Kirk et Michael Douglas : Rivaux de père en fils

France Dimanche
Kirk et Michael Douglas : Rivaux de père en fils

L'acteur Michael Douglas, qui triomphe en ce moment dans "Ma vie avec Liberace", a mis des années à s'affranchir de la gloire de son père Kirk Douglas et à lui pardonner d'avoir quitté sa mère.L'acteur Michael Douglas, qui triomphe en ce moment dans "Ma vie avec Liberace", a mis des années à s'affranchir de la gloire de son père Kirk Douglas et à lui pardonner d'avoir quitté sa mère.

Lorsqu'il a vu son fils, alors âgé de 12 ans, jouer à l'école dans une pièce de Shakespeare, Kirk Douglas s'est écrié : « Dieu merci, il est tellement mauvais qu'il ne deviendra jamais comédien ! »

Voeu pieux d'un père voulant épargner à son rejeton les affres d'un métier difficile ou désir inavoué d'étouffer dans l'œuf un futur rival ? Un peu des deux, sans doute ! Mais, Dieu merci, Michael a fait la sourde oreille, devenant un immense acteur.

Atteint d'un cancer de la gorge en 2010, il revient aujourd'hui, guéri et plus inspiré que jamais, dans Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh, sorti le 18 septembre. Dans ce film, retraçant la secrète histoire d'amour entre ce pianiste virtuose et son jeune amant dans l'Amérique bien-pensante des années 70, il ne joue pas, il est Liberace...

Ce personnage lui rappelait-il son propre combat pour exister hors de l'ombre écrasante de Spartacus ? Le parallèle est tentant... Lorsque Kirk se sépare de sa femme, l'actrice Diana Dill, Michael a 6 ans, et ce divorce marquera au fer rouge leur relation :

« Je lui en voulais d'avoir abandonné maman. » Le cœur de son père est ailleurs, comme il ne tarde pas à le comprendre. Un jour, sur le tournage des Ensorcelés, il le voit embrasser un peu trop langoureusement sa partenaire, Lana Turner. Kirk, remarquant soudain que son fiston l'observe, le chasse alors d'un geste de la main : « Un mouvement sévère, sans appel. Je devais foutre le camp, disparaître de son champ de vision », se souvient Michael dans Le Monde.

Devenu grand, l'enfant de la balle choisit la voie du théâtre, miné devant l'ampleur du travail à accomplir pour arriver à la cheville de son père, qui l'aurait voulu avocat et ne fait rien pour l'encourager, saluant l'une de ses premières prestations d'un : «Pas de risques que tu viennes sur mes plates-bandes. Tu es mauvais comme un cochon ! Ce métier-là n'est pas pour toi, bonhomme.»

Thérapie familiale

Le défi était lancé ! La rage au ventre, Michael va s'attacher à le relever ! Dans les années 70, il décroche un premier grand rôle dans le feuilleton Les rues de San Francisco. En attendant, il a l'occasion de mettre un conseil paternel en pratique : « Un gamin doit savoir donner un grand coup de pied dans les couilles de son père », lui avait-il dit.

En 1975, en effet, Kirk, qui a racheté les droits de la pièce Vol au-dessus d'un nid de coucou, propose à son fiston de coproduire le film. Il s'y réserve le rôle phare, avec lequel il espère relancer sa carrière en berne. Déterminé à lui montrer de quoi il était capable, Michael parvient à trouver des fonds, un réalisateur, Milos Forman, et dans le rôle principal, Jack Nicholson ! C'est un carton, cinq Oscars, dont celui du meilleur acteur pour Nicholson ! Et un coup terrible pour Kirk, qui n'a jamais réussi à décrocher cette récompense !

Comme son rejeton le résume, toujours dans Le Monde : « Il dit que ça lui a brisé le cœur. Peut-être. Mais j'ai pris une décision professionnelle, pour l'intérêt du film. J'ai payé mes dettes. » Au fond, il reste ce gamin qui n'arrive pas à grandir. Il a 40 ans, bosse comme un fou, boit comme un trou, quand le succès survient enfin. À la poursuite du diamant vert sera la première marche vers la gloire. Suivront Liaison fatale, Wall Street, La guerre des Rose, Basic Instinct...

Loin de l'apaiser, cette reconnaissance le fait sombrer. Il se noie un peu plus dans l'alcool. Sa vie de famille, avec Diandra, qu'il a épousée en 1977, et leur fils Cameron, est un désastre. En 1992, il entame une cure de désintoxication. Et, face aux médecins, évoque : « L'insupportable pression du boulot, ma lutte acharnée pour réussir, pour égaler enfin Kirk, mon père... » Convoqué à une séance de thérapie familiale, ce dernier met les pieds dans le plat : « Je me disais qu'en le voyant, j'allais lui dire : "Viens fiston, on va discuter tranquillement." Mais je n'ai fait que lui aboyer à la tête ! »

Un dialogue s'instaure alors entre eux, qui marquera, pour Michael, le début d'une lente reconstruction. À 69 ans, l'acteur est enfin un homme apaisé et un père attentif pour Dylan (13 ans) et Carys (10 ans), les enfants qu'il a eus avec sa seconde épouse, Catherine Zeta-Jones.

Il y a quelque temps, son père, regardant la télé, a cru se reconnaître dans un film dont il avait oublié le nom. Comme il l'a raconté ensuite à son fils, quand il s'est approché du poste, il a réalisé que ce n'était pas lui mais Michael qui jouait. Confusion qui n'a pas manqué d'étonner ce dernier, qui a confié au Monde : « Fallait-il comprendre que j'existais enfin pour de bon ou que, au contraire, je devais vivre pour de bon dans l'ombre de quelqu'un d'autre ? » Même s'il n'a toujours pas la réponse, une chose est sûre : son talent, comme celui de Kirk Douglas, est unique...

Lili Chablis

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