Éric Charden : L'ombre d'un double

France Dimanche
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Avec Stone, ce chanteur facétieux forma le duo star des années 1970. Il prenait régulièrement la tangente pour se révéler un poète flamboyant et fantasque.

“J'ai toujours vécu dans les nuages à l'Ouest, plein de conneries attachées à mes fesses », chantait Éric Charden. Pour cet artiste, qui a mené carrière pendant près de cinquante ans, le monde était trop gris pour qu'on le prenne au sérieux. Saltimbanque libre et fantasque, ce rêveur incorrigible a toujours avancé dans la vie à rebours de la gravité qui plombe l'air ambiant. Tour à tour facétieux, mais à la mélancolie furtive, ou sauvage comme un pur-sang, il parlait toujours avec la jubilation d'un prodigue en pieds de nez. Il n'était pas de la race des tièdes, sorte de cousin goguenard et délirant des rêveurs de société qui, dans la traîne de 68, inventaient de douces divagations.

Il charriait dans sa carriole de poète taquin des utopies sonores. Improvisateur foutraque et faribolant, il tenait souvent les scènes en s'y risquant au chamboule-tout, déroutant parfois sa partenaire Stone.

Son monde est Stone

De son vrai nom Jacques-André Puissant, il naît le 15 octobre 1942 à Haïphong en Indochine (Vietnam), d'un père français ingénieur des ports – volage – et d'une mère à moitié tibétaine avec laquelle il fuit les soubresauts de son pays natal et arrive à Marseille en 1954. Le baccalauréat en poche, il monte à la capitale pour intégrer l'école de commerce, HEC. Mais la chanson l'attire. Tout en enchaînant les petits boulots, il compose des démos avec lesquelles il entend attirer l'attention. C'est chose faite en 1963 avec J'ai la tête pleine de Provence, un premier titre éponyme de l'album. Si le disque ne connaît qu'un succès d'estime, il a le mérite de mettre en lumière son talent.

Iconoclaste, il ne cède pas au diktat des reprises des tubes anglo-saxons de l'époque yé-yé. En 1965, son second album Amour Limite Zéro fait des étincelles. Il affine son art en mettant ses talents au service des vedettes du moment : Sheila, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Claude François...

En 1966, il tombe sous le charme d'Annie Gautrat lors d'une soirée organisée par Salut les copains au cours de laquelle elle est élue Miss Beatnik. Tandis qu'elle se lance dans la chanson sous le pseudonyme de Stone, il lui écrit deux textes originaux (C'est ma vie et J'aurai raison) sur son premier « quatre-titres ». Il l'épouse le 27 juin 1966. En 1967, sa romance Le monde est gris, le monde est bleu déchire les hitparades avec près d'un million d'exemplaires. En 1969, son quatrième album, La Chine, ne connaît pas le même sort heureux.

D'amour et d'odes fraîches

Au début des années 70, un peu à l'encontre de sa volonté de mener une carrière solo, le couple se lance en duo, sous le nom Stone et Charden. Ils enregistrent un étonnant premier 45-tours, Le seul bébé qui ne pleure pas (« le seul bébé qui ne pleure pas / c'est celui qu'on est en train de faire »), mais c'est avec L'Avventura que la France populaire célèbre leur fougue sentimentale. Ce morceau au romantisme appuyé à gondoles crève tous les plafonds.

Les deux tourtereaux chantent le sentiment amoureux et un Hexagone de carte postale, où l'on admire les vaches Made in Normandie en parcourant les petits chemins à vélo (Il y a du soleil sur la France) et en chantant du Tino Rossi (Laisse aller la musique). Rengaines populaires, ritournelles enrubannées, refrains dansants... leurs chanson s (Le Prix des allumettes,

L'Amour, pas la charité, La Suite de ma vie...) punaisent les années 70. Une puissance de feu qui ne laisse pas de place à l'économie. Le duo vire en phénomène de société : il fait l'Olympia en 1973, devient le héros d'un roman-photo, truste les couvertures de magazines, alimente la « une » des gazettes sucrées et salées, avant de dessaler à la ville en 1974, deux ans après la naissance de leur fils Baptiste. Cette même année, Éric Charden enregistre 14 ans, les Gauloises.

Disco et des bas...

En 1975, avec Guy Bontempelli, il écrit un spectacle musical Mayflower, du nom du navire qui mena des immigrants anglais en Amérique en 1620. Il se joue à guichets fermés. Ensuite, ses trois albums sortis en 1976, 1977 et 1978 (C'est boum la vie, Pense à moi et Promène) ne font pas date.

En 1979, il prend le virage du disco avec L'été s'ra chaud, cosigné avec Didier Barbelivien. Ce tube est la bande-son de l'été 79, de la Côte d'Azur à Saint-Malo. Cette même année, la comédie musicale L'Opéra vert ou les Fantastiques aventures de Spax et Aldémarande qu'il écrit aussi avec Didier Barbelivien est un flop. Mais dans la foulée, il compose les génériques des versions françaises du dessin animé japonais Albator, le corsaire de l'espace, et du savoureux feuilleton de science-fiction nippon San Ku Kaï. Seulement, au seuil avancé des années 80, il continue de livrer des albums (J't'écris en 1980, Au milieu... en 1981 et D'amour en 1984)... sans succès.

De pauses assumées en poses amusées

Dès lors, durant presque une décennie, Charden prend du recul, se consacre à la peinture et à l'écriture. En 1992, il défie encore le cloisonnement des genres avec Je rock ma vie. L'album ne ferre pas le public. En 1995, Indochine 42, au parfum enivrant de nostalgie, bien que salué par la critique, ne lui apporte pas plus de réconfort. En 2002, il sort une autobiographie (Le monde est gris, le monde est bleu) et un nouveau disque, Le Magnifique Mensonge, dans lequel il se livre à quelques contorsions mélodiques. Un an plus tard, sa compilation J'suis snob lui permet de réinvestir le devant de la scène.

La voilà qui revient la chansonnette...

En 2007, alors que sort Amalavague, son dix-septième album composé sous les auspices de Dorian Gray, il rejoint, en traînant des pieds, le bataillon des idoles des années 60 et 70 sur la tournée Âge tendre et têtes de bois. Ce retour gagnant avec Stone donne envie au duo de se reformer. C'est chose faite en 2012 avec l'album de reprises Made in France.

Mais le chanteur est déjà très malade. Une semaine après sa sortie, il décède le 29 avril 2012. Ce jour-là, il n'y a plus de soleil sur la France...

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Dominique PARRAVANO

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