Jean d'Ormesson : Il a trahi son père !

France Dimanche
Jean d'Ormesson : Il a trahi son père !

Dans les années 1950, le jeune homme Jean d'Ormesson est parti avec la femme de son cousin, rendant son père littéralement mort de � honte�.

Quatre-vingt-dix ans... Même quand on paraît aussi jeune et que l’on est aussi séduisant que Jean d’Ormesson, c’est un âge honorable pour publier une autobiographie. Et c’est ce que l’écrivain fait aujourd’hui, avec un livre au titre éloquent : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, aux éditions Gallimard. Une jolie phrase tirée de l’œuvre d’un poète qu’il admire, Aragon.

En clair, pour cet académicien adulé par les lecteurs et les femmes (qui souvent se confondent), l’heure des bilans a sonné. Mais puisque d’Ormesson est un homme marginal en toutes choses et qu’il ne fait jamais ce que l’on attend de lui, il a inventé une façon de se présenter pour nous raconter sa vie :

« Vous n’imaginiez tout de même pas que j’allais me contenter de vous débiter des souvenirs d’enfance et de jeunesse ? Je ne me mets pas très haut, mais je ne suis pas tombé assez bas pour vous livrer ce qu’on appelle des Mémoires », écrit-il en effet dans cet ouvrage.

->Voir aussi - Jean d'Ormesson : Hospitalisé !

Cependant, l’on a beau vouloir éviter les étiquettes, lorsque l’on regarde son existence dans le rétroviseur, l’on ne peut faire autrement que se souvenir, se rappeler les événements qui ont fait de vous ce que vous êtes devenu. Car il n’est pas possible d’échapper à son histoire... Et celle, infiniment romanesque, de Jean commence dans une famille d’aristocrates très cultivés, en Allemagne, au moment de la montée du nazisme, pour se poursuivre en Roumanie, puis au Brésil...

Blessure

Mais si ce fils d’ambassadeur apprend tout ce qu’il faut savoir pour évoluer dans le monde, il adopte très jeune une attitude un peu déroutante : il n’en fait qu’à sa tête ! Ainsi, bien qu’il soit un élève très brillant, il ne déborde pas d’ambition, ce qui ne l’empêchera pas d’obtenir une agrégation de philo­sophie et de devenir directeur général du journal Le Figaro de 1974 à 1977...

En revanche, de l’ambition, il en a dans un autre domaine : l’aventure amoureuse ! Dans ce registre aussi, il n’en fera qu’à sa tête, sa belle tête aux yeux bleu clair, dans lesquels les plus belles femmes se sont reflétées...

Mais si la vie a gâté l’écrivain – en le rendant­ populaire grâce à ses livres et séduisant auprès des dames –, il est une blessure dont il semble ne jamais s’être remis. Une blessure si profonde qu’il l’avait relatée dans Qu’ai-je donc fait ? publié en 2008 par les éditions Robert Laffont.

Comment la résumer ? À cette époque, il s’en était lui-même expliqué, dans les termes suivants, sur les ondes de notre confrère France Bleu : « Quand j’étais à l’Unesco, je suis tombé amoureux de la belle épouse espagnole de mon cousin, le compositeur Antoine [d’Ormesson, ndlr]. Je l’ai séduite, je la lui ai volée, mais je n’ai pas assuré. Un vrai désastre ! »

Ainsi racontée, l’histoire peut paraître un peu folle mais charmante ; en réalité, elle a été terrible. Nous sommes alors dans les années 1950. Le cousin de Jean, Antoine, est presque son jumeau. Ils ont été élevés ensemble, partageant leur nounou, leurs jeux et leurs joies... La jeune femme en question, qu’il appelle « C. » dans son roman de 2008, est Maria Rosario del Castillo. Avec son mari, elle a deux enfants, de 3 et 4 ans... « C. a été une des trois ou quatre femmes que j’ai aimées dans ma vie, écrit l’auteur. Je l’ai mal aimée. Je ne me le pardonne pas. »

Parallèlement, un autre drame familial se noue, tout aussi grave, que Jean ne se pardonne pas non plus... Car son père, un homme rigoureux, qui ne plaisante pas avec l’amour et hurle aux petites copines de Jean qui l’appellent au téléphone : « Qu’est-ce que vous lui voulez encore ? » va être terriblement marqué par cette trahison.

« J’ai détruit tout un pan de la famille, je me suis détruit moi-même. J’ai été lâche, médiocre, petit, mesquin. Mon père ne s’en est jamais remis. Il est mort en me prenant pour un voyou ! » avouait l’académicien sur France Bleu.

Aujourd’hui, bien longtemps après cette douloureuse affaire, longtemps, aussi, après que Jean a tenté dans Qu’ai-je donc fait ? de trouver l’absolution en avouant sa faute, cet épisode de sa vie continue de le hanter. L’écrivain vient en effet de relater une nouvelle fois cette trahison dans les pages du magazine Voici, le 1er janvier 2016, concluant par ces mots terribles : « Mon père est mort désespéré à cause de moi ».

Et l’on comprend désormais peut-être mieux le titre du récent ouvrage de Jean d'Ormesson, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Belle, malgré cette trahison, malgré le sentiment de culpabilité qu’elle a engendré, et malgré la blessure qui ne se refermera jamais : celle d’avoir « tué » son père.

Laurence Paris

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