Jean-Luc Delarue : Le jeune homme pressé…

France Dimanche
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Symbole de la grande époque des animateurs-producteurs, ce surdoué de la télévision a connu une gloire éclair jusqu'à d evenir acteur et spectateur de sa propre chute.

La carrière de Jean-Luc Delarue aura été à l'image de l'un de ses films favoris, Barry Lyndon, de Stanley Kubrick : l'histoire d'un jeune homme dévoré par l'ambition qui bâtit sa fortune avant de la voir s'écrouler. Et pourtant, l'animateur surdoué des années 90 avait tout pour lui. Son allure, son ton, sa jeunesse, sa liberté ont cassé les codes et participé à l'invention de la télé compassionnelle. Il n'a pas encore 30 ans qu'il est déjà au sommet. Trop tôt, trop vite, trop fort. Les névroses de celui qui aurait voulu être l'intellectuel dont rêvait sa mère rejaillissent avec la démesure de son caractère impétueux.

Assoiffé de reconnaissance, rongé par le doute et ne s'aimant pas, il se transforme vite en Mister Hyde, trompant son angoisse de perfectionniste dans la drogue et l'alcool. Ses succès flamboyants ne parvinrent pas à l'apaiser. Sa soif insatiable de puissance et gloire lui aura été fatale.

Le bon élève

Jean-Luc Delarue naît le 24 juin 1964 à Paris d'un père universitaire d'origine russo-polonaise et d'une mère, d'origine hongroise, femme de tête, agrégée d'anglais. Des parents trop occupés pour voir grandir leurs enfants, Jean-Luc et son frère cadet Philippe, deux ans et demi de moins que lui. Pendant longtemps, le poste de télévision est banni de la maison. Quand le couple divorce, Jean-Luc, 7 ans, grandit entre sa mère, des nounous et sa grand-mère maternelle. C'est un élève doué. Son QI de 142 lui assure une belle scolarité.

À 17 ans, bac en poche, il sait qu'il ne s'accomplira pas à la manière de ses parents, celle de la fonction publique ou de la haute administration. Il veut embrasser l'époque, celle de l'argent et de la libre entreprise. Il réussit le concours d'entrée dans un IUT de publicité. Armé de son seul DUT de communication, il intègre à 20 ans l'agence DDB en tant que concepteur-rédacteur. La télé, où règne en prédateur le capitalisme le plus échevelé, l'attire. Avec son ami Olivier Dorangeon, il y débute en 1986, dans une émission consacrée à la publicité sur TV6, et poursuit son chemin médiatique avec des apparitions aux Enfants du rock sur Antenne 2. Repéré par Jean-Pierre Elkabbach, alors directeur des programmes d'Europe 1, il se voit attribuer en 1987 le micro du Top 50.

Séduit par son ton enjoué et sa prestance, Michel Denisot l'embauche en 1989 pour décortiquer l'air du temps dans son émission Demain sur Canal +. Mais le vrai tournant, pour celui que la presse surnomme alors « l'animateur qui monte plus vite que son ombre », arrive en 1992.

Levé tôt, couché tard

Producteur et présentateur de La Grande Famille sur Canal + à 28 ans, il gravit les échelons des grilles d'Europe 1 en devenant homme-orchestre de la tranche 7 h – 9 h. Sa rapide montée en puissance, sans avoir la carte de presse, au sein de la très convoitée matinale des informations, fait grincer des dents chez les journalistes. Les audiences, qui se ramassent à la pelle, clouent le bec des critiques et on loue le talent de cet animateur en tee-shirt et casquette de baseball dont le style léger et décontracté décoiffe le Paf.

Télé empathie

En décembre 1993, Jean-Pierre Elkabbach, devenu patron de France Télévisions, l'appelle pour présenter Ça se discute sur France 2. En costume sombre et chemise immaculée, Delarue, foreur d'affects, confronte les témoignages d'invités sur des sujets de société les plus divers, papillonnant du trivial au fondamental. Ses interrogations, il les promène désormais dans les béances de l'époque avec son émission de confessions, tablette à la main et oreillette “maousse" vissée sur l'oreille, qui devient l'emblème de ce confessionnal de plus de deux millions de téléspectateurs. Le nouveau gendre idéal de la petite lucarne mord le bleu du ciel et monte sa société de production, Réservoir prod.

Avec son ami Olivier Dorangeon sur TV6.

Jean-Pierre Elkabbach aura été son mentor.

Dans ses émissions, des anonymes viennent mettre leur vie à nu.

Aux côtés d'Hubert Boukobza, Robert De Niro et Nobu Matsuhisa, à l'inauguration du Nobu.

Pour sensibiliser les lycéens aux dangers des drogues, il entame un tour de France en camping-car.

La presse le surnomme “l'animateur qui monte plus vite que son ombre".

“Voleur de patates"

Fin 1995, le député Alain Griotteray pointe dans un rapport parlementaire les 600 millions de francs de chiffre d'affaires que des animateurs-producteurs réalisent avec la deuxième chaîne. Nagui, Arthur et Delarue incarnent cette débauche d'argent public finançant des sociétés de production privées. Les Guignols de l'info s'en emparent avec délices en rebaptisant le trio « les voleurs de patates ». Le plus gros séisme de l'audiovisuel public ternit l'image sans aspérité que l'animateur s'est ciselée.

L'amour filial entre Elkabbach et son poulain tourne à l'aigre. Le patron démissionne, brûlé par l'incendie qu'il a lui-même allumé. Sa manœuvre de shérif cathodique aux airs antigaspi a un effet boomerang. Delarue s'en sort comme une fleur éclose sur un tas de fumier. L'animateur au débit de mitraillette clame son bon droit. France 2 est désavouée par le tribunal de grande instance, puis déboutée par le tribunal de commerce.

La folie des grandeurs

Delarue revoit à la baisse ses contrats. En septembre 2007, il récolte le 19 h – 20 h de France 2 avec le magazine C'est l'heure, qui disparaît vite faute d'audience. Fort de l'Audimat gonflé à bloc de Ça se discute, où on se livre jusqu'à plus soif, il ouvre les vannes aux programmes de la même veine (Jour après jour, C'est mon choix, Vis ma vie...), contribuant aux plus grands succès d'audience de Réservoir prod qui enfle, embauchant et produisant à tour de bras. Delarue décline sa boîte : Réservoir Net, Réservoir Sport, noue des contrats avec des athlètes. Il lance deux restaurants à Paris, dont l'un, le Nobu, avec Robert De Niro.

“Mister Hyde"

Maître de la compassion dans ses émissions, il intègre à son tour la rubrique des faits divers. En 2007, son comportement déplacé durant un vol entre Paris et Johannesburg écorne encore plus son image et lui vaut des poursuites pour agression sexuelle sur des hôtesses de l'air. Le 14 septembre 2010, les policiers découvrent de la drogue à son domicile. Il est mis en examen en janvier 2011.

France 2 lui offre alors une possibilité de rédemption, émission dans laquelle il évoque « l'illusion de puissance » provoquée par l'alcool et la cocaïne. Il entame un tour de France, en camping-car, virée thérapeuticopathétique pour sensibiliser les lycéens aux dangers des drogues. Le 5 septembre 2011, il revient à l'antenne avec Réunion de famille. Mais les audiences ne suivent plus.

Devançant l'annonce de sa maladie par la presse people, il rend public son cancer. Malade, il devient l'enjeu d'une bataille familiale qui empoisonne plus encore sa fin de vie.

Neuf mois après l'annonce de son cancer de l'estomac et du péritoine, il décède le 23 août 2012. Il avait 48 ans.

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Dominique PARRAVANO

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