Jacques Mailhot : “À ses débuts, Laurent Ruquier avait un look impossible !”

France Dimanche
Jacques Mailhot : “À ses débuts, Laurent Ruquier avait un look impossible !”

Le patron du théâtre des Deux Ânes, Jacques Mailhot nous raconte les premiers pas à Paris de l’humoriste Laurent Ruquier monté de sa Normandie, bien décidé à faire� rire la France…

«L’humour qui ne se prend pas au sérieux », telle est la devise du théâtre des Deux Ânes, dirigé depuis plus de deux décennies par Jacques Mailhot. Ce lieu mythique fête cette année son jubilé en rires et chansons ! Sur ses planches, en effet, sont nées les carrières des grands humoristes d’aujourd’hui, comme celle de Laurent Ruquier, qui a laissé au directeur des lieux un souvenir impérissable...

France Dimanche (F.D.) :Vous avez conduit quantité d’humoristes sur la route du succès. Notamment un très jeune inconnu d’origine normande, un certain Laurent Ruquier...

Jacques Mailhot (J.M.) : Je l’ai recruté en 1987, sur France Inter, où j’animais L’oreille en coin. Laurent m’avait envoyé des textes satiriques, qui m’avaient plu. Donc je l’avais appelé, à la Drac [Direction régionale des affaires culturelles, ndlr] de Haute-Normandie où il était objecteur de conscience. Mon assistante est allée le récupérer à Saint-Lazare, en provenance du Havre. Elle m’a tout de suite dit : « Il est bien mais il a une allure pas terrible. »

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Laurent Ruquier à 20 ans

F.D. : À quoi ressemblait-il physiquement ?

J.M. : Il avait un look impossible : une permanente, la moustache et un cheveu sur la langue ! Mais comme c’est un garçon réactif et intelligent, il a vite évolué pour pouvoir passer à la télévision. Il est également allé chez l’orthophoniste pour corriger son défaut d’élocution.

F.D. : Ruquier a aussi démarré à la télévision avec vous, n’est-ce pas ?

J.M. : Oui, car je lui ai aussi proposé de faire de la télé, sur France 3 Paris-Ile-de-France. Comme à l’époque il ne s’était pas encore débarrassé de son chuintement, sa rubrique s’appelait Comme un s’cheveu sur la z’oupe. Mais l’émission s’est arrêtée l’été 1987. Je lui ai également présenté Jacques Santamaria qui dirigeait les antennes de Radio France. Celui-ci cherchait une plume pour écrire soixante épisodes d’un feuilleton radio qui s’intitulait Quand les poules pondront des pommes. C’est ainsi que Laurent a touché son premier gros chèque.

F.D. : Toujours grâce à vous, Laurent Ruquier a rencontré votre grand ami, Jean Amadou, qui, lui aussi, a largement contribué à lancer sa carrière.

J.M. : Il avait repéré Laurent au Caveau de la République, où il se produisait. À l’été 1988, grâce au succès du Bébête show sur TF1, dont il était l’un des créateurs, avec Collaro et Roucas, Jean a monté une nouvelle émission de radio sur Europe 1. Il avait besoin d’un auteur pour coécrire avec lui et Maryse Gildas. Laurent, qui a une incroyable capacité de travail, est devenu leur nègre. Il s’entendait très bien avec Maryse. C’est d’ailleurs elle qui lui a fait raser sa moustache.

F.D. : Quelle autre rencontre importante Ruquier a-t-il faite au Caveau de la République ?

J.M. : Jacques Ramade ! Il le faisait tellement rire que Laurent l’a emmené par la suite sur toutes ses émissions radio et télé, pendant vingt-cinq ans ! Jusqu’à sa mort [en 2013, ndlr]. Il faut dire que Ramade était un sacré chansonnier, comme nos glorieux aînés, Maurice Horgues, Pierre Dac et tant d’autres... À l’époque, les chansonniers, dont Ruquier à ses débuts, faisaient facilement trois spectacles chaque soir. Aujourd’hui, presque tous les cabarets ont été remplacés par des cafés-théâtres. Il ne reste plus que le Caveau et les Deux Ânes.

F.D. : Aujourd’hui, Laurent dit que quand on veut l’emmerder, on l’appelle « le chansonnier »... Pensez-vous que ce métier est devenu ringard ?

J.M. : Non, les chansonniers ne seront jamais ringards ! Quand j’ai commencé ce métier, il y a quarante ans, c’était au cabaret la Boulangerie des Tuileries : on était quatre loustics, dont Michel Leeb, Patrick Sébastien et Pierre Péchin... Ils me disaient tous : « Arrête l’humour politique, maintenant la mode est aux sketches ! » Quarante ans plus tard, ça marche toujours, et même de mieux en mieux. Aux Deux Ânes, on a renouvelé le genre en mélangeant les anciens avec des plus jeunes : c’est le talent et la complémentarité des humoristes qui font le succès de ma revue. Michel Guidoni, Jean Roucas, Florence Brunold, Pierre Douglas, Gilles Détroit, ÉmilieAnneCharlotte... Aujourd’hui, mon neveu Régis Mailhot prend la relève. Pourtant, quand il a commencé à écrire ses textes et à se produire dans des cafés-théâtres de troisième zone, j’étais surpris, je n’y croyais pas du tout. Eh bien, maintenant, je le produis. Car le monde va vite, et pour survivre il faut savoir travailler avec son époque. De plus en plus au théâtre, on voit des one-man-shows, alors que chez nous, il s’agit d’une revue à part entière. Et ça marche ! La preuve : même ceux que nous brocardons viennent nous applaudir...

F.D. : Quels sont les hommes politiques qui viennent rire de leurs collègues ou d’eux-mêmes ?

J.M. : La semaine dernière, c’était Daniel Vaillant, venu en voisin et en famille. Et puis il y a nos fidèles : Michel Charasse, qui nous rend visite régulièrement depuis quarante ans, Roland Dumas qui ne manque jamais un de mes spectacles, Jean-Pierre Raffarin et Michèle Alliot-Marie, qui nous rendent très souvent visite aussi. Il y a deux ans, Valéry Giscard d’Estaing est venu fêter son anniversaire en famille avec ses enfants et ses petits-enfants : ils étaient dix-neuf en tout.

F.D. : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la dernière revue, qui est à l’affiche des Deux Ânes depuis le 9 janvier ?

J.M. : On a quelque peu détourné la devise citoyenne de notre vieille république puisque cette revue spécial jubilé s’intitule Liberté, Égalité, Hilarité. Avec mes chansonniers, on est partis de l’actualité des attentats et de la réapparition du drapeau français. Sur notre affiche figure François Hollande. C’est un excellent client car c’est un personnage très amusant : il ressemble à un notable de province, genre Monsieur Prudhomme. Il est aussi placide que son prédécesseur était énervé et survolté !

Cédric Potiron

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