François Mitterand : Il y a 40 ans, il voulait changer de vie...

France Dimanche
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Le 10 mai 1981, pour la première fois dans l'histoire de la Veme république, les Français découvrent l'alternance et élisent un président socialiste. Après une longue marche vers le pouvoir, François Mitterand a marqué en profondeur la vie politique.

Elle enflait, la rumeur, depuis le premier tour de l'élection présidentielle de 1981 et après le refus de Jacques Chirac d'appeler ses partisans à voter pour Valéry Giscard d'Estaing au second : François Mitterrand, 64 ans, allait l'emporter. À partir de 17 heures, ce dimanche 10 mai 1981, les militants se regroupent au siège parisien du Parti socialiste. Vers 18 heures, les rédactions bruissent de rumeurs que le candidat de la gauche a des chances d'être élu. Au fil des minutes, les instituts de sondage confirment la tendance. À Château-Chinon, c'est l'effervescence. Mitterrand a voté dans cette commune nivernaise dont il est maire et il a choisi d'y attendre les résultats à l'hôtel du Vieux Morvan. Vers 18 h 30, il rejoint la grande salle où de nombreuses sources concordent pour confirmer sa victoire.

Il est 20 heures. Jean-Pierre Elkabbach et Étienne Mougeotte annoncent : « Voici le portrait du nouveau président de la République. » Le visage électronique de François Mitterrand se dessine progressivement. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve  République, les Français portent un socialiste à la tête de l'État, avec 51,76 % des suffrages exprimés. Un succès acquis grâce à une intelligence des alliances et des réseaux et un labour en profondeur des provinces et des couches sociales. « Cette victoire est d'abord celle des forces de la jeunesse, des forces du travail, des forces de création, des forces du renouveau, qui se sont rassemblées dans un grand élan national pour l'emploi, la paix, la liberté, thèmes qui furent ceux de ma campagne présidentielle et qui demeureront ceux de mon septennat. » Un événement majuscule car la France découvre l'alternance, près d'un quart de siècle après la création de la Ve  République. La droite, elle, est K.-O.

Ce soir-là, la pluie est battante mais elle n'éteint pas l'enthousiasme du peuple de gauche. Dans la cour de l'hôtel particulier de la rue de Solférino, au quartier général du Parti socialiste, les tentes dressées pour l'occasion ne peuvent contenir la foule qui se presse. À la Bastille, larmes de joies et gouttes de pluie se mêlent sur les visages radieux. On scande « Mitterrand président ». À Toulouse, on défile dans les rues en brandissant des roses. À Marseille, c'est le 14 juillet ! À Bastia, la victoire est saluée par des salves de coups de feu. Partout, cette soirée reste gravée dans la mémoire de tous ceux qui espéraient l'arrivée de la gauche au pouvoir et qui commençaient à ne plus y croire.

Car depuis 1958, la droite règne. En France, en un siècle et demi, aucun régime – à l'exception de la IIIe  République – n'a duré vingt ans. Alors vingt-trois ans, c'est long, surtout avec son cortège d'occasions manquées : Mai 68, la révolte enfante au forceps d'un renforcement du régime. 1974, Mitterrand trébuche dans le tapis rouge de la présidentielle (il échoue de 424 599 voix). 1978, les législatives filent comme le sable entre les doigts d'une opposition plombée par les acrimonies du Parti communiste...

Enfin le grand soir ! En 1981, grâce à la mobilisation de la gauche et au coup de pouce de Chirac, la malédiction est vaincue. La gauche renoue avec l'histoire. Il y avait déjà eu un président socialiste, mais le titulaire de la fonction, Vincent Auriol, élu en 1947 par le Parlement, ne jouait, selon la constitution de la IVe  République, qu'un rôle de représentation. Il y avait aussi eu des ministres communistes – dont certains sont entrés dans l'histoire, comme Ambroise Croizat, le créateur de la Sécurité sociale –, mais ceux-ci participaient aux gouvernements mis en place dans le sillage de la Libération, entre 1944 et 1947.

François Mitterrand incarne alors l'espérance pour un peuple qui souffre des ricochets de la crise et des chocs pétroliers. Il porte des aspirations sociales et sociétales nouvelles, issues de Mai 68. Il incarne une stratégie d'union de la gauche finalement gagnante en dépit des tensions et rivalités. Dix ans après avoir conquis le Parti socialiste, à force d'opiniâtreté et grâce à une démarche audacieuse – s'allier aux communistes pour les affaiblir –, il assouvit son ambition présidentielle et fait gagner son camp. « Quelle histoire ! », souffle-t-il lorsqu'il apprend son succès à Château-Chinon. Dans l'après-midi, en toute discrétion, il téléphone à Anne Pingeot, la femme de sa double vie : « Je crois que ça va passer », lui dit-il. De retour à Paris dans la nuit, il constate que sa victoire a plongé une partie du pays dans une euphorie lyrique portée par les slogans de sa campagne « Changer la vie » et « La force tranquille », ciselés par Jacques Séguéla.

Bien sûr, cette poussée de fièvre, cette exaltation, ne durera pas. Dès 1982, la rigueur pointe à l'horizon et les rêves se cognent à la réalité économique. C'est la fin de la parenthèse enchantée, après quoi les Français devront ingurgiter la potion amère de l'austérité. Le 23 mars 1983, la France inaugure la politique de la rigueur. Des réformes importantes sont accomplies, mais les deux mandats de Mitterrand ne tiendront pas toutes leurs promesses. Toutefois, au-delà d'un bilan contrasté, il a prouvé que la gauche est capable de réaliser l'alternance, de gouverner dans la durée. Aujourd'hui encore, les socialistes s'efforcent de lui trouver un successeur.

Mais surtout l'accession de François Mitterrand à la présidence, ce sont des réformes qui font date : retraite à 60 ans, abolition de la peine de mort, autorisation des radios libres, création de l'impôt sur les grandes fortunes, nationalisations, 39 heures hebdomadaires, accords de Nouvelle-Calédonie, dépénalisation de l'homosexualité, Grand Louvre... Ce président venu de la droite pour exalter la gauche a marqué en profondeur la vie politique. S'il échoua à réaliser les espérances socialistes, il ouvrit à la France le nouvel horizon de la construction européenne avec le traité de Maastricht pour accompagner l'unité allemande. Porté par deux fois à la magistrature élyséenne, il est parvenu à imposer son nom, sa figure marmoréenne, à la suite de De Gaulle, l'autre « grand » qui a remué les Français. Ils l'ont aussi été par François Mitterrand : de l'espérance au désespoir, de l'illusion à l'incompréhension, de la séduction au mensonge.

Dominique PARRAVANO

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