Jacques Pradel : “L’assassin, ça peut être votre collègue de bureau …”

France Dimanche
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Alors qu’il sort un nouveau livre, l’ancien animateur de “L’Heure du crime”, sur RTL, nous fait part de son érudition sur les tueurs en série.

Mes archives criminelles, de Jacques Pradel, Éd . du Rocher, 234 p., 18,90 €.

Depuis près de quarante ans qu’il tâche de comprendre ce qui se passe dans la tête des assassins, aussi bien à la télévision qu’à la radio, le débonnaire journaliste de 75 ans aurait sans doute pu recevoir un diplôme en criminologie ! À l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage, Mes archives criminelles (justement soustitré « Ces affaires que je n’oublierai jamais... »), aux éditions du Rocher, le très sympathique Jacques Pradel nous a accordés, de sa voix toujours aussi suave, un entretien exceptionnel.

“Ces criminels, souvent hâtivement désignés comme « monstres » par la presse, demeurent rarissimes."

France Dimanche : Pour vous, les affaires les plus intéressantes seraient souvent le fait d’anonymes. Pourquoi de tels basculements dans la vie de gens qui, finalement, nous ressemblent ?

Jacques Pradel : Au contraire du crime organisé, apanage des professionnels, le passage à l’acte de l’assassin ordinaire me paraît davantage digne d’intérêt. Il s’agit généralement d’une personne estimée de son entourage. Ça peut être notre voisin de palier, ou un collègue de travail, voire un membre de la famille. Un proche, donc... Et c’est là que la question du passage à l’acte se révèle souvent fascinante.

“On tuait beaucoup plus au début du siècle dernier que de nos jours."

FD : C’est-à-dire ?

JP : Pour certaines personnes, la résolution d’un problème n’a parfois d’autre issue que la disparition de celui qui est suspecté d’en être la cause. Ce ne sont pas des criminels de métier. Juste des gens qui « pètent un câble », si vous me passez l’expression. Et ce qui est passionnant, c’est de chercher à savoir pourquoi le passage à l’acte meurtrier finit par devenir chez eux la seule issue possible. À ce titre, j’aime citer l’un de nos meilleurs experts en la matière, le psychiatre Daniel Zagury, coutumier des tribunaux : « On s’arrache souvent les cheveux à chercher à comprendre le “pourquoi" du crime, alors que les coupables n’en ont souvent aucune idée. » D’ailleurs, ceux-ci se taisent la plupart du temps, pour échapper à la justice ou parce que leur forfait demeure tout simplement inexcusable à leurs propres yeux. Dans l’impossibilité d’expliquer leurs motifs, il y en a qui se suicident, juste pour ne pas devenir fous.

FD : Pensez-vous que certains criminels puissent avoir ce que nos aïeux appelaient « une âme noire » ?

JP : Je considère que ce type de criminels, souvent hâtivement désignés comme « monstres » par la presse, demeurent rarissimes. Il en existe néanmoins quelques-uns, tel Michel Fourniret. Les enquêteurs, les avocats et les magistrats vous diront tous avoir rencontré, au moins une fois dans leur vie, une personne qui leur faisait froid dans le dos, une sorte d’incarnation du mal absolu

FD : Les faits divers d’aujourd’hui sont-ils plus violents que ceux d’hier ?

JP : Non, je pense juste qu’on en parle davantage dans les médias. On tuait beaucoup plus à la Belle Époque, au début du siècle dernier, que de nos jours. Pourtant, on constate actuellement une recrudescence de faits criminels perpétrés par des gens rejetant toute forme de frustration, qui veulent tout et tout de suite. Ça peut aller d’une agression pour une cigarette refusée jusqu’au gang des barbares, coupable, en 2006, de l’enlèvement et du meurtre d’Ilan Halimi, ce jeune homme dont les ravisseurs estimaient qu’il avait tout ce qu’ils n’avaient pas : mode de vie et argent, principalement...

FD : En matière de délinquance, on observe que la plupart des auteurs viennent souvent de familles dont le père est absent...

JP : Le père, c’est le repère, et le repère, c’est la loi. Ce sont, certes, des généralités, mais elles méritent d’être prises en compte, même si, évidemment, tous les enfants de parents divorcés ne finissent pas voyous !

FD : À propos des meurtriers dont vous retracez l’itinéraire, certains donnent l’impression d’être supérieurement intelligents, même si parfois intellectuellement très limités. Existe-t-il un profil type ?

JP : On a pu penser, un moment, qu’un homme tel que Fourniret faisait partie de la première catégorie. Mais une de ses victimes ayant eu la chance de lui échapper a rappelé en cour d’assises que, s’il avait été si intelligent que ça, il ne se serait pas servi de son véhicule personnel pour enlever ses proies... Je crois donc que cet homme a surtout eu la chance de passer sous les radars d’une police scientifique qui était alors balbutiante, faute d’analyses ADN, de fichier de délinquants sexuels centralisé et des dispositifs actuels mis en œuvre dès la disparition d’un enfant.

FD : On peut donc être rusé tout en n’étant pas très intelligent, tel Nordahl Lelandais ?

JP : Tout à fait. Ce dernier n’avoue rien... jusqu’à ce qu’on lui montre une preuve absolument accablante, alors il change de version. C’est rusé, mais pas forcément très intelligent.

Violeur... et étudiant en gynécologie !

Un étudiant de la faculté de médecine de Tours (Indre-et-Loire), dont l’identité demeure inconnue à ce jour – présomption d’innocence oblige –, et qui est, excusez du peu, sous le coup d’une enquête pour viol et agressions sexuelles (perpétrés de 2013 à 2020), a néanmoins été autorisé à poursuivre ses études à Limoges (Haute-Vienne), et ce, malgré une enquête ouverte il y a deux ans ! Mais le plus incroyable, le plus absurde, dans cette affaire, est que, par la grâce et la « loterie » d’un algorithme, ce sympathique individu a été envoyé en... gynécologie afin d’y effectuer un stage ! Est-on en pleine fable du loup dans la bergerie, du renard dans le poulailler ? C’est en tout cas ce que les militantes féministes de l’université de Tours reprochent à la faculté, en brandissant des pancartes arborant ce slogan : « Aujourd’hui, ton violeur ; demain, ton docteur ! »

Dans ces conditions, pourquoi ne pas proposer des stages de serrurerie aux cambrioleurs, de conduite aux voleurs de voitures et de chimie aux marchands d’ecstasy ?

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NG, Nicolas GAUTHIER

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