Jacques Higelin : Ce poète attendait la mort avec jubilation !

France Dimanche
Jacques Higelin : Ce poète attendait la mort avec jubilation !

Il était tombé du ciel pour nous apporter la joie de vivre. Jacques Higelin y est remonté le 6 avril au matin.

S’il fallait ne retenir qu’une seule chose de Jacques Higelin, ce serait son rire, qui éclatait comme le soleil levant, illuminant son visage autant que celui de ceux qui l’entouraient. Higelin, c’était la générosité à l’état pur.

Celle d’un homme capable d’offrir du champagne à certains et – soucieux de n’oublier personne, même ceux qui ne l’aimaient pas – du caviar aux autres !

Sa jovialité, sa bonne humeur, il la tenait sans doute de son grand inspirateur, Trenet, le fou chantant. Et comme lui, il était à la fois lutin facétieux, poète mélancolique, musicien déjanté.

Avec Higelin, il y avait de la joie, mais ce rêveur avait les yeux grands ouverts.

Une phrase résumait sa philosophie : « Ma devise : la vie est dure, il manquerait plus qu’elle soit molle. »

Mélancolie surréaliste

Ce fils de cheminot, né le 18 octobre 1940 en région parisienne, était tombé dans la musique tout petit.

« Je jouais la musique avec mon père qui m’apprenait les chansons de Charles Trenet... C’était adorable, parce que c’est un grand poète, un poète swing, qui a éclairé mon enfance », déclarait-il, évoquant ensuite son second mentor, Henri Crolla, le guitariste d’Yves Montand, qui lui avait offert son premier instrument, « une guitare de Gitan », quand il avait 19 ans, et l’avait aidé à sortir d’une période un peu trop alcoolisée.

D’abord comédien, Higelin sera, au milieu des années 60, emporté dans le grand mouvement révolutionnaire de l’époque.

Lui aussi se veut réaliste et demande l’impossible. Il chante du Boris Vian dans les cabarets de la rive gauche avec, déjà, ce mélange de douceur et de colère qui sera sa signature.

Il est l’écorché vif au sourire d’ange et aux mots aiguisés.Dans les cafés-théâtres, la grande scène expérimentale de l’époque, il croise Rufus, Georges Moustaki, Bulle Ogier, Areski, Brigitte Fontaine...

Avec elle, il signe un duo inoubliable, chargé de mélancolie surréaliste, Cet enfant que je t’avais fait. Dans une France qui a digéré le temps des yé-yé et s’est délivrée de son complexe américain, il compte parmi ceux qui vont redonner ses lettres de noblesse à la chanson française.

Il sera l’un des artistes clés de la fin des sixties, mêlant tradition, dans la qualité des textes, et modernité, dans une inspiration musicale empruntant au rock et au jazz.

Un artiste engagé

Au début des années 70, Higelin prend un virage électrique.

Le baladin mélancolique devient le révolté à la voix âpre de BBH 75, album résolument rock, avec des titres comme Mona Lisa Klaxon.

Un style qu’il adopte jusqu’à la fin de la décennie avec Irradié puis Alertez les bébés ! (prix de l’académie Charles-Cros), et qui culminera avec les deux albums Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres, en 1979.

L’homme porte des tenues extravagantes, se maquille outrageusement, mêle électricité saturée, poésie et grand-guignol, tel un Bowie hexagonal.

Puis, peu à peu, il va arrondir son univers musical, évoluant vers un esprit plus pop, moins maniéré, un retour à la chanson, avec le délicieux Tombé du ciel.

Après un creux de la vague au début des années 2000, il revient en 2006 avec Amor doloroso, suivi, en 2013, du splendide Beau repaire.

Généreux dans ses mots, dans ses spectacles, Higelin l’est aussi dans ses choix politiques.

Homme de gauche, il a soutenu la candidature de François Mitterrand.

Militant auprès du DAL et de l’abbé Pierre, en 1994, il fonde avec d’autres personnalités l’association Droits devant !! qui lutte contre les exclusions.

“Vieillards"

Depuis 2016, des rumeurs couraient sur sa santé. Il ne quittait plus sa maison de Pantin ; ses voisins, avec qui il aimait bavarder, ne le croisaient plus dans la rue.

Mais il posait toujours sur le monde le même regard curieux et gourmand : « Je ne suis ni content ni pas content de vieillir, avait-il déclaré peu de temps auparavant, sur les ondes de France Culture. J’accepte, parce que c’est une autre évolution. Il y a plusieurs révolutions dans la vie : de bébé on passe à petit garçon, puis adolescent, jeune homme, homme mûr, et après vieil homme, vieillard. Je suis au début de ma vieillards, et en même temps ça m’amuse beaucoup. J’apprends à rire de tout, surtout de moi. »

Toujours en 2015, il avait publié une touchante autobiographie, Je vis pas ma vie, je la rêve (avec Valérie Lehoux, chez Fayard), un livre chargé de (bons) souvenirs et d’amour de la vie.

« Tant qu’on est vivant, c’est la moindre des choses d’être mouvant, émouvant, ajoutait-il. Après, on ne bougera plus. La mort, c’est notre condition. C’est même la seule chose dont on est sûr dans la vie. Moi, ça me rend joyeux d’être vivant. Je l’ai chanté, la mort est le berceau de la vie. Ça ne me fait pas peur. »

Sa dernière apparition en public remontait à l’automne 2015, quand il avait fêté ses 75 ans sur la scène de la Philharmonie de Paris les 24 et 25 octobre.

Arthur et Izïa étaient là. A l’issue de ces deux concerts exceptionnels, les larmes aux yeux, Higelin avait longuement remercié son public : « Vraiment, merci du fond du cœur à vous qui m’avez suivi jusqu’à présent, et qui m’avez défendu tout le temps et qui m’aimez. Et moi je vous rends la pareille parce que je vous aime vraiment, et mes enfants aussi vous aiment. Salut ! »

L’assistance avait bien senti la fatigue, derrière l’émotion. Higelin 75, son dernier album, était sorti en 2016.

Depuis, on avait peu de nouvelles, mais on savait qu’il regardait toujours le monde avec la même curiosité.

« Les gens disent : “J’espère qu’il ne t’arrivera rien." Moi, insistait-il, j’espère qu’il m’arrivera plein de choses, avant de mourir, avant de partir, y compris la mort, qui doit être un instant incroyable. »

Lui qui s’émerveillait de tout, comme un éternel enfant, nous a quittés le 6 avril au matin, entouré de sa famille et paré, à sa façon, pour le grand voyage.

La dynastie Higelin

Malgré des tournées régulières et des concerts marathons, Higelin a été un père de famille très présent, à la différence de nombre d’artistes. Et ses enfants le lui ont bien rendu.

Arthur d’abord, 52 ans, devenu Arthur H, un nom choisi pour ne pas faire « fils de », né de sa première compagne, Nicole Courtois.

Puis Kên, le comédien, 46 ans, qu’il a eu avec Kuêlan N’Guyen.

Et Izïa, 27 ans, issue de son amour pour la chanteuse et danseuse tunisienne Aziza Zakine, rencontrée à la fin des années 80 et qu’il épousera en 2008.

Izïa qu’il emmène en tournée et présente à son public, haute comme trois pommes, et avec qui il interprète la très émouvante Ballade pour Izia.

« C’est marrant, disait-il, parce que je me suis retrouvé avec ma fille Izïa, qui écoute la musique mais mille fois plus fort qu’on l’écoutait nous ! Et des fois, les nuits, je m’endors... Notre chambre n’est pas loin de la sienne. Mais des fois, quand elle recevait des copains et qu’elle écoutait de la musique à dont, je rentrais et je lui demandais : “Comment tu peux écouter la musique à ce niveau-là ?" [...] Mais comme son père déconne aussi, et que ses copains lui ont dit : “Oh ton père, il est génial !" – Ils m’ont vu en scène, et ils ont dit : “Ah la pêche, c’est très rock !" – ça les branche aussi. »

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Carlos HERRERA

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