Jacques Chirac : La France dans la peau !

France Dimanche
Jacques Chirac : La France dans la peau !

Dès son enfance, le futur � président � Jacques Chirac a montré une double personnalité, tiraillé entre un côté “peuple” très terrien et une farouche volonté d’intégrer l’élite des plus grands corps d’état.

Mais lorsqu’il est parvenu à concilier ces deux facettes, il est devenu irrésistible. Qui est celui qui lutte aujourd’hui contre la mort ? Pendant un demi-siècle, il a fait partie de la vie de tous les Français, a rempli leur existence collective de ses faits et gestes, les a même guidés et conduits durant plus de dix années... et pourtant, est-ce qu’on connaît vraiment Jacques Chirac ?

À l’heure du bilan, peut-on dire avec certitude : cet homme est ceci ou cet homme est cela ? C’est d’autant plus difficile que, dans son cas, on a de grandes chances que les deux soient vrais : le « ceci » tout autant que le « cela ». Car Jacques Chirac a toujours présenté au monde deux visages, en apparence impossibles à réconcilier, mais qui, chez lui, ont réussi à se compléter, comme les côtés « pile » et « face » d’une seule et même pièce de monnaie, pour donner l’être unique qu’il est.

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Cette dualité de Jacques Chirac est présente dès sa naissance. Car si son père et sa mère sont bel et bien tous deux de vieille souche corrézienne, c’est à Paris, dans une clinique du Ve arrondissement, que le futur président de la République vient au monde, le 29 novembre 1932. Et si, pour cause de guerre, il fera une partie de ses classes primaires à l’école communale de Sainte-Féréole, il les poursuivra au lycée Louis-le-Grand, l’un des plus cotés de la capitale. D’emblée, donc, il s’élève vers l’élite, mais en gardant ses racines profondément plantées dans le sol nourricier ancestral : il en ira ainsi durant toute sa vie.

Baroudeur

C’est d’abord le côté « pile » qui semble l’emporter très nettement : il intègre d’abord Sciences-Po, puis l’ENA, cette pépinière de futurs hauts dirigeants. Dans la première de ces deux institutions prestigieuses, il rencontre la jeune Bernadette Chodron de Courcel, qu’il épouse le 16 mars 1956, malgré les réticences de sa future belle-famille, qui trouve que ce grand Jacques ne fait pas un gendre très présentable...

Car, durant cette ascension, le côté « face », que l’on pourrait appeler aussi le côté « peuple » de Chirac, ne s’est pas laissé oublier. Ainsi, après son bac, bravant la désapprobation de son père, le jeune homme part comme simple matelot sur un navire charbonnier, pour une campagne de trois mois ! Pire : à son retour, il devient sympathisant communiste et va jusqu’à vendre le journal L’Humanité dans l’enceinte de Sciences-Po !

Puis, il prend une année sabbatique et s’en va parcourir les États-Unis, vivant de divers « petits boulots ». C’est aussi le Chirac rebelle, le Chirac baroudeur qui s’exprime lorsque, en 1956, au moment de son service militaire, il se porte volontaire pour partir en Algérie, alors en pleine guerre.

À son retour en France, le général de Gaulle étant revenu aux affaires en 1958, le jeune énarque devient gaulliste et entame son irrésistible ascension politique, notamment, à partir de 1962, auprès du nouveau Premier ministre, Georges Pompidou, auquel il restera fidèle jusqu’à sa mort, en 1974. Le côté « pile » a-t-il définitivement tué l’autre ? Jacques Chirac est-il désormais programmé pour ne plus quitter les palais de l’État ?

Ce serait mal le connaître que de penser cela. En 1966, ayant eu vent de ses origines, Georges Pompidou l’expédie en Corrèze, afin qu’il se lance dans la bataille des élections législatives de l’année suivante. Dans l’esprit du Premier ministre, il s’agit seulement pour son « jeune loup » d’aller se faire un peu les dents, car la circonscription où il l’envoie, fermement tenue par la gauche, est réputée imprenable pour un gaulliste. Mais cette première campagne va agir comme un formidable révélateur.

Député

Dès qu’il pose le pied sur la terre ancestrale, cette rude terre limousine, Jacques Chirac se métamorphose littéralement, le côté « face » reprend totalement le contrôle. Et les électeurs corréziens, au départ méfiants devant ce « Parisien » qu’on leur parachute, sont vite conquis par ce grand gaillard de 35 ans, sympathique, ouvert, n’hésitant jamais à vider un verre avec eux au comptoir de leurs bistrots de campagne, aussi à l’aise pour parler de cépage que d’élevage, amateur de cochonnailles locales et de plaisanteries plutôt salées, à l’image de ce toast favori du futur président : « À nos femmes, à nos chevaux... et à ceux qui les montent ! »

Résultat : contre toute attente, en avril 1967, celui que Pompidou surnomme désormais « mon bulldozer » est élu député de la Corrèze. Et il devient secrétaire d’État dans la foulée : première marche d’une ascension qui le conduira à l’Élysée, vingt-huit ans plus tard. Mais le plus important, dans cette campagne victorieuse, c’est sans doute qu’elle a fait comprendre à Jacques Chirac que sa force résidait justement dans cette étonnante capacité à se trouver en prise directe avec le peuple de France, à être aussi naturel dans une cour de ferme ou une arrière-salle de café villageois que sous les dorures des grands ministères.

Il n’a même pas à se contraindre pour gagner la sympathie du « populo », pour la simple raison qu’il aime réellement les gens, et que les gens le sentent bien. Bref, son côté « pile » et son côté « face » viennent de sceller en quelque sorte leur alliance, le bulldozer se mue en char d’assaut.

Le couple Chirac en 1979 lors de la remise de la médaille de la Ville de Paris

Maire de Paris

On ne va pas, ici, revenir sur les différentes étapes de sa formidable carrière : elles sont bien connues de tout le monde. Ce qui est important, c’est de montrer que, à chaque tournant décisif, les deux visages de Jacques Chirac ont été présents et ont rendu sa victoire possible. C’est particulièrement éclatant en deux circonstances décisives.

La première, c’est la conquête de la mairie de Paris, en 1977. Un an plus tôt, Chirac a démissionné avec fracas de son poste de Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et, juste après, créé le RPR. Paris n’avait pas eu de maire depuis 105 ans. Giscard a voulu ressusciter la fonction pour y faire élire l’un de ses proches, Michel d’Ornano. Lorsqu’il annonce sa candidature, en janvier, Jacques Chirac semble n’avoir aucune chance...

Et le 25 mars, il devient maire de Paris ! D’abord parce que son côté « pile » a lancé le RPR dans une campagne féroce contre son adversaire. Mais surtout parce que l’autre Chirac, le « sympa » s’est dépensé sans compter, plongeant littéralement au cœur du peuple de Paris, labourant le terrain en tous sens, volant d’un marché d’arrondissement à une réunion de quartier, sachant écouter les gens et leur répondre, trinquant avec eux. Autant de choses que le très réservé Michel d’Ornano, avec son titre de noblesse, est bien incapable de faire.

Président

La même chose, mais avec un tout autre enjeu, se reproduit dix-huit ans plus tard, avec Édouard Balladur cette fois. Six mois avant l’élection présidentielle de 1995, le Premier ministre de François Mitterrand est donné par tout le monde comme un vainqueur écrasant. « C’est fini, Chirac est mort... », assurent en chœur les plus fins « connaisseurs » de notre vie politique.

Cette fois, c’est la France entière que le bulldozer corrézien va saisir à bras-le-corps. Parti en campagne, il a beau avoir dépassé les 60 ans, il « tue » littéralement tous ceux qui tentent de suivre son rythme. C’est aussi le triomphe du Chirac sympa, du Chirac proche des gens, du côté « face ». Notamment avec sa marionnette des Guignols et son fameux slogan : « Mangez des pommes ! ».

Face à Édouard Balladur, ressenti comme hautain par beaucoup de Français, Chirac fait figure d’homme capable de discuter d’égal à égal avec les puissants de ce monde, mais aussi sur le coin d’un zinc en sifflant une Corona, sa bière favorite, et en grignotant une rondelle d’andouille de pays. Et, le 7 mai 1995, Jacques Chirac entre à l’Élysée. Il va y rester douze ans.

Il connaîtra des hauts et des bas, durant ce long « règne », mais jamais il ne perdra son bien le plus durable, et peut-être, finalement, le plus précieux : la sympathie des Français... y compris de ceux qui ne votent pas pour lui. Depuis 2007, cette sympathie n’a pas cessé de croître, à mesure que Jacques Chirac s’affaiblissait.

Et, aujourd’hui, chacun voit en lui un père chaleureux et bienveillant. C’est tout un pays qui est à son chevet.

Didier Balbec

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