Jean Ferrat : Il y a dix ans disparaissait un géant de la chanson

France Dimanche
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Artiste engagé au service de tous les combats pour la fraternité, Jean Ferrat nous a quittés il y a dix ans, le 13 mars 2010. Le chanteur à moustache et à la voix si grave avait composé près de deux cents chansons, dont certaines suscitèrent la polémique.

On le surnommait le « troubadour de la révolte ». Parce qu’il a toujours pris position et s’est affirmé comme l’homme qui dit « non ». Au fil des ans, il répétait à l’envi : « Dans la vie, il faut résister à tout ce qui avilit. Résister est le seul message que j’aimerais laisser avant de partir. » Ainsi était Jean Ferrat, auteur-compositeur-interprète qui mourut il y a dix ans, le 13 mars 2010, à l’âge de 79 ans. Ses combats, ses chansons poétiques, souvent composées sur des textes d’Aragon, nous trottent encore dans la tête.

Celui qui aimait rappeler que l’on « porte son enfance toute sa vie », est le dernier fils d’un artisan-joaillier juif d’origine russe, Mnasha, et d’Antoinette, ouvrière dans une usine de fleurs artificielles de Versailles. Son enfance est d’abord heureuse et tranquille, avec sa grande sœur Raymonde et ses frères aînés André et Pierre. Comme ses parents, il aime le chant, la musique (sa mère possède une belle voix de soprano), et les tubes de Charles Trenet dont il apprécie tant la poésie.

Puis, le drame survient : « Le racisme, le nazisme, je les ai découverts à 11 ans. Je ne savais pas que mon père était juif ; je ne savais pas que c’était mal d’être juif... Je ne pourrai jamais plus tolérer le racisme, sous quelque forme que ce soit », confia-t-il. Nous sommes en 1941 et son père vient d’être arrêté par la Gestapo. Il sera déporté et mourra à Auschwitz, en Pologne.

Pour la famille Tenenbaum, c’est le choc. Sa mère vend tout ce qu’elle possède, ses frères se mettent à travailler, et Jean ne poursuit ses études que jusqu’en seconde. Un temps, pendant la guerre, la famille partira pour les Pyrénées, en zone libre, où ils vivront cachés chez des résistants communistes dont il louera plus tard le dévouement, ce qui est sans doute à l’origine de ses convictions politiques. 

Premier boulot à 16 ans, à l’usine, comme apprenti dans un laboratoire de chimie. Le soir, il fréquente une troupe de théâtre amateur, puis les coulisses du TNP, le Théâtre national populaire de Jean Vilar. Jean s’achète une guitare sèche pour accompagner ses copains dans un jazz-band et chante du Mouloudji, du Prévert, du Montand... Il compose ses premières mélodies et tente sa chance dans les cabarets de la rive gauche parisienne sous le nom de Jean Laroche. Ce n’est pas vraiment un triomphe, plutôt la vie de bohème. Il se décide alors pour un autre pseudonyme en regardant une carte de France où il s’arrête sur la ville de Saint-Jean-Cap-Ferrat ! 

C’est donc en tant que Jean Ferrat qu’il fait une nouvelle rencontre : la comédienne et chanteuse Christine Sèvres, qu’il épousera. C’est aussi l’époque de ses premiers timides succès. Le déclic survient en 1959 : Christine lui présente l’imprésario Gérard Meys, qui devient son complice, son directeur artistique. Ferrat enregistre alors Ma môme, d’inspiration prolétaire, qui cartonne en radio.

En 1963, il jette un pavé dans la mare des yé-yé avec une chanson choc, Nuit et Brouillard, qui fait référence à la déportation. Mélodiste inspiré, Ferrat s’inscrit comme un parolier hors pair même si c’est son interprétation de plusieurs poèmes d’Aragon (Aimer à perdre la raison, Que serais-je sans toi) qui le propulse au panthéon des chanteurs français. Il collectionne les récompenses (prix de la Sacem...), enchaîne les tubes sur un registre sentimental ou engagé (Potemkine, un hommage aux insurgés du célèbre cuirassé russe). On le surnomme alors le « crooner rouge », mais lui ne sera jamais inscrit au PCF même s’il se revendique d’un « communisme de cœur ».

Puis, brusquement, à l’âge de 42 ans, il choisit de quitter la scène médiatique et la pression du show-business et s’installe en Ardèche, imaginant se reconvertir dans l’élevage. Il se consacre dorénavant aux voyages (notamment à Cuba, d’où il rapportera sa moustache !) et à l’opéra. Mais Ferrat continue néanmoins d’enregistrer des albums, en particulier La femme est l’avenir de l’homme, qui devient un véritable hymne en 1975. Après le décès de Christine, en 1981, il épouse Colette, une Ardéchoise, et mène une vie de terrien, entre jardinage et pétanque.  L’œuvre de ce chanteur engagé et visionnaire, tissée de coups de gueule contre le racisme, les expulsions d’étrangers et la défense des exploités, reste encore et toujours d’actualité.

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Alicia COMET

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