Bourvil : Le faux corniaud au coeur tendre !

France Dimanche
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Cinquante ans après sa mort, Bourvil est toujours aussi populaire. Ses films traversent les époques et les soirées familiales.

Il disait : « Le personnage exceptionnel, c’est celui qui est capable d’être tout le monde. » Dans le milieu du cinéma marqué par la dictature des monstres sacrés, il avait réussi cette gageure. À l’annonce de sa mort, le 23 septembre 1970, un immense chagrin submerge toutes les couches de la société. Comme la perte d’un ami fraternel.

Car, quand on pense à Bourvil, on a tout de suite une ritournelle qui danse dans la tête, un rire en escalier communicatif qui jaillit. On se le remémore portant sur ses épaules de troufion d’occasion un de Funès colérique ou jouant les mules pour le compte de Jambier avec ses valises remplies de cochon en compagnie d’un Jean Gabin indocile. Autant d’images d’Épinal dont les souvenirs ne nous abandonnent pas.

FILS DE CULTIVATEURS NORMANDS

« Je suis né dans une ferme en face d’une meule de foin. Il m’en est toujours resté quelque chose. » André Robert Raimbourg naît le 27 juillet 1917 à Prétot-Vicquemare, en Seine-Maritime, d’un père et d’une mère cultivateurs. En 1918, son père décède de la grippe espagnole. Il est alors élevé par sa mère et le second époux de celle-ci, dans un village appelé Bourville. Ce sera phonétiquement son nom de scène. Il se passionne tôt pour la musique en écoutant la radio chez son instituteur, reproduisant les chansons qu’il entend sur son harmonica avant de les chanter. Excellent élève, il obtient son certificat d’études avec les félicitations du jury.

Ses parents lui achètent un accordéon. Exerçant ses talents dans la fanfare municipale, il entre au collège et apprend à jouer du cornet à pistons. La vie d’internat lui pèse, alors il préfère rentrer à la ferme familiale. Rencontrant Jeanne Lefrique, sa future femme, il décide de trouver un métier et devient boulanger. Le travail est pénible. Aussi, à l’aube de ses 20 ans, il part à l’armée pour deux ans et est affecté au 24e régiment d’infanterie de Paris. La mobilisation contre l’Allemagne maintient son enrôlement.

Son unité se retrouvant dans les Pyrénées, à Arzacq, il y rencontre l’accordéoniste Étienne Lorin. Cornettiste dans la fanfare du régiment, il fait rire ses camarades. Inscrit au radio crochet Les Fiancés de Byrrh sous le pseudonyme d’Andrel (en référence à son modèle Fernandel), il interprète la chanson Ignace et gagne le prix Byrrh. En 1941, il est admis en tant qu’auditeur libre au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, section trompette. Les fins de mois sont rudes. Il enchaîne les petits boulots comme plombier ou garçon de courses (son vélo de fonction l’aide à écumer les cabarets). On le surnomme le Fernandel normand car il reprend Ignace ou Félicie aussi. Il accompagne également à l’accordéon Marcelle Bordas, sur la scène de l’ABC.

C’est d’abord dans le style comique troupier qu’il se produit au gré de petits engagements. Avant de monter un numéro de sketches à l’accordéon avec Étienne Lorin qui compose la musique tandis qu’il écrit les textes. Il débute dans un petit cabaret de Pigalle, Le Prélude.

PERSONNAGE NAÏF ET SIMPLET

Craignant d’être réquisitionné pour le service du travail obligatoire en Allemagne, il change de nom, devenant André Bourvil, et est remarqué par André Trives, l’imprésario de Tino Rossi. Son personnage de villageois naïf naît alors et passe au cabaret Chez Carrère puis, en juillet 1943, à l’Alhambra dans Ça sent si bon la revue avec Georges Guétary.

Marié en janvier de la même année, il aura deux fils. C’est dans l’émission Pêle-mêle, sur Radio Luxembourg, où il interprète Les Crayons, qu’il est repéré. Grâce à ce morceau, il fait ses débuts en 1945 au cinéma dans La Ferme du pendu. Il enregistre dans la foulée son premier disque, passe à l’ABC et participe à une opérette dont la vedette est André Claveau.

En 1946, l’auteur-compositeur Bruno Coquatrix, futur directeur de l’Olympia, l’engage en première partie de l’orchestre de Ray Ventura. En novembre, à l’ABC, il partage enfin, avec Georges Ulmer, le haut de l’affiche. En cette année, Bourvil devient une vedette. Les succès s’enchaînent (une vingtaine de 78 tours en trois ans).

Il chantera même pour les enfants avec Les Pierrots parisiens. En parallèle, son personnage naïf et simplet excelle dans des comédies comme Pas si bête, Par la fenêtre, Le Roi Pandore, Le Rosier de madame Husson, Garou-Garou, le passe-muraille, Le Trou normand ainsi que dans des films de cape et d’épée (Les Trois Mousquetaires, Cadet Rousselle, Le Bossu...).

UN PRINCE DE L’OPÉRETTE

Dès 1951, il a droit à son feuilleton sur RTL : Les Aventures de Bourvil. Il alterne cinéma et scènes, notamment dans des opérettes où il adore se produire. En 1952, La Route fleurie, qu’il interprète avec Georges Guétary et Annie Cordy, se joue quatre ans ! En 1954, dans Poisson d’avril, il fait une rencontre déterminante : celle de Louis de Funès. Les deux hommes se retrouvent ensuite le temps d’une scène culte dans La Traversée de Paris, film pour lequel il remporte le prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de Venise, en 1956. Sa carrière décolle. Cette même année, il tourne Le Chanteur de Mexico avec Luis Mariano. Bourvil excelle également dans les rôles à contre-emploi : mesquin et oppressant à l’égard de Michèle Morgan dans Le Miroir à deux faces ou fourbe en Thénardier dans Les Misérables. En 1963, Bourvil rencontre son idole de jeunesse, Fernandel, dans La Cuisine au beurre de Gilles Grangier.

LE DUO DE TOUS LES RECORDS

Toutefois, ce seront ses duos avec de Funès qui laisseront une marque indélébile dans sa carrière et dans le cinéma, ce grâce au réalisateur Gérard Oury, qui apporte un nouveau souffle à la comédie française. En 1965, Le Corniaud réunit plus de 11 millions de spectateurs. Un an après, Gérard Oury récidive avec une histoire écrite par le réalisateur Jean-Charles Tacchella : La Grande Vadrouille. Le film crève tous les plafonds : 17,3 millions de spectateurs en 1966 et le plus diffusé depuis à la télévision. Le succès sera moindre en 1969 pour Gérard Oury avec Le Cerveau(5 millions d’entrées tout de même !)

De son côté, Jean-Pierre Mocky lui fait interpréter des rôles atypiques : un pilleur de troncs d’églises dans Un drôle de paroissien, un inspecteur traquant une bête imaginaire dans La Grande Frousse, un enseignant antitélé dans La Grande Lessive ! ou un vétérinaire dans L’Étalon.

Sa popularité dépasse les frontières de l’Hexagone. En 1962, il est au casting du Jour le plus long, donne la réplique à Henry Fonda dans Guerre secrète, en 1965, ou à William Holden dans L’Arbre de Noël, en 1969. Début 1970, il livre l’une de ses plus belles performances, celle du commissaire Mattei, rompu à la routine de méthodes policières pas toujours avouables, dans Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville. Un film dont la grisaille qui symbolise la fatalité fait écho à celle que vit Bourvil, se sachant atteint de la maladie de Kahler, une affection de la moelle osseuse. Assommé de piqûres de morphine, il tourne difficilement son dernier film, Le Mur de l’Atlantique. Décédé à 53 ans, Bourvil projetait de retrouver son compère de succès Louis de Funès dans La Folie des grandeurs. Il n’en a pas eu le temps. « C’est injuste, je n’ai jamais fumé, ni bu, ma femme m’a toujours soigné avec une cuisine saine... »

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Dominique PARRAVANO

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