Jean-Jacques Debout : Son incroyable rencontre avec Jean Gabin !

France Dimanche
Jean-Jacques Debout : Son incroyable rencontre avec Jean Gabin !

Alors qu’il nous offre un bel album  hommage  à l’inoubliable acteur, le musicien Jean-Jacques Debout revient 
sur leur unique et mémorable entrevue…

C’est à quelques pas de son domicile parisien, dans les jardins du Musée de la Vie Romantique, que nous retrouvons Jean-Jacques Debout, 77 ans, très en forme et particulièrement heureux de nous parler de son nouveau disque.

Un album hommage à Jean Gabin (Sony Music) réunissant de belles reprises des quelques chansons interprétées par le regretté acteur – Maintenant je sais, La môme caoutchouc ou Quand on s’promène au bord de l’eau –, ainsi que des titres inédits inspirés de ses plus grands films – Quai des brumes, La bête humaine, Mélodie en sous-sol ou encore Un singe en hiver.

Pas de doute, le musicien voue une véritable admiration à l’inoubliable Gueule d’amour. On est donc d’autant plus étonné d’apprendre que ces deux-là ne se sont rencontrés qu’une seule fois. « Mais quelle rencontre ! », se souvient l’artiste. Cependant, avant ce face-à-face avec le Pacha, c’est avec Marlene Dietrich que le tout jeune chanteur d’alors va 
se lier d’amitié.

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Âgé d’à peine 20 ans, il fait des débuts prometteurs sur la scène musicale française avec Les boutons dorés. Une performance qui n’échappe pas à la star allemande, de passage à Paris pour préparer son tour de chant. « En me voyant chanter à la télé, elle a demandé à sa secrétaire : “Mais qui est ce garçon ? C’est fou ce qu’il ressemble à Gabin jeune ! Appelez-moi tout de suite Bruno Coquatrix, je le veux pour ma première partie à l’Olympia." » Ce qui fut fait.

« Et je revois ma mère venir me réveiller en toute hâte, dans la chambre de bonne où nous vivions à Saint-Mandé, en criant : “Vite, vite, il faut que tu rappelles d’urgence Bruno Coquatrix, Marlene Dietrich te cherche partout !" Comme j’avais un copain qui faisait toujours des blagues au téléphone, j’ai d’abord cru que c’était lui... » Dans le doute, il rappelle quand même le directeur de la mythique salle de spectacles, qui lui demande d’aller sans tarder retrouver la chanteuse dans sa chambre de l’hôtel Lancaster. Dès le lendemain, il s’exécute.

« Et lorsque Marlene ouvre la porte de sa suite, je crois rêver. Elle est d’une beauté, j’ai l’Ange bleu devant moi ! Qui me parle comme si elle m’avait toujours connu, me dit que ma chanson l’a beaucoup touchée, que je lui rappelle Gabin et qu’elle souhaite absolument que je sois à son côté pour l’Olympia. Je me pinçais pour être sûr que c’était bien réel. J’avais vu tous ses films et l’admirais énormément. »

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Ultimatum

Durant ces semaines de préparation du concert, Marlene et Jean-Jacques sont amenés à beaucoup se voir, et au fil des jours se noue entre eux une tendre relation. « Elle aimait me dire : “Vous et moi, c’est un peu comme Le blé en herbe..." [Roman de Colette qui conte l’initiation sentimentale et sexuelle de deux adolescents parisiens, ndlr.] Ce qui m’amusait beaucoup et aussi m’étonnait. “Mais je suis une grande amie de Colette, qui me l’a d’ailleurs fait lire avant même de le publier", me disait-elle.

Bref l’Olympia commence, et un soir où je me retrouve seul avec elle dans sa loge, elle me confie : “Je suis très triste, vous savez, Jean-Jacques, j’aurais tellement aimé que Jean [Gabin, ndlr] vienne me voir. Pour qu’il voie ce que je suis devenue et pour l’embrasser une dernière fois avant de quitter ce monde. Je ne voudrais pas partir fâchée. Je sais qu’il ne veut plus entendre parler de moi, mais je ne peux oublier tout ce qu’on a vécu ensemble..." »

Gabin ne lui avait en effet jamais pardonné qu’elle l’abandonne et parte tourner aux États-Unis. « Soit tu restes et on se marie, lui avait-il posé comme ultimatum, soit tu pars et on ne se reverra plus ! » C’est ce qui arriva. Néanmoins, face à l’immense désarroi de la diva, Jean-Jacques s’empresse de lui confier que justement une de ses grandes amies, Marie-José Nat, tourne en ce moment même avec Gabin, dans Rue des Prairies.

« Sautant sur l’occasion, elle me dit alors : “Ça vous ennuierait de faire quelque chose pour moi ? Pourriez-vous faire mine d’aller déjeuner là-bas avec votre amie et donner discrètement cette lettre à Jean ?" J’ai donc appelé Marie-Jo pour lui expliquer ma mission et fixer un déjeuner. Et le jour dit, je me suis rendu à Mobylette aux studios d’Épinay-sur-Seine où avait lieu le tournage, non loin du casino d’Enghien-les-Bains, avec dans la poche de mon blouson la fameuse enveloppe sur laquelle était sobrement inscrit : “À l’attention de M. Jean Gabin." »

Et ce jour-là, ça tombe bien, l’actrice est attablée avec ses partenaires dans le film, ce dernier et Claude Brasseur. « J’embrasse Claude qui est un vieux copain, et Marie-Jo lance à Gabin : “Jean, je voudrais vous présenter ce jeune chanteur qui a vu tous vos films et dont vous êtes l’idole !" Là, Gabin me dit : “Mais dis-moi, c’est toi que j’ai vu chanter cette goualante [chanson populaire triste, ndlr], une histoire d’orphelins... J’aurais beaucoup aimé interpréter ça quand j’étais jeune, j’aurais fait un triomphe !" Il me parlait comme si on se connaissait depuis toujours, avec son franc-parler et son côté brut de décoffrage, j’étais fasciné ! »

Lettre

Béat d’admiration face au monstre sacré, Jean-Jacques n’en oublie pas pour autant la raison de sa venue et se lance : « Monsieur Gabin, j’ai quelque chose à vous remettre. » Interloqué évidemment, l’interprète de La grande illusion rétorque, les sourcils froncés : « Ah bon ? Mais quoi donc ? » Jean-Jacques sort alors la missive de sa poche et la lui tend. Gabin met ses lunettes, lit ce qui est écrit sur l’enveloppe et fulmine : « Mais ce n’est pas possible, c’est encore la Schleue qui me poursuit ! J’en ai marre ! » 
Furieux, l’acteur chiffonne la lettre jusqu’à en faire une boule de papier, la jette dans le cendrier, sort son briquet et y met le feu ! Sans l’avoir lue, bien sûr.

« Il ne dira pas un mot de plus et quittera la table. Et moi, malgré les flammes, je ressens un froid glacial. Je suis très mal à l’aise et me demande ce que je vais bien pouvoir raconter à Marlene, que je dois retrouver le soir même pour tout lui raconter. J’ai évidemment menti sur toute la ligne, lui expliquant qu’il l’avait soigneusement glissée dans la poche de son manteau et avait dû la lire tranquillement, une fois seul dans sa loge.

La pauvre femme qui espérait de tout cœur une réponse n’en aura évidemment pas. Il ne viendra pas à l’Olympia. Et Marlene ne reverra jamais Gabin... » Voilà donc la seule fois où Jean-Jacques Debout s’est retrouvé nez à nez avec celui pour lequel, tout petit déjà, il s’échappait de l’école afin de courir jusqu’au cinéma de quartier voir ses films. Une gueule et des répliques inoubliables qu’il se réjouit aujourd’hui de nous faire revivre en chansons.

Caroline Berger
Photo : Jérôme Mars

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