Grace Kelly : Une promenade pour comprendre le mot "bonheur"

France Dimanche
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Le 6 mai 1955, Grace Kelly, la comédienne préférée d'Hitchcock, venue présenter au festival de Cannes “la main au collet”, est invitée par le souverain monégasque pour une visite de courtoisie dans son palais. Ce discret rendez-vous se mue en coup de foudre…

En vérité, cette rencontre n'a rien de fortuit : elle est organisée d'une main de maître par Pierre Galante, journaliste à Paris Match. Son idée ? Faire un « gros coup » en rassemblant face à ses photographes deux célébrités naissantes dont la liaison potentielle doperait les ventes de l'hebdomadaire.

Ce reportage monté de toutes pièces démarre mal : Grace Kelly, débordée, ne voit pas l'intérêt de rencontrer ce « petit monarque inconnu » qui n'a pas la prestance d'un Cary Grant. C'est pourquoi elle rechigne à se rendre au palais. De plus, une grève empêche ce jour-là les femmes de ménage cannoises de repasser la robe blanche qu'elle a prévu de mettre. Agacée, elle se rabat sur une robe noire à grosses fleurs. L'acteur Jean-Pierre Aumont, son ami, aura toutes les peines du monde à la convaincre d'honorer ce rendez-vous.

Rainier, lui, n'est pas très intéressé par la perspective de cette entrevue. Il aurait préféré se rendre au zoo qu'il fait bâtir à Monaco.

Comble de malchance : en route pour la principauté, Grace Kelly voit sa voiture heurtée par celle des photographes ! Elle arrive au palais en sueur, contrariée, pour constater qu'elle a oublié son chapeau à Cannes ! Lorsque Pierre Galante lui explique que Son Altesse Sérénissime Rainier III sera très en retard, elle s'emporte : n'en pouvant plus de faire les cent pas dans une vaste pièce tout en pestant contre sa tenue « ridicule », elle décide soudain de s'éclipser. Elle lance : « Je pars ! Je rencontrerai le prince plus tard, lors de son séjour en France. Et cette fois-là, au moins, j'aurai un chapeau. »

Il est 15 heures. Grace Kelly s'apprête à sortir lorsque la Lancia de Rainier entre dans la cour. L'actrice se fige et accepte alors de patienter. Contre toute attente, elle est soudain prise d'une incontrôlable crise de panique. Ses joues deviennent écarlates et ses mains tremblent. Nerveuse, elle se tourne vers Pierre Galante et l'interroge d'une voix blanche d'anxiété : « Mais... Comment dois-je l'appeler ? Et comment le saluer ? » D'un ton rassurant, le journaliste lui conseille de lui dire « Votre Altesse » et de lui adresser une simple révérence.

Le 19 avril 1956, lendemain du mariage civil qui a consacré Grace Kelly princesse consort de Monaco, la cérémonie religieuse a lieu en la cathédrale Notre-Dame-Immaculée.

Paniquée, elle s'isole alors dans un recoin de la salle et, telle une petite fille, s'entraîne à faire des révérences en parlant toute seule face au rideau. La scène, touchante, amuse les domestiques... Croisant un miroir, elle est consternée par son maquillage ! Dans l'urgence, elle se repoudre le visage et se remet du rouge à lèvres d'un geste saccadé. Elle ne sait pas que Rainier est déjà là et qu'il la regarde.

Regarder... Le mot est faible. Le prince la dévore plutôt avec des grands yeux d'enfant étonné. Jamais, de son existence, il n'a vu une telle beauté : distinguée sans être arrogante, chic et séduisante sans être hautaine ni lointaine... c'est une femme parfaite qu'il contemple, ému. Et surtout, il est impressionné par l'immense classe qui émane de cette splendeur à la blondeur lumineuse et au port de tête altier...

Pierre Galante s'exclame, solennel : « Monseigneur, je vous présente Miss Kelly. » Doucement, la comédienne se retourne, pour découvrir à son tour un homme séduisant : vêtu d'un complet croisé bleu marine, le visage plein de douceur, il la fixe de ses beaux yeux azur et lâche, humblement : « Je vous prie de me pardonner pour mon retard. » Pour toute réponse, Grace Kelly s'approche de lui et s'incline, le temps d'une révérence parfaite.

Il est 15 h 10, et un raz-de-marée silencieux submerge Rainier et Grace, dans cette grande salle d'honneur dont les baies vitrées dominent Monaco. Ni les photographes présents ni Pierre Galante ne devinent la puissance du coup de foudre qui se déroule pourtant sous leurs yeux. En bon observateur, le journaliste de Paris Match remarque néanmoins que « les deux visages rayonnent d'une immense complicité ».

Insouciants, comme seuls au monde malgré les photographes qui les mitraillent, Rainier et Grace marchent côte à côte dans les magnifiques jardins de la principauté. Pour la première fois de sa vie, le jeune prince apprécie le doux soleil de mai qui éclabousse les jonquilles, les roses et les tulipes. Il revit et respire à pleins poumons les saveurs d'un air tiède où se mêlent les parfums des fleurs et de la mer.

Rainier a l'étrange sentiment de connaître cette femme-là depuis toujours. Lorsqu'il la couve du regard, il se sent comme invulnérable face à ce détestable Aristote Onassis qui, via la Société des bains de mer de Monaco, rêve de s'emparer des richesses de la principauté. Instinctivement, il sait qu'en liant son destin à celui de Grace Kelly, il sauvera un royaume encore fragile, que le gouvernement français cherche à annexer, afin de le soumettre à son despotisme fiscal...

Et Grace ? Elle aussi vit un enchantement. Les yeux du prince, dans lesquels elle se voit si belle, lui font oublier le calvaire secret d'une vie affective chaotique. Si seulement son père, l'autoritaire Jack Kelly, avait pu la regarder ainsi... Jack, le milliardaire arrogant de Philadelphie, figure paternelle écrasante, qui n'a jamais eu pour elle ni une parole gentille ni un geste tendre. Coureur de jupons, il repoussait sa cadette vers les jupes de sa mère Margaret, une catholique pratiquante aux origines prussiennes. Étroite d'esprit, Margaret Kelly a élevé sa fille dans la rigueur morale la plus stricte et la méfiance des hommes, l'obligeant à suivre ses études dans l'austère couvent de l'Assomption de Philadelphie. Conséquence de cette sinistre enfance, d'une santé fragile, victime de sinusites chroniques et d'anémie, Grace Kelly est, dixit son père, « le vilain petit canard de la famille ». Timide, elle est atteinte à 12 ans de myopie : obligée de porter de grosses lunettes, elle est traitée par ses camarades d'école de « sale binoclarde ».

En flânant avec Rainier, Grace voit s'éloigner ses pires souvenirs... Dès que le prince, touchant à force d'attentions, se retourne et lui adresse un sourire, elle oublie aussitôt la mort tragique de son premier grand amour, un brillant étudiant de 18 ans dont elle était folle amoureuse, mais qui fut terrassé d'une sclérose en plaques. Elle ne pense plus à sa désastreuse liaison avec Don Richardson, professeur de comédie rencontré sur les planches des théâtres de New York. Divorcé et démocrate, l'artiste fut écarté sans ménagement par le père de Grace. Harcelé et menacé de mort par les hommes de main du clan Kelly, Richardson dut se résoudre à la quitter, à son grand regret...

Dans les jardins de la principauté, chaque blessure enfouie, chaque drame secret s'efface comme par enchantement de sa mémoire. En compagnie de Rainier, la froide héroïne d'Hitchcock, la star secrètement blessée qui foudroyait d'un regard glacial les hommes trop entreprenants n'est plus la même : elle est amoureuse, follement, et conquise par la simplicité du prince.

Au bout de trois quarts d'heure de promenade, alors que les photographes rangent leurs appareils, Pierre Galante annonce à Grace que la rencontre va s'achever. L'actrice semble amèrement déçue, Rainier aussi. Se quittant à contrecœur, ils projettent de se revoir, à l'occasion d'un gala de charité qui a lieu à Manhattan le 6 janvier suivant.

À propos de cette journée magique du 6 mai 1955, Grace Kelly avouera quelques jours plus tard à son ami Jean-Pierre Aumont : « Merci de m'avoir convaincue. Il m'aura fallu cette promenade-là pour comprendre le sens du bonheur, un mot qui était jusqu'à ce jour étranger de ma vie. »

Le prince et la princesse du septième art succombent à leurs charmes réciproques sur le tournage de Christine. Fiancés pour faire taire les ragots des médias, ils doivent toutefois gérer leur carrière. Le succès de l'un sera fatal à leur amour.

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