Dominique Besnehard : “Albertine est la femme de ma vie”

France Dimanche
Dominique Besnehard : “Albertine est la femme de ma vie”

L’agent de stars, dont la vie a inspiré 
la série “Dix pour cent”, Dominique Besnehard, est l’ami 
des plus belles actrices, mais son 
cœur est pris.

La série Dix pour cent est revenue le 19 avril sur France 2, pour six épisodes, avec une pléiade des stars : Fabrice Luchini, Isabelle Adjani, Juliette Binoche, Virginie Efira, etc. Elle s’inspire de la vie du plus grand agent du cinéma français, Dominique Besnehard.

Celui qui a découvert les plus belles femmes du cinéma français. Mais son cœur est déjà pris par sa mère, Albertine, qui lui donna les ailes pour s’envoler. Aujourd’hui âgée de 93 ans, elle a su le pousser à vivre ses rêves de gloire et à faire accepter son homosexualité.

« Je déjeune en tête en tête avec ma mère. » C’est par ce commentaire lapidaire publié sur son compte Facebook le 23 mars que l’agent témoigne du lien unique et fusionnel tissé depuis 63 ans avec celle qui lui a donné la vie.

Issue d’un milieu paysan « qui avait des terres et de l’argent », elle a tenu toute sa vie une crémerie-épicerie, puis une supérette, à Houlgate, en Normandie. Si cette maman fait battre le cœur de son Dominique, c’est d’abord parce qu’elle l’a encouragé à ne jamais se laisser abattre. Leur histoire est une leçon d’amour et de sacrifice exceptionnel.

Celui d’une mère qui a voulu le bonheur de son enfant avant le sien, en le laissant partir, malgré son anxiété, vivre à Paris à l’âge de 19 ans. Pour que l’enfant puisse réaliser l’ascension sociale qu’elle-même avait ratée. « Mes parents, et c’est pour ça que je les aime et les respecte, ne sont pas des intellectuels mais ils sont assez finauds », écrit l’agent dans son autobiographie, Casino d’hiver (éditions J’ai lu).

->Voir aussi - Dominique Besnehard : L'homme qui aimait les actrices

à 19 ans, Albertine lui donne donc sa liberté. Bac en poche, il part prendre des cours d’art dramatique à l’école de la rue Blanche. C’est sans regret que Dominique quitte sa petite ville : « L’hiver, à Houlgate, il n’y avait rien. Le casino était fermé. Dans le brouillard, avec ses affiches en lambeaux, battues par le vent, il devenait presque fantomatique. C’était infiniment triste. »

Albertine lui offre un matelas confortable sur lequel le jeune homme peut dormir dans sa chambre de bonne. C’est un premier pas vers l’indépendance : la seule solution viable pour Dominique est de s’exiler, de quitter son environnement provincial, étroit, qui l’asphyxie avec ses on-dit, ses commérages, ses préjugés et ses clichés. Dominique veut suivre sa propre voie affective et sentimentale.

Une voie qui a déserté le chemin des filles pour celui des garçons. Avec des mots touchants, l’agent des stars explique à quel point, très jeune, il a découvert sans aucune honte son inversion sexuelle : « J’ai toujours eu le sentiment d’être différent. Je n’aimais pas les mêmes choses que la plupart des garçons de mon âge, je n’aimais pas le sport, je n’aimais pas le foot, explique-t-il toujours dans Casino d’hiver. Je n’aimais que la télé, la chanson et le cinéma. Je rêvais d’être un artiste. J’avais plus de copines que de copains. J’avais même réussi au patronage à rester dans l’équipe des filles plutôt que dans celles des garçons. »

Liberté

L’attirance de son fils pour les personnes de son sexe, Albertine la devine. Elle ne lui en veut pas. Dans la France des années 1970 où l’homosexualité est un délit, c’est une femme de la vieille génération, certes, mais très ouverte d’esprit. Elle l’aime tel qu’il est. Ce n’est pas le cas de tous dans un pays où le sujet reste tabou, et où les donneurs de leçons de morale ne manquent pas. C’est aussi pour cela que Dominique quitte Houlgate tôt : il veut être libre d’aimer qui bon lui semble.

Bien sûr, se séparer d’Albertine est un déchirement. Mais Dominique se trouve une autre famille, celle du cinéma. Il entame sa vie d’artiste avec les actrices et acteurs qu’il aime déjà : « J’arrive donc en septembre 1973 à Paris, se souvient-il. Débute alors pour moi une période incroyable. J’avais gagné le concours, j’avais des ailes, je pouvais enfin faire ce dont j’avais toujours rêvé. Tous les matins, j’allais rue Blanche le cœur battant : il y avait Laurent Malet et Christophe Malavoy, que je trouvais très beaux... et que je regardais beaucoup ! »

Son carnet d’adresses parisien se remplit et son cœur bat très fort. Dominique connaît ses premières histoires d’amour avec de séduisants jeunes premiers. D’autres que Dominique se seraient laissés emporter dans le tourbillon du show-biz et des plaisirs faciles. Lui a toujours en tête l’exemple de sa « mère courage », qui l’aide à garder les pieds sur terre, bien enracinés dans la terre normande, celle de ses ancêtres. Cette mère qui a su lui inculquer le goût du travail bien fait...

Loyauté

Aujourd’hui encore, Dominique vénère cette maman unique qui l’encouragea à aimer sans préjugés. Il lui doit son épanouissement affectif, émotionnel, professionnel aussi. Grâce à ses talents d’acteur, puis de directeur de casting, il est devenu quelqu’un. Comme Albertine le voulait tant. Son fils a toujours fait preuve d’humilité, de loyauté et de fidélité.

Il est à la fois l’agent et l’ami des stars avec qui – pour certaines d’entre elles – il collabore depuis des décennies : Sylvie Vartan, avec Béatrice Dalle, Sophie Marceau, Sandrine Bonnaire, avec Nathalie Baye et Laura Smet, dont il est le parrain (avec Eddy Mitchell). Une longévité et un dévouement qui font l’admiration d’Albertine.

Et si l’homme « zozote » à l’oreille des plus grandes actrices, aucune d’entre elles ne prendra jamais dans son cœur la place qu’occupe Albertine, sa reine, qui sut dépasser les préjugés des autres pour respecter les différences.

Aujourd’hui, plus que jamais, mère et fils s’engagent main dans la main pour la défense des droits des homosexuels. Sur son compte Facebook du 23 mars, Dominique rapporte d’ailleurs le coup de gueule d’Albertine, qui déclare : « Fillon, c’est la honte à la France. Hollande ? Vous le regretterez ! » Et Dominique, en homme de gauche, de conclure : « La vérité sort toujours de la bouche des anciens. »

Dominique Besnehard estime avoir une double dette envers sa mère : elle lui a donné la vie en même temps qu’un frère jumeau, Daniel. Une aubaine, pour lui, l’homo, sans enfant, d’avoir ce frère, si proche de lui ! Un frère lui aussi amoureux des acteurs, puisqu’il dirigea le Centre dramatique d’Angers jusqu’en 2016.

Et à 93 ans, Albertine observe avec bonheur ses deux enfants qui veillent l’un sur l’autre, se couvent et s’aiment, aussi proches que dans leur berceau, à Bois-Colombes où ils sont nés, qu’à Houlgate, où ils ont grandi et où tout débuta.

Cédric Potiron

En vidéo