Marie Laforêt : Adieu la chanteuse aux yeux d’or !

France Dimanche
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Le 2 novembre, Marie Laforêt l’interprète de “Viens, viens” s’est éteinte. Retour sur l’itinéraire d’une artiste qui a fait passer sa liberté avant tout.

Elle a connu les cimes, est tombée dans l’oubli, s’en est toujours moquée car une seule chose lui importait : ne faire que ce qui lui plaisait. La vie avait-elle cessé d’enchanter cette belle impertinente qui avouait avoir « un budget bonheur plutôt positif » ? Le 2 novembre dernier, dans une clinique suisse, Marie Laforêt fermait à jamais ses beaux yeux dorés. Elle avait 80 ans...

En découvrant le bébé qu’elle vient de mettre au monde, le 5 octobre 1939, sa mère Marie-Louise, s’exclame : « Merde, encore une fille ! » Comme le confiera Marie plus tard : « ça vous place, d’entrée, dans la série des gagnants. » Pour l’heure, gagner ou perdre, la petite Maïtena Marie Brigitte Doumenach, son vrai nom, s’en moque. élevée dans un milieu bourgeois, son père est scientifique, sa mère femme au foyer, la fillette grandit au bord de l’océan, à Soulac-sur-Mer, en Gironde. Les après-midi de beau temps, la famille prend le thé servi sur un plateau d’argent, sur la plage où elle adore faire des châteaux de sable. Après la guerre, la famille déménage à Valenciennes, dans le Nord, puis à Paris où l’adolescente suit de brillantes études au lycée Jean-de-La-Fontaine. Passionnée de lecture, elle rêve de devenir carmélite...

C’est en accompagnant sa sœur aînée, Alexandra, qui suit des cours d’art dramatique au Cours Simon, qu’elle découvre la comédie. En 1959, Europe 1 organise le concours de théâtre, Naissance d’une étoile. Maïtena, qui a 20 ans, s’inscrit sans y croire. Son charisme, sa grâce et son aisance sur scène séduisent le jury qui lui décerne le premier prix. Repérée par le réalisateur Louis Malle, qui la veut pour son film Liberté (qui ne verra finalement pas le jour), elle se voit proposer un contrat de quatre ans à la clé. « Le travail ne se refuse pas ! », l’encourage son père. Sa carrière est lancée... Elle devient Marie Laforêt, un pseudonyme choisi à la va-vite, qu’elle détestera longtemps avant de concéder qu’il correspondait finalement bien à l’amoureuse de la nature qu’elle était.

En 1960, elle irradie l’écran dans Plein soleil de René Clément. Pourtant, elle a détesté ce premier tournage dans une cabine de bateau « qui puait la mort », et plus encore son partenaire, Alain Delon. Entre eux, ça a été épidermique au premier regard. « Tu veux que je te saute ? », lui assène le jeune premier en guise de bonjour. Comme Marie le repousse, il lui dit, vexé : « Tu ne sais pas ce que tu perds. » La réplique fuse : « Et toi tu ne sauras jamais ce que tu rates. » Bienvenue dans le monde de « monsieur Chaudbise », comme elle appelle le métier.

Elle inspire au réalisateur Jean-Gabriel Albicocco qu’elle épouse dans la foulée, le titre de son deuxième film La fille aux yeux d’or. Sous sa houlette, elle tournera aussi Le rat d’Amérique, avec Charles Aznavour, en 1963. Les propositions de rôles commencent à pleuvoir, mais l’ancienne aspirante au Carmel ne veut pas être cloîtrée dans un seul registre. Elle a des choses à dire et pas seulement devant une caméra...

En 1963, aidée par son ami d’enfance, Jacques Higelin, elle enregistre un premier 45 tours, Les vendanges de l’amour, écrit par Danyel Gérard, le premier d’une longue liste de tubes. « Je n’ai pas une voix, j’ai un timbre », disait-elle. Son immense curiosité la pousse à s’ouvrir aux musiques du monde. Elle est l’une des premières à interpréter du Bob Dylan, adapte en 1964 The Sound of Silence du groupe Simon and Garfunkel, qui devient La voix du silence, puise dans le folklore russe pour l’un de ses grands succès Ivan, Boris et moi... Son répertoire, sa tessiture grave, un peu voilée font mouche. Elle chante en italien, en espagnol, en portugais, remplit les salles, vend des millions de disques. Entre deux concerts, elle tourne. Elle est Agathe dans à cause, à cause d’une femme de Michel Deville (1963), Gisèle dans La chasse à l’homme d’Édouard Molinaro (1964), Marie-Chantal dans Marie-Chantal contre Dr Kha, de Claude Chabrol (1965).

Sa carrière s’envole... Se sent-elle alors prisonnière d’un succès qui l’étouffe ? En 1977, après avoir enregistré un de ses grands succès, Il a neigé sur Yesterday, Marie décide de se consacrer à la littérature et à l’art. Elle part vivre à Genève et ouvre sa propre galerie. Producteurs et maisons de disques s’arrachent les cheveux, elle s’en moque, revient tout de même en France, en 1979, le temps de tourner Flic ou Voyou, de Georges Lautner, avec Jean-Paul Belmondo qui se souvient : « Son esprit pétillant nous faisait vivre au second, voire au troisième degré. Que de merveilleux souvenirs ! »

Comme elle le confiera plus tard au Figaro : « La vie est une suite de Waterloo ! J’ai une philosophie zen : l’échec est un événement à vivre aussi calmement qu’une joie... » Sa galerie, où elle a investi toutes ses économies, ne marche pas. Qu’importe, elle aura essayé ! Début 80, elle revient au cinéma. Elle tourne dans Les morfalous, d’Henri Verneuil, où elle retrouve l’ami Belmondo, Le pactole de Jean-Pierre Mocky, avec Patrick Sébastien ou encore Fucking Fernand, de Gérard Mordillat, qui lui vaut le César de la meilleure actrice dans un second rôle en 1988. Elle apparaît aussi dans plusieurs séries TV, dont Le loufiat ou Emmenez-moi au théâtre. Si la comédienne est encensée, le public boude quelque peu la chanteuse qui, en concert, refuse d’interpréter certains de ses tubes dont elle s’est lassée. Une fois de plus, Marie fait comme bon lui semble, n’en déplaise à ses fans.

En 2000, elle revient sur les planches, où elle incarne une Maria Callas plus vraie que nature dans Master Class, un rôle pour lequel elle obtient à deux reprises le Molière de la meilleure comédienne.

L’un de ses grands admirateurs, Laurent Ruquier, lui propose en 2003 de reprendre au pied levé le rôle d’Isabelle Mergault, contrainte d’arrêter, dans sa pièce La presse est unanime. Marie accepte. C’est le début d’une fructueuse collaboration.

Jamais, même ces derniers temps où elle se savait condamnée, l’artiste ne s’est départie de son humour. Comme l’a raconté Laurent Ruquier au Parisien, il avait comme invité le 26 octobre dernier dans son émission On ne peut plaire à tout le monde, le philosophe et ex-compagnon de Carla Bruni, Raphaël Enthoven. Le lendemain, l’animateur recevait ce SMS de Marie : « Il est très beau. File-lui mon numéro, on sait jamais, il est peut-être nécrophile ! »...

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Lili CHABLIS

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