Charles Aznavour : Que c'est triste Venise !

France Dimanche
Charles Aznavour : Que c'est triste Venise !

Commencer sa tournée des plus belles places du monde par la place Saint-Marc. Un rêve que le chanteur Charles Aznavour caressait depuis longtemps. Et qui s'est transformé en cauchemar.

Pouvait-il imaginer un cadre plus romantique pour régaler le public de ses plus belles chansons ? Charles Aznavour se faisait une joie de donner un concert dans un aussi bel écrin que la place Saint-Marc, au cœur de Venise.

Ce récital en un lieu mythique de la Cité des Doges avait été préparé de longue date. Après s'être produit sur les plus célèbres scènes de la planète, l'interprète de Je m'voyais déjà a décidé de réaliser le rêve ultime d'une carrière d'exception : chanter sur les plus grandes places du monde.

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Une tournée qui se devait de passer par la Sérénissime, que Charles a immortalisée dans l'un de ses tubes les plus fameux : Que c'est triste Venise.

Un titre qui s'est, hélas, révélé prémonitoire le 16 juillet dernier ! Lui qui se faisait un tel plaisir de reprendre ses plus grands standards a bien vite dû déchanter !

Gondole

Tout s'annonçait pourtant si bien ! Arrivé en gondole la veille du concert, Charles était descendu dans un palace, le Luna Baglioni, avec sa fille, Katia, son gendre, Jean-Rachid (producteur de Grand Corps malade), et sa petite-fille, Leila.

Le jour J, très décontracté, il avait pris le temps de jouer les touristes, un chapeau et des lunettes noires le protégeant du soleil. Et sous une chaleur accablante, supérieure à 40 ° C, il a offert un animal articulé à sa petite-fille.

À 17 heures, l'artiste se rend place Saint-Marc pour répéter Je voyage, avec sa fille, Les émigrants, Morire d'amore et Mon ami, mon Judas, qui ne figurait plus à son répertoire depuis des années. Il enchaîne par les duos prévus avec ses invités : Franco Battiato pour L'amour c'est comme un jour, Massimo Ranieri pour Mes emmerdes et Patty Pravo, qui, face à un Charles agacé, décide d'interpréter ses propres chansons.

C'est alors que les problèmes techniques ont commencé : le piano s'avère défectueux, deux enceintes tombent en panne. On essaie alors en vain de rassurer Aznavour, qui se plaint de problème de retours et demande à entendre chaque instrument séparément.

Le concert débute à 21 h 45 sur une place pleine à craquer : 4.500 spectateurs s'apprêtent à applaudir leur idole. Une vingtaine de musiciens du prestigieux théâtre de la Fenice ont été mobilisés pour cet événement tant attendu.

Pourtant, dès la première chanson, Les émigrants, Charles Aznavour semble mal à l'aise et le signifie aux techniciens, expliquant que ses retours sont mauvais. Une situation qui ne va qu'empirer, jusqu'à ce qu'on lui annonce qu'une des consoles commandant le son ne fonctionne plus.

Au beau milieu de la valse des techniciens et des enceintes, l'artiste poursuit son tour de chant. Fou de rage, il serre les poings et ne cesse de pester contre ces conditions indignes pour se produire. L'ambiance sur scène, tout comme dans le public, devient tendue.

A cappella

Au moment de chanter son plus grand succès en Italie, L'istrione (Le cabotin), il s'y reprend à deux fois, faisant arrêter l'orchestre et s'adressant aux spectateurs : « C'est comme à la télévision, on va refaire une prise. »

De guerre lasse, n'entendant même plus le retour du piano, il décide de chanter sans orchestre, a cappella, sous les bravos du public. « Bon, on va travailler à l'ancienne. C'est comme la cuisine, c'est meilleur comme ça !» déclare alors l'artiste.

Comme si cela ne suffisait pas, la chanteuse Patty Pravo fait alors son entrée. Mais son interprétation trahit un état d'ébriété. Ce pauvre Charles paraît exaspéré.

Seul le duo avec son ami Massimo Ranieri parvient à détendre un instant l'atmosphère. À cette occasion, son complice lui offre un borsalino bleu.

Mais au moment de l'avant-dernière chanson, la vedette craque et lâche, exaspérée : « C'est la pire organisation que j'ai jamais vue au cours de ma carrière. J'ai jamais vécu ça !»

Et après le final, qui était très attendu, Que c'est triste Venise, chanté pour l'occasion en italien, il quitte la scène sans faire un bis. Il ne revient que deux fois saluer le public, esquissant un sourire avant de s'éclipser, entouré des siens. Enfermé dans la suite de son hôtel, il ne la quittera pas pour participer au pot organisé en son honneur.

Le lendemain, Il Gazzettino, l'un des plus grands quotidiens italiens, titre « Aznavour prend une gifle à Venise », comme si le beau rêve de Charles Aznavour s'était noyé dans les canaux de la ville chère à Casanova...

Claude Leblanc

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