Jeanne Moreau : Privée d'amour depuis toujours !

France Dimanche
Jeanne Moreau : Privée d'amour depuis toujours !

À l'occasion de ses 60 ans de carrière, Arte consacre un émouvant documentaire à la grande comédienne Jeanne Moreau

«C'est la meilleure actrice du monde !» disait d'elle le talentueux Orson Welles . Il est vrai que, depuis plus de soixante ans, Jeanne Moreau inspire les plus grands réalisateurs.

Elle a tourné dans une centaine de films, dont la plupart sont des chefs-d'oeuvre, et tenu de nombreux rôles au théâtre. Une carrière exceptionnelle qui a valu à la comédienne les plus prestigieuses récompenses : une palme à Cannes en 1960, un Lion d'or au festival de Venise en 1991, et sept ans plus tard, un Oscar à Los Angeles !

Solitude

Femme libre, auréolée de grâce, Jeanne, qui soufflera ses 80 printemps le 23 janvier prochain, a souvent incarné les grandes amoureuses à l'écran. Pour compenser l'amour qui lui a tant fait défaut dans la vie ?
La question peut en effet se poser après avoir vu l'émouvant documentaire qui lui est consacré, et que vous pourrez suivre le dimanche 27 janvier, sur Arte.

« Enfant, raconte-t-elle, j'étais dans une solitude absolue, puisque j'étais l'enfant d'un couple passionné, dans une crise passionnelle et qui se déchirait. Donc je n'ai pas connu de moments de tendresse. »

La jeune fille se réfugie alors dans la lecture et tente de trouver dans les livres des réponses à ses questions existentielles : « Comme on ne me parlait pas de la vie, raconte-t-elle, et que je ne comprenais pas tout ce qui se passait, c'est à travers les livres que j'ai compris. »

Malheureusement, si un livre peut donner des clés pour appréhender le monde, il ne procure ni tendresse, ni amour... deux sentiments qui ont cruellement manqué à Jeanne : « Je me disais : " On me fourgue, on m'abandonne. " », confie-t-elle encore. Hélas, la jeune fille ne souffre pas seulement de l'indifférence de ses parents à son égard. Elle doit aussi endurer... les coups !

« Je suis restée enfant unique jusqu'à l'âge de 9 ans et demi, et je me suis toujours sentie étrangère. L'autorité paternelle était quelque chose que je supportais très mal. Un jour, mon père a été très violent avec moi. Et je me suis dit : " Ce mec n'est pas mon père. C'est pas possible. " »

Obstacles

Quant aux relations avec sa mère, si elles sont plus douces, elles n'en demeurent pas moins compliquées. En effet, lorsque cette dernière, qui était danseuse aux Folies-Bergère, est tombée enceinte, elle a dû abandonner sa carrière. Un renoncement dont l'actrice se sentira longtemps responsable : « Quelque part, explique-t-elle, elle a pensé qu'elle avait raté sa vie à cause de ma naissance. Ma grand-mère paternelle, pourtant très religieuse, lui a même proposé d'avorter. [...] Très longtemps, j'ai pensé que j'étais un obstacle à son bonheur. »

Un bonheur que la jeune fille rêve à défaut de vivre. Ainsi idéalise-t-elle l'amour et la famille, tout ce qui, enfant, lui a fait défaut. « Sans doute me suis-je dit que si j'aimais un homme, réalise-t-elle aujourd'hui, ce serait pour toujours. »

Le destin se charge malheureusement bien vite de la ramener à la dure réalité ! En 1949, Jeanne se marie avec le réalisateur Jean-Louis Richard et met au monde, la même année, un petit Jérôme. Onze mois plus tard, son couple, qu'elle pensait éternel, vole en éclat.

« J'étais chez mes beaux-parents, se souvient-elle, et le père de mon enfant s'était absenté à cause du décès de Louis Jouvet, et il ne revenait pas. À la tête de ma belle-mère, j'ai vu que cette très longue absence avait un autre sens que celui que j'avais imaginé. En effet, ce deuil avait rapproché le père de mon fils d'une personne. Et il avait l'intention de ne pas revenir. »

Cette débâcle sentimentale guérira à jamais Jeanne de ses illusions. Femme libre, elle se jette alors dans les bras de beaucoup d'hommes : « Je n'avais pas l'impression de commettre l'adultère. J'ai eu des expériences amoureuses nombreuses. Pas fréquentes, mais nombreuses. Dans les années 60, je rêvais d'une grande maison où je pourrais loger tous mes amants. »
Alors qu'elle virevolte de l'un à l'autre, la comédienne réalise qu'elle est incapable de s'attacher à un seul homme.

Pourtant, quand elle rencontre le réalisateur américain William Friedkin, qu'elle épouse en 1977, elle se dit que celui-ci pourrait bien être le bon. Il lui faut moins de deux ans pour comprendre qu'elle se trompe... Blessure d'enfance, quand tu nous tiens !

Est-ce aussi cette jeunesse sabordée qui lui vaut aujourd'hui de traverser des moments extrêmement pénibles ? Car Jeanne, qui se définit elle-même comme « cyclothymique » ou encore « très noire », est sujette à de véritables crises de désespoir ! Notamment lorsqu'elle pense à ceux qui l'ont aimée, qu'elle a aimés, et qui ne sont plus.

Parmi eux, Jean-Claude Brialy dont la mort a laissé dans son cœur et sa vie, un vide immense, insupportable : « La disparition de Jean-Claude, confie-t-elle les larmes aux yeux, je ne m'y fais pas. Je n'arrive pas à y croire. »

Pour la comédienne, il ne fait aucun doute que ces états d'âme trouvent leur origine dans son douloureux passé : « Je n'aime pas l'idée d'être abandonnée, reconnaît l'actrice, je préfère abandonner moi-même. Ça doit venir de l'enfance . »

Certes, Jeanne Moreau sait aujourd'hui mieux que quiconque que tous ces malheurs font partie du « tourbillon de la vie ». Mais un tourbillon sans lequel elle ne serait peut-être jamais devenue ... Il la meilleure actrice du monde » !

Jean Joyon

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