Louis Armstrong : "What a wonderfull man !"

France Dimanche
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Disparu il y a 50 ans, ce chanteur et trompettiste au souffle de soie aurait 120 ans. Louis Armstrong a popularisé le jazz, en donnant au soliste la place que mérite l'improvisation.

Quand on se penche sur la carrière du trompettiste le mieux toqué de l'histoire du jazz, ce sont les oreilles qui en redemandent. Son cuivré, rond de la trompette, vibrato entêtant, économie de notes... Louis Armstrong, qui s'est toujours tenu à l'écart du débit torrentiel des boppers, à l'instar de Charlie Parker ou Dizzy Gillespie, reste le patriarche du jazz, le Pops (papa) des trompettistes.

Lors de l'enregistrement de West End Blues, en 1928, Satchmo (surnom qui vient de satchel mouth, ou « bouche en forme de besace ») se lance en ouverture de ce morceau de blues assez plat dans une cadence solo de quinze secondes. Il sort du cadre harmonique des parades néo-orléanaises, tel un voltigeur s'élancerait au-dessus du vide et suspendrait son envol. Ce jour-là, Armstrong propulse le jazz sur le chemin de l'improvisation à une époque où les orchestres, souvent des fanfares, se contentaient d'une lecture approximative d'œuvres interprétées à l'unisson. Dès lors, ce maître de la trompette, qui puisait son inspiration de l'infréquenté et d'une idée de l'incertain jazz percuté par les possibilités rythmiques, influencera des générations d'instrumentistes. « Dès qu'on souffle dans un instrument, on sait qu'on ne pourra rien en sortir que Louis n'ait déjà fait », déclara Miles Davis.

Il voit le jour avec le XXe siècle le 4 août 1901, à La Nouvelle-Orléans, berceau de toutes les musiques, dans le quartier de Perdido, l'un des plus pauvres de la ville. Son père, ouvrier dans une fabrique de térébenthine, déserte le foyer. Sa mère fait la bonne chez les Blancs et monnaie ses charmes pour s'en sortir. Il est élevé à la fois par sa grand-mère, une ancienne esclave, et sa mère.

La rue est son école. Comme il est d'usage à La Nouvelle-Orléans, les ruelles se remplissent de vacarme la nuit de la Saint-Sylvestre. Il y participe en ce 31 décembre 1913 en tirant un coup de feu en l'air avec le revolver de son beau-père. Arrêté, il est placé en maison de correction. Le surveillant lui apprend le cornet à pistons dans l'orchestre du foyer. Sa vocation naît.

Libéré en 1914, il se lie d'amitié avec Joe “King" Oliver, le plus important chef d'orchestre de La Nouvelle-Orléans. Il sera son maître à jouer, celui qui va débarrasser des éclats intempestifs l'improvisation collective héritée des fanfares.

Le 19 mars 1918, il se marie avec Daisy Parker, une entraîneuse rencontrée dans un bar malfamé dont il est tombé amoureux.

En août 1917, le ministère des Armées ferme le quartier de Storyville où les maisons de passe, cabarets et bars font vivre les musiciens. C'est le début de leur exode vers le Nord, ce qui donne à Armstrong l'occasion de remplacer King Oliver dans l'orchestre de Kid Ory. Le pianiste Fate Marable l'engage en 1919 sur le Sidney, bateau à vapeur qui sillonne le Mississippi.

Puis en 1922, King Oliver l'embauche dans son Creole Jazz Band comme second trompettiste. Il enregistre ses premiers disques, travaille avec le batteur et chef d'orchestre Ollie Powers et est engagé dans la formation de Fletcher Henderson. Ses solos défrisent et son jeu met K.-O. jusqu'aux plus finauds des aficionados. « Personne n'avait rien entendu de pareil », dira Duke Ellington.

Pris dans l'orchestre de la pianiste Lil Hardin, il l'épouse en secondes noces en 1924. Elle en fait le premier soliste de jazz. Il accompagne les chanteuses de blues Ma Rainey et Bessie Smith, participe à des enregistrements aux côtés de Sidney Bechet et crée sa formation, le quintette Hot Five. À partir de 1925, Louis grave ses premiers disques 78 tours sous son propre nom.

En 1926, alors qu'il enregistre le titre Heebie Jeebies, le papier sur lequel sont écrites les paroles lui échappe, le trompettiste de génie se met à bredouiller des onomatopées. Il vient d'inclure un style d'improvisation vocale, baptisé le scat. Bousculant la technique de la trompette, Armstrong brode des solos limpides, baignés d'une force tellurique. Les portes du monde de la musique lui sont désormais grandes ouvertes. Il subjugue son auditoire. Il codifie l'improvisation telle qu'elle sera dorénavant pratiquée dans le jazz. Son brio consiste à conférer à chaque note une attaque, une durée, une hauteur, une force, un timbre et une couleur qui chacune la chargent d'une force émotive particulière.

Armstrong est d'abord l'invité des plus fameux home bands (orchestres de clubs), puis, dirigeant son propre big band dans les années 1930, il fait plusieurs tournées en Europe et joue dans des films.

D'août 1934 à février 1935, il emménage à Paris, dans le IXe arrondissement. Jacques Canetti le prend sous contrat aux Studios Polydor. Il se produit à la salle Pleyel en novembre 1933.

En 1935, une rupture de l'Orbicularis oris, un muscle labial, le force à mettre sa carrière entre parenthèses pendant un an. En 1940, il retrouve Sidney Bechet pour enregistrer quatre titres historiques : Perdido Street Blues, 2: 19 Blues, Down in Honky Tonk Town et Coal Cart Blues.

Il s'installe à New York, dans le Queens, en 1943. Avant de

faire sensation un an plus tard sur la scène du Metropolitan Opera. En 1947, il donne naissance à son All Stars, sextuor qui mêle la spontanéité du jazz New Orleans et les riffs typiques des big bands. Il parcourt le monde jusqu'à la fin des années 1950.

Le 28 février 1948, Suzy Delair chante C'est si bon lors du premier Nice Jazz Festival. Armstrong adore la chanson et enregistre, le 26 juin 1950, la version américaine avec l'orchestre de Sy Oliver. Le succès est mondial. En 1954, 1957, 1959, il collabore avec Ella Fitzgerald sur deux albums de duos, Ella et Louis et le célèbre Porgy and Bess.

Véritable ambassadeur culturel des États-Unis, il enchaîne les tournées dans le monde. En 1964, il enregistre son titre le plus vendu, Hello, Dolly ! qui lui vaut un Grammy Award. Trois ans plus tard, il squatte les hitparades avec What a Wonderful World, avant de baisser pavillon. Il joue alors épisodiquement.

Le 6 juillet 1971, ce ponte des soupirs solides et fluides meurt à son domicile. Mais son étoile sur le Walk of Fame de Hollywood brille toujours !

* Quel homme merveilleux ! (en référence à son tube What a Wonderful World).

Dominique PARRAVANO

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