Clémence Rochefort : "Comme papa, j'ai toujours cette angoisse du temps !"

France Dimanche
Clémence Rochefort : "Comme papa, j'ai toujours cette angoisse du temps !"

La “petite dernière” de Jean Rochefort nous livre un récit drôle et poignant sur son “papa”. Charmant et fantasque, comme un film de cet acteur et père irremplaçable.

C'est à la fois un grand malheur et une très grande chance qu'a vécu « ma Clémence » comme l'appelait Jean Rochefort : le bonheur d'avoir eu un tel père et l'horreur de l'avoir perdu il y a déjà trois ans. Alors, pour combler ce vide incommensurable, la jeune femme de 28 ans a choisi de raconter son Papa sous forme d'anecdotes, tantôt touchantes, souvent hilarantes. Jean Rochefort côté cœur, inoubliable interprète de Cible émouvante, Que la fête commence et Tandem, autant de titres de films qui pourraient symboliser la relation fusionnelle qu'il entretenait avec sa fille, Clémence. Ou la gloire de son père...

France Dimanche : C'était inconcevable pour vous de ne pas écrire sur votre père ?

Clémence Rochefort : Au début, on m'avait plutôt conseillé un spectacle sur scène, mais j'avais déjà cette idée de livre. Papa m'a d'ailleurs toujours poussée à écrire, sur tout. Il sentait que j'étais douée pour ça. Je l'en remercie car je voulais vraiment lui rendre hommage. Et j'en suis très heureuse, d'autant que Marthe Keller vient de m'appeler pour me dire qu'il aurait été fier !

FD : Le plus difficile a sans doute été de faire le tri entre toutes les drôles d'anecdotes autour de lui ?

CR : Oui, cela a été compliqué, parce que je voulais rester pudique. Je ne pouvais pas tout dire non plus !

FD : On sent des liens très fusionnels entre vous...

CR : Très forts, oui. C'est un grand vide maintenant, d'autant qu'à la fin, sentant qu'il allait partir, je le collais encore plus ! Je remplissais tout son temps, exprès !

FD : Il souffrait de quoi, en fait ?

CR : De problèmes pulmonaires. On a parlé de cancer, mais ce n'était pas du tout ça. Il n'était pas malade, il est mort de vieillesse, d'un manque de souffle. Entre la cigarette et le travail qu'il prenait à cœur et qu'il ne voulait pas arrêter, il ne s'est jamais vraiment ménagé...

FD : On découvre un père assez sévère, limite vieille France !

CR : Oui, il était très exigeant. Pas de télé, pas de grasses matinées, mais de l'activité, du sport ! Ma sœur et moi, il nous a vite considérées comme des adultes. Et s'il mettait aussi de la fantaisie dans nos vies, c'était toujours avec des codes ! Il avait en horreur la vulgarité... En fait, tout était assez paradoxal chez lui.

FD : Est-ce que, comme certains pères, il s'est relâché, voire lâché, en vieillissant ?

CR : Complètement oui. Dans ses tenues colorées, déjà ! Il était beaucoup plus à notre écoute, car il travaillait moins. Il était plus présent et tenait à nous inculquer quelques bases parce qu'il savait qu'il n'allait pas nous connaître longtemps...

FD : La fuite du temps l'angoissait ?

CR : Oui, que ma mère, plus jeune que lui, le voit vieillir, cela le terrifiait. Qu'il en soit dépendant, qu'il ne nous voit pas grandir, avec nos enfants... « Ne tarde pas à te marier ! », me disait-il. Comme il nous a eues tard, moi aussi j'ai toujours eu cette angoisse du temps. Cela m'a, très jeune, enlevé un peu d'insouciance, mais cela m'a aussi permis de beaucoup profiter de lui. Quand j'ai senti qu'il allait moins bien, j'ai vite su que la fin était proche. Ce n'est pas quelqu'un qui allait s'accrocher à la vie s'il ne pouvait plus travailler ni être en forme. Il ne voulait pas être un poids pour ses proches et souhaitait toujours se montrer sous son meilleur jour.

FD : Comme un acteur toujours en représentation ?

CR : Oui, et cela venait également de son éducation bretonne très rigoureuse. Il avait des côtés clown triste, comme beaucoup de comédiens. À 80 ans, il confiait à ma mère regretter de n'avoir pas été un « grand acteur », par exemple. Grave et léger à la fois.

FD : Ce n'est pas évident d'être une « fille de », y compris après sa mort...

CR : Quand il était là, je m'étais habituée à sa popularité. Mais, c'est sûr que, depuis, on me pose toujours des questions sur lui et il m'est impossible d'en faire mon deuil. D'ailleurs, je ne comprends pas cette expression... Je n'attends pas du tout ce moment où je serais guérie, ça n'arrivera jamais ! Je préfère me dire que je vivrais toujours avec ce manque, même si c'est douloureux.

FD : Vous dites aussi qu'il est toujours là à vous surveiller, surtout quand vous êtes avec un garçon...

CR : Il avait une telle personnalité ! Je sais que j'aurais du mal à trouver quelqu'un qui pourrait soutenir la comparaison...

FD : Savez-vous pourquoi il était autant aimé ?

CR : Déjà, lui aimait vraiment les autres et s'intéressait à tout le monde, sans faire semblant. Il était sincère, bienveillant, et avait le goût des gens. Il ne trichait jamais. Le public le ressentait, surtout à cette époque qui manque d'authenticité. Cela l'étonnait d'ailleurs : « Tu te rends compte ma Clémence, les gens me reconnaissent, comme ils sont gentils avec moi ! » Il n'en revenait pas et ne se rendait pas compte de ce qu'il représentait. C'est aussi cette candeur que j'aimais chez lui.

FD : Même candide et timide, il avait séduit la reine d'Angleterre !

CR : C'est vrai qu'il était très angoissé par ce dîner donné à l'Élysée, lui qui détestait les mondanités. Surtout qu'il ne parlait pas bien anglais ! Finalement, cela s'est bien passé car il a mis la reine dans sa poche en discutant chevaux... en français ! « Il n'y avait plus que moi qui existais pour Sa Majesté ! », s'enthousiasmait-il à son retour.

FD : Il n'aimait pas les dîners, mais prenait plaisir à retrouver ses vieux amis, ceux du Conservatoire notamment...

CR : C'était vraiment sa famille, et Jean-Paul Belmondo son frère ! D'autant qu'il détestait son vrai frère, que je n'ai jamais connu d'ailleurs. Ils ne se comprenaient pas. Et ce n'était pas mieux avec son père qui était consterné qu'il soit devenu comédien ! Aussi, quand le « vilain petit canard » a rencontré cette bande du Conservatoire, cela a changé sa vie !

FD : Une autre rencontre l'a également marqué, celle de Johnny Hallyday lors du tournage de L'Homme du train, de Patrice Leconte...

CR : Cela avait bien accroché entre eux, car mon père aimait beaucoup les timides réservés, les âmes sensibles. On sentait une estime mutuelle et un profond respect. Ils se ressemblaient un peu, et papa affirmait que s'était nouée une relation « père-fils » entre eux.

FD : C'était moins fluide avec Læticia, son épouse ?

CR : Non... Je décris juste une anecdote lors de la fête des 10 ans de mariage de Johnny et Læticia. Je ne savais pas si je pouvais la raconter, mais je trouvais ça plutôt drôle car, alors que ma sœur et moi n'étions pas invitées, papa nous avait quand même emmenées ! Cela n'avait pas ravi Læticia qui, du coup, en l'absence d'autres enfants, nous avait mises à la table de... Mimie Mathy !

FD : Qu'est-ce qui vous manque le plus aujourd'hui en repensant à lui ?

CR : Toutes ces petites choses du quotidien. Nos discussions lors des déjeuners, l'accompagner au théâtre. Surtout, je pouvais l'appeler à n'importe quelle heure quand j'allais moyennement bien, c'était vraiment une grande chance ! Il était un père très disponible, très à l'écoute, et s'intéressait toujours à ce qu'il m'arrivait...

FD : Et donc, ce premier livre vous a donné envie d'en écrire d'autres ?

CR : Oui, je pense déjà à un autre sujet, un roman cette fois...

FD : Et, mis à part l'écriture, quels sont vos projets ?

CR : Me trouver un agent afin de passer des castings pour le cinéma et la télévision. Sinon, j'ai réalisé un documentaire sur les kiosques à journaux, produit par Memento, que l'on devrait voir bientôt, j'espère, sur Arte ou Canal +. Sur les conseils de mon père, j'essaie de créer des projets et de ne pas attendre que le téléphone sonne, parce que c'est terrible !

FD : Pourquoi s'être intéressé aux kiosques à journaux ?

CR : Je n'aime pas les choses qui disparaissent. J'ai toujours besoin de les immortaliser pour ne pas les oublier, cela me terrorise. Ce qui explique sans doute ce livre sur papa !

• Papa, de Clémence Rochefort, éd. Plon, 18 €.

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