Jacques Chancel : Aveugle !

France Dimanche
Jacques Chancel : Aveugle !

 
A 86 ans, le journaliste Jacques Chancel revit le cauchemar de ses 20 ans, quand il avait sauté sur une mine en Indochine et avait connu la cécité…A 86 ans, le journaliste Jacques Chancel revit le cauchemar de ses 20 ans, quand il avait sauté sur une mine en Indochine et avait connu la cécité…

Il a eu 86 ans l’été dernier. Avec Pierre Bellemare et Pierre Tchernia, Jacques Chancel est un des derniers dinosaures de la télé française encore vivants. Imaginez, il a commencé en 1971 sur l’ORTF ! Le grand écran, il l’a quitté en 1998 mais il continue à l’apprécier, le chroniquant régulièrement dans son journal intime, dont le dernier opus, Pourquoi partir ?, vient de sortir. L’auteur y retrace ses années 2011-2014 et fait une révélation incroyable : pendant trois mois, de janvier à mars 2014, il a été aveugle ! Un long voyage dans la nuit que cet homme de lettres retrace magnifiquement.

Ses ennuis commencent durant l’été 2012. « Je vois de loin, seulement des ombres ; sont-elles mes fantômes d’autrefois ? », s’interroge-t-il. Ce qui le chagrine le plus, c’est que cette cécité rampante gêne son activité d’écrivain. « L’accident de juillet qui voile mes yeux retarde singulièrement l’écriture », constate-t-il.

Festival Radio Classique, 18 juin 2011 © Emmanuel Donny

Naufrage

En octobre 2012, Jacques Chancel reprend espoir quand on l’appareille de nouvelles lunettes et d’un projecteur de poche pour éclairer ses pages. « Les yeux, c’est l’ouverture au monde, le passage à la beauté, le luxe du regard. Ne plus voir, c’est se condamner à la fuite, au silence. » En février 2013, l’animateur du Grand échiquier s’émerveille d’être « revenu à la lumière ».

Mais, au fil des mois, les choses se dégradent à nouveau. « J’arrive encore à lire les titres des journaux, à déchiffrer quelques ouvrages à gros caractères. L’endormissement des yeux est un naufrage ! », écrit-il alors comme un appel au secours.

En janvier 2014, l’octogénaire fait ce triste constat : il ne voit plus. « Je ne lis plus, j’ai du mal à suivre ma propre écriture », note-t-il alors. Quelques jours après, il cherche à positiver : « De loin, je distingue encore des choses. » Avant de s’indigner : « Quelle galère ! Il n’est pas si loin, pourtant, le temps où toute lecture m’était visible, où j’écrivais des heures durant. »

Salon du roman historique 2014 © Ville de Levallois

Fin de l’histoire ? Non, car malgré son grand âge, Jacques Chancel reste un combattant. En mars dernier, il décide de jouer son ultime carte : l’opération au laser. Et ça marche ! L’intervention ressuscite ses iris bleus. Le « faisceau bienheureux », comme il l’appelle joliment, a « nettoyé ma vitre sale ». Il peut à nouveau lire et admirer ses petits-enfants, Augustin (3 ans) et Philippine (7 ans).

Pendant ces mois d’angoisse, notre miraculé a eu l’étrange sentiment d’être revisité par le destin. Et pour cause : ce cauchemar, il l’avait déjà vécu soixante-six ans plus tôt ! En 1948, correspondant de guerre en Indochine, Jacques embarque avec des officiers à bord d’un command-car. Il saute alors sur une mine pendant la traversée d’un pont. Projeté sur une berge, il sort du coma une semaine plus tard à l’hôpital de Saïgon. « Allumez la lumière », demande-t-il. Le jeune homme est aveugle et ses camarades sont morts. Pendant près d’un an, il va lutter pour recouvrer la vue à grand renfort de patience, de rééducation et de marches avec une canne blanche.

Ce drame, il l’a raconté pour la première fois l’an dernier dans son livre La nuit attendra. « Six décennies durant, j’ai refusé de parler et d’écrire sur l’année horrible de mes 20 ans », admet-il. Aujourd’hui, après avoir cru que « le noir (lui) était à nouveau promis », Jacques Chancel savoure ce deuxième miracle que lui offre la vie.

"Pourquoi partir ?", de Jacques Chancel, aux éditions Flammarion, 19,90 €.

Benoît Franquebalme

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