Hervé Vilard : "Je voulais tellement cet enfant !"

France Dimanche
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Avec l'ultime tome de son autobiographie, le pupille de la chanson Hervé Vilard poursuit le tour de sa vie sans détour. Une existence noircie par des drames intimes…

Été 65. Capri, c'est fini révèle un jeune chanteur qui impose sa fatale séduction au plus large public. À 74 ans, alors que sa carrière s'embrase de lueurs crépusculaires, Hervé Vilard sort le dernier volume de son autobiographie parue aux éditions Fayard, intitulé Du lierre dans les arbres. Un opus où le nombrilisme de son métier est soumis à la surveillance ombrageuse de l'homme qu'il est, marqué d'une indélébile petite enfance cabossée. Des années de conquêtes, de gloriole et d'exil. L'échappée belle salutaire dans le presbytère de sa prime jeunesse. Des rencontres illustres, de gens simples qui l'ont guéri de ses maux d'artiste et des disparitions d'êtres chers. L'interprète de Nous aura forgé son existence sans compromission à la facilité. À la manière d'une série de capitulations, ce fils de personne a survécu à bien des épreuves acérées. Sans fard, il se confie pour France Dimanche...

France Dimanche : Vous sortez votre suite autobiographique. Trois volumes étaient-ils nécessaires pour vous raconter ?

Hervé Vilard : Ce métier m'a tout offert. J'ai eu une vie magnifique. L'orphelin que je suis revient de loin. J'ai découvert le monde, rencontré les plus grands, mais j'ai été aussi confronté à la misère, de Bogotá à Buenos Aires. Mon existence ressemble à une comédie humaine.

FD : C'est tout sauf un livre de chanteur avec une écriture portée haut...

HV : Je me suis appliqué toute ma vie. Je suis entré en littérature comme dans la chanson. Quand j'ai commencé, je n'ai pas voulu chanter d'adaptations américaines. Avec une histoire comme la mienne, j'ai tenu à faire de la littérature. Je n'ai pas souhaité écrire un livre de chanteur avec des ragots et des anecdotes. Je l'ai lu à voix haute et plusieurs fois j'ai remis mon ouvrage et je l'ai poli. J'ai voulu me servir de mon histoire comme un spectateur de la vie, avec une singularité dans l'écriture.

FD : Les soirées déliquescentes, les remous du cœur, le succès qui s'enraye, les prédateurs, les débinages du métier... C'était important, ce souci de la vérité ?

HV : Sans aigreur, j'ai voulu raconter ce métier, ses vices, ses cruautés, ses mirages, peindre le portrait et la diversité des genres humains, les mensonges mais aussi la vie d'un chanteur, le rejet de ce qu'il représente parfois et le monde qu'il a écumé.

FD : Le paradoxe n'est-il pas d'être un chanteur connu que personne ne connaît...

HV : J'ai tout fait pour qu'on ne me connaisse pas. J'ai toujours cultivé ma solitude. Je crois que ça vient de l'enfance, d'avoir fait sept familles d'accueil. Je voulais juste chanter pour atteindre le cœur des gens. Il n'était pas question d'étaler mes drames, de réinventer ma vie privée ou de céder aux astuces pour monter au hit-parade. J'ai toujours rejeté la gloire qui répand le mensonge.

FD : Vos mots vrais le sont-ils pour adoucir une douleur qui traverse votre livre...

HV : C'est un métier douloureux et cruel. Je suis toujours entré en scène heureux mais souvent ressorti malheureux, et je ne suis pas le seul. Il ne faut pas se regarder et s'écouter dans ce métier. Il faut s'oublier et se livrer. L'exigence nous taraude en permanence.

FD : Votre tuteur, Daniel Cordier, résistant et secrétaire de Jean Moulin, nous a quittés. « On va te sortir de là », vous a-t-il dit quand vous aviez 15 ans, en parlant de l'orphelinat...

HV : Cette phrase a résonné comme un pacte de vie entre nous. Il a extrait l'enfant sauvage que j'étais. Il fut mon libérateur, mon maître et mon éducateur. Il fallait être digne de cet homme hors du commun. Je lui dois le savoir, la connaissance et Capri, c'est fini pour lui montrer ce dont j'étais capable.

FD : Il aurait aimé que vous vous accomplissiez en bourgeois. C'était à contrecourant de votre tempérament...

HV : J'étais insolent et orgueilleux. J'allais là où le cœur me menait. Il y avait une musique permanente en lui qui résonnait, de jeune garçon. Mes rapports avec lui étaient une lutte constante, comme un père et un fils.

FD : « Je lui ai offert sa chance, il a bien su l'utiliser. Au terme de ma vie, il n'y a pas beaucoup de gens dont je peux dire que je les respecte. Lui, je le respecte », affirmait-il de vous...

HV : Notre lien demeura solide. Il ne parlait pas à demi-voix. Je l'écoutais. Il a résisté à beaucoup de choses et cela forçait mon admiration.

FD : Vous n'avez pas été épargné par les épreuves comme la mort d'une Mexicaine qui attendait un enfant de vous. On est irréparablement abîmé...

HV : On pense qu'on ne s'en relèvera pas. Je voulais tellement cet enfant. Je voulais rentrer chez moi, et que quelqu'un m'y attende, pouvoir endormir un enfant.

FD : Fonder une famille restait impérieux pour l'orphelin que vous êtes ?

HV : Qu'est-ce qu'il me restait, à 30 ans, si ce n'est fonder une famille ? Ce n'est pas parce qu'on est homosexuel qu'on ne peut pas le faire. En France, j'avais moins de succès et ma mère avait Alzheimer. Au Mexique, j'étais une idole nationale et j'avais trouvé une compagne avec laquelle on s'aimait éperdument. Nous voulions un enfant mais sa mort a emporté mon désir de père.

FD : Et l'adoption, vous y avez songé ?

HV : Je m'élève contre l'adoption. J'ai refusé de l'être par Daniel Cordier. Ce n'est pas aux adultes d'adopter les enfants, mais à eux de choisir dès qu'ils ont l'âge de raison. Il y a l'émotion d'une absence sur le visage d'un enfant adopté, comme s'il était toujours prêt à partir.

FD : Pour fuir les dangers de votre métier, vous vous êtes arrimés à un port d'attache, votre presbytère...

HV : La campagne m'aura préservé des vices de ce métier. Je n'ai pas le goût de la destruction. Je ne voulais plus blanchir mes nuits dans les boîtes, à boire et voir traîner les mégots. Le hasard a voulu que j'achète le presbytère de mon enfance. Je l'ai construit comme un jeu de Lego d'enfant. J'ai voulu qu'il soit le plus beau et j'ai essayé de le remplir. J'y suis resté seul avec deux chiens, mais j'y ai rencontré Simone.

FD : Vous vous êtes attaché à cette voisine au cœur simple autant que vous vous êtes heurté à sa pauvreté...

HV : Elle est devenue une mère à choyer qui m'a rendu humble. J'étais son garçon. J'ai voulu lui rendre la vie agréable. Je lui ai ouvert mon cœur. J'ai racheté la maison de la cure et le terrain à ses petits-enfants pour qu'elle ne vive plus dans l'angoisse d'être délogée. On partageait des plaisirs quotidiens, des sourires complices et nos dimanches se pliaient à nos habitudes. À son décès, j'ai payé à la petite lavandière qu'elle était un cercueil en chêne.

FD : Vous avez de jolis mots sur Nicoletta dont vous dites qu'elle tient envers vous « son devoir de famille »...

HV : Elle est comme ma sœur. Je l'ai vu grandir, j'ai connu sa grand-mère qui m'adorait. On a tant partagé. Sa grande réussite est son fils qu'elle a su protéger des affres de ce métier.

FD : Et également sur Dalida...

HV : C'était ma muse, ma marraine. Une profonde tendresse nous unissait et on se voyait en secret. Le jour où elle est partie, c'est une partie de moi qui s'en est allée. On se demande alors quels sacrifices il faut concéder en faisant ce métier pour n'avoir aucune récompense en amour. J'étais dans son corbillard, et je revois cette foule silencieuse qui lançait des baisers en guise d'adieux. Quoi de plus beau pour les chanteurs populaires que nous sommes...

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Dominique PARRAVANO

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