Jean Rochefort : Plus mes copains meurent plus je reçois de scénarios !

France Dimanche
Jean Rochefort : Plus mes copains meurent plus je reçois de scénarios !

Au Théâtre de la Madeleine depuis le 16 octobre, pour son spectacle Entre autres, dans lequel il rend hommage aux grands auteurs français, Jean Rochefort est aussi à l'affiche de La clef, le nouveau polar de Guillaume Nicloux.

Il y incarne un chef de gang aux côtés de Guillaume Canet, Marie Gillain, Josiane Balasko, Thierry Lhermitte et Vanessa Paradis. L'acteur se livre à des confidences drôles, émouvantes et sincères.

France Dimanche (F.D.) : Pourquoi vous êtes-vous rasé la moustache pour ce film ?

Jean Rochefort (J.R.) : C'est à la demande de Guillaume Nicloux, ce sale gosse que j'ai connu très jeune et qui a pratiquement exigé que j'enlève ma moustache, ce qui, pour moi, revient à enlever mon slip ! ( rire )

F.D. : À ce point-là ?

J.R. : Oui, je me sentais un peu à poil. C'est vrai que le fait de ne pas avoir de moustache accuse mon côté faux-jeton, hypocrite. Ma vraie âme ressort. ( sourire )

F.D. : Depuis quand ne l'aviez-vous pas rasée ?

J.R. : Depuis un film de Patrice Leconte : Ridicule.

F.D. : Est-ce la première fois que vous jouez un chef de gang ?

J.R. : Oui. Les rôles de méchants sont des rôles formidables à interpréter. Celui-là doit avoir un compte en Suisse avec des lingots couverts de sang. Il a une vie modeste d'apparence pour mieux cacher son trafic. Je crois que c'est un mafieux puissant.

F.D. : Quand écrirez-vous vos mémoires ?

J.R. : J'espère jamais. J'ai l'impression de me découvrir déjà dans Entre autres, le spectacle que je joue au Théâtre de la Madeleine. Et puis, je n'arrive pas à comprendre pourquoi les gens sont intéressés par ce genre de livres. C'est quelque chose qui m'échappe. Mais il y en a tellement que ça doit bien se vendre. Moi, je trouve que c'est faire preuve d'une grande misère intellectuelle que de s'intéresser à la vie de Tartempion.

F.D. : Avez-vous déjà lu des mémoires de gens du métier ?

J.R. : Lu jusqu'au bout ? Rarement.

F.D. : Même pas celles de Simone Signoret ?

J.R. : Oh non, nous nous haïssions ! Nous avons tourné un film sans nous adresser la parole pendant deux mois. Un cauchemar. C'était Chère inconnue, un texte réécrit par Signoret. Comme je lui ai dit dans une lettre : « Écrit pour votre clientèle : les abonnés de La Redoute de Roubaix »!

F.D. : Que s'est-il passé ?

J.R. : Tout a basculé le troisième jour. Nous tournions en Bretagne et j'ai compris que Signoret était convaincue que, derrière chaque menhir, un agent du FBI ou de la Guépéou surveillait ses faits et gestes. Je n'avais jamais vu ça !

F.D. : Avez-vous lu les mémoires de Philippe Noiret ?

J.R. : Non. J'étais très lié avec Philippe, et je ne sais pas si je les lirai un jour. Tout ce qui le concerne me touche encore profondément. Je viens de foutre ma maison à sac parce que j'ai perdu une écharpe qu'il m'a offerte il y a vingt ans. Voilà ma grande préoccupation du moment : retrouver cette écharpe.

F.D. : Cette écharpe, l'avez-vous mise souvent ?

J.R. : La dernière fois, c'était pour un spectacle d'Édouard Baer à La Cigale, où je poussais la chansonnette, et je crois que c'est eux qui me l'ont paumée. C'est à eux de faire des recherches maintenant !

F.D. : Recevez-vous beaucoup de scénarios ?

J.R. : Plus mes copains meurent, plus j'en reçois ! Aujourd'hui, grâce à Internet, on peut faire d'un scénario un bel objet dans la présentation, le toucher, la typographie. Mais plus personne ne s'intéresse à ce qu'il y a à l'intérieur. Ce qui compte c'est de pouvoir montrer quelque chose de beau. Hélas, nous, acteurs, sommes obligés de les lire.

F.D. : Vous avez beaucoup de déconvenues ?

J.R. : J'ai reçu récemment un scénario intitulé Comment se débarrasser de pépé ! C'est l'histoire d'une famille qui part en vacances et qui ne sait pas quoi faire du grand-père. Quand je l'ai reçu, j'ai demandé : « C'est pour quel rôle ?» Je ne l'ai pas lu jusqu'au bout, je n'ai pas pu.

F.D. : Pourquoi avoir voulu être acteur ?

J.R. : C'est un mystère. Pourquoi ai-je voulu faire un métier que je ne connaissais absolument pas ? Peut-être le goût du costume, qui vient des opérettes que j'allais voir avec ma maman.

F.D. : Comptez-vous un jour prendre votre retraite ?

J.R. : Non, car j'ai encore du désir. S'il fout le camp, j'arrête. Ça doit être dur de regarder son partenaire en pensant à ses charentaises. Mais, même si je cesse un jour d'être acteur, je continuerai à agir dans l'ombre. Pour le moment, je suis toujours dans le désir, et je considère cela comme une grande chance.

Éric Bellefond

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