delon ne pouvait rien faire pour aider Malika Oufkir, la sortir des geôles du royaume chérifien, comme l’a expliqué le journaliste Gilles Perrault dans son ouvrage Notre ami le roi, paru chez Gallimard. Pire encore, toute action ou réaction de la part de l’acteur risquait d’aggraver la situation déjà intenable de cette femme suppliciée, dont il était devenu l’ami fidèle après avoir, bien des années auparavant, sympathisé lors d’un tournage.

Car, lorsque l’acteur reçoit ce courrier, cette bouteille à la mer lancée par une désespérée, nous sommes en 1987, et cela fait déjà quinze ans que Malika est privée de liberté. Son seul crime ? Être la fille du général Mohamed Oufkir, commandant en chef des Forces armées royales et ministre de la Défense.

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Après s’être illustré sous l’uniforme français, cet officier est devenu un proche du souverain, mais aussi son exécuteur des basses œuvres, ce qui lui a valu d’être surnommé le « Boucher du Rif ». Il est au sommet de l’État quand son destin bascule. Le 16 août 1972, le Boeing d’Hassan II, revenant de France, est mitraillé par trois chasseurs F-5.

Le roi s’en sort par miracle et une semaine plus tard, le commandant Kouera, principal instigateur de cette tentative de putsch, désigne Oufkir comme complice. Selon la version officielle, ce dernier se serait alors suicidé au palais royal de Skhirat. Selon Gilles Perrault et l’épouse du général, Fatéma, celui-ci aurait été exécuté. Une hypothèse appuyée sur le fait qu’il a été atteint de quatre balles, trois dans le dos et une dans la nuque.

Calvaire

Mais la mort de son ennemi ne suffit pas à assouvir la soif de vengeance du monarque. Il veut faire disparaître, à défaut de tuer, toute la lignée du traître, comme s’il existait un « crime de descendance ». Et comme aucun motif juridique ne justifie qu’il traduise Fatéma et ses enfants, dont Malika, devant les tribunaux, c’est dans le plus grand secret que toute la famille est conduite en prison. Tous sont enfermés dans des cellules aveugles et exiguës, au sol en terre battue. Et bientôt, selon Gilles Perrault, les tortures vont s’ajouter à la claustration.

Malika Oufkir

Un calvaire auquel quatre enfants de Fatéma décident de mettre fin. Le 19 avril 1987, Malika, Raouf, Inan et Abdellatif parviennent à s’évader de leur bagne, sans doute avec l’aide de certains de leurs geôliers. Mais leur mère, ainsi que leurs deux sœurs, Soukaïna et Myriam, trop malades pour s’enfuir, seraient restées dans leur prison. Après une cavale à hauts risques, ce quatuor de fugitifs est repris.

Malika parvient malgré tout à contacter le célèbre avocat Georges Kiejman. Quand il reçoit cet appel, le ténor du barreau croit d’abord à une provocation : au même moment, François Mitterrand entame une visite officielle au Maroc ! Mais ce proche du président finit néanmoins par fléchir, convaincu par la sincérité de la jeune femme. Une jeune femme qui en appelle aux grands de ce monde pour plaider la cause des « enfants d’Oufkir » : le pape, la reine d’Angleterre, Ronald Reagan, Margaret Thatcher et François Mitterrand recevront des courriers en ce sens, racontant la lente agonie des siens. Sans résultat.

Pourtant, loin de capituler, Malika reprend sa plume et s’adresse cette fois à toutes les célébrités qu’elle avait croisées dans une autre vie, dont Jacques Pradel, Yves Mourousi et, bien sûr, Alain Delon. Ce dernier serait peut-être intervenu pour voler au secours de son amie et de sa famille s’il n’en avait été dissuadé par maître Kiejman.

L’avocat, rompu aux négociations délicates, lui aurait fait comprendre que toute manifestation publique pouvait contrarier la clémence du roi. Une clémence qui mit encore du temps à se manifester, puisque c’est seulement en 1991, après dix-neuf ans de souffrance, que la famille Oufkir retrouvera officiellement la liberté. Mais l’histoire ne dit pas si Alain Delon a revu par la suite Malika...

Claude Leblanc

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