Les Frères Ennemis : Adieu André Gaillard !

France Dimanche
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André Gaillard, le dernier membre du célèbre duo comique, qui a enchanté la France entre les années 1950 et 1980, s’est éteint à l’âge de 91 ans.

Le monde du rire est en deuil. André Gaillard, l’un des Frères ennemis, ce duo comique qui a enchanté le public français entre les années cinquante et quatre-vingt, a tiré sa révérence le lundi 30 septembre. Il avait 91 ans. C’est l’une de ses filles, Silvia, qui a annoncé la triste nouvelle.

À quoi pensait le comédien durant ces dernières années à la maison de retraite des artistes de Nogent-sur-Marne, près de Paris, où il vivait ? Sans doute aux années merveilleuses qu’il avait partagées avec son complice de toujours, Teddy Vrignault. Ils avaient en effet fait les beaux jours – ou plutôt les belles nuits ! – des cabarets parisiens, comme le théâtre des Deux-Ânes, l’Écluse ou le Caveau de la République. Oui, il est bien certain que l’humoriste songeait à son duo et aux jeux de mots brillants et hilarants que partageaient les deux comparses moustachus ! Leur sketch Les appels téléphoniques, où on les voit côte à côte, un téléphone à la main, se lançant des répliques du tac au tac – comme « Allô, Robespierre. Qu’est-ce qu’on fait de Danton ? Une question à trancher ! », ou « Allô, c’est Beaumarchais ? Non, c’est Vilain Chirac » –, font beaucoup penser aux gags d’Omar et Fred pour leur Service après-vente des émissions. Sauf que, Les Frères ennemis, c’était plusieurs décennies avant !

Mais s’il est une chose à laquelle il est certain qu’André Gaillard pensait, c’est à son frère justement, son frère de cœur, avec qui il avait vécu toutes ces années formidables de rires et de gloire. Car, comme dans le roman le plus noir qui soit, cette âme sœur s’était, un triste jour de 1984, littéralement évanouie dans la nature...

Oui, à la Toussaint de cette année-là, Teddy Vrignault avait cessé de donner signe de vie. À tous, y compris à son complice. C’est le commandant de police Alain Dubois qui, à l’époque, s’était occupé de cette inquiétante affaire. Le 1er novembre au matin, Simone Vrignault, l’épouse de Teddy, signale sa disparition. On a remis à Alain Dubois une fiche de police qui mentionne que l’étonnante 504 Peugeot de Teddy – dorée avec un toit noir – n’est plus dans la rue où elle était stationnée. Le commandant Dubois pense d’abord que cette affaire a toutes les chances d’être assez simple à résoudre. Pour lui, compte tenu du caractère un peu fantasque de l’humoriste, il n’y a rien de très inquiétant dans le fait qu’il ait eu brusquement envie de changer d’air sans prévenir personne...

Tandis que le commandant se rend au domicile du couple, à Montmartre, pour interroger Simone, l’un de ses subordonnés file vers le XVe arrondissement où demeure André Gaillard. Mais, lorsque les deux policiers se retrouvent quelques heures plus tard, c’est pour constater que leur affaire se présente désormais sous des couleurs plus sombres que ce qu’ils avaient d’abord pensé.

De l’épouse du disparu, Alain Dubois a appris que Teddy Vrignault, miné par des soucis d’argent, était très déprimé, qu’il prenait des médicaments pour dormir, passait des heures enfermé dans le garage attenant à la maison, aménagé par lui en studio afin d’y travailler les textes de ses sketches. Le 1er novembre, il a ainsi réussi à se lever, à s’habiller et à sortir sans éveiller sa compagne. D’après elle, il devait être environ 6 heures du matin. Ce n’est que quelques heures plus tard qu’elle s’est aperçue que Teddy avait pris soin d’emporter les papiers de la voiture ainsi que 2 500 francs (soit environ 700 euros d’aujourd’hui). 

L’entretien avec André Gaillard suscite la même inquiétude : d’après l’autre Frère ennemi, Teddy n’allait pas très bien ces temps derniers. Pour aider les policiers, il leur établit une liste des proches de son ami. Les téléphones se mettent en marche...

L’un des subordonnés d’Alain Dubois fait une « touche » du côté du scénariste et cinéaste Michel Audiard : le comédien a téléphoné chez lui la veille de sa disparition, vers 11 heures et demie du matin. Malheureusement, Michel Audiard n’était pas là et c’est son employé de maison qui a pris la communication. Teddy lui a dit qu’il rappellerait, mais ne l’a pas fait. Le commandant Dubois décide alors d’intensifier son enquête dans trois directions : contacter tous les membres de la famille de Teddy, explorer systématiquement le quartier dans lequel il vit, et rechercher activement sa fameuse voiture. Mais toutes ces investigations vont aboutir à... rien.

L’enquête continue donc, autour de son domicile, dans les cafés. On fait régulièrement la tournée des hôpitaux. Bien entendu, on épluche tout aussi souvent le fichier des cadavres non identifiés. Rien, désespérément rien...

Le 13 janvier 1985, le commandant Dubois se rend même aux studios d’Europe 1 pour assister à l’émission de Pierre Bellemare, Au nom de l’amour, consacrée à Teddy Vrignault, espérant le retrouver grâce aux témoignages des auditeurs. Des témoignages, il y en aura en effet : trente-cinq. Tous seront vérifiés, mais aucun n’aboutira. 

Par la suite, les déclarations d’une dame affirmant avoir vu plusieurs fois le disparu dans le XVe arrondissement feront reprendre un peu espoir au policier. Son partenaire habitant dans ce quartier, il lui paraît plausible que Teddy Vrignault vienne y rôder. Hélas, il va découvrir, en interrogeant cette personne, que l’homme qu’elle a croisé plusieurs fois est... André Gaillard, l’autre Frère ennemi ! 

Désespéré par la perte de son ami et complice, celui-ci tentera même de le retrouver par le biais de l’émission de Jacques Pradel, Perdu de vue, dans les années 1990. Mais cette nouvelle tentative, hélas, ne donnera rien non plus. Ensuite, le silence retombera progressivement sur Teddy Vrignault. Le mystère qu’il a suscité restera, probablement, à jamais, sans réponse. Le 1er novembre 2004, vingt ans jour pour jour après sa disparition, il a été officiellement déclaré mort. Un crève-cœur pour André, qui, après avoir tourné quelques derniers rôles dans des films comme La vie dissolue de Gérard Floque ou Room service, de Georges Lautner, disparaîtra à son tour...

Claude LEBLANC

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