Marthe Keller : Sa belle histoire avec Al Pacino

France Dimanche
Marthe Keller : Sa belle histoire avec Al Pacino

Marthe Keller et Al Pacino, la Demoiselle d’Avignon et la star d’Hollywood, ont eu le coup de foudre l’un pour l’autre.

Si, paraît-il, les histoires d’amour finissent mal en général, certaines mutent et tissent des liens d’amitié que rien ne saurait trancher.

C’est sans nul doute le cas de celle entre notre Demoiselle d’Avignon et l’un des derniers géants d’Hollywood, Al Pacino.

Dans une interview accordée à Vanity Fair, l’actrice se souvient d’un coup de fil du bouillant Tony Montana, le mafieux cubain interprété par la star dans Scarface : « Marthe, on file se marier à Las Vegas... à condition de ne pas vivre ensemble. »

Après plus de quarante ans de complicité, la tendresse les unit encore, même si la passion est morte depuis longtemps. Restent les souvenirs, toujours aussi vivaces : « Vous savez, Al et moi avons vécu un vrai film. »

Un très long métrage, une saga qui s’étale sur plusieurs décennies, et dont la scène d’ouverture se déroule en 1975 dans le bar du Carlyle, à Manhattan.

Grâce

La Suissesse, élégante et racée, attend, avec une nuance d’appréhension, l’acteur que tous les cinéastes s’arrachent outre-Atlantique, révélé par Un après-midi de chien, deux épisodes du Parrain et Serpico.

La jeune femme a été prévenue par le réalisateur Sydney Pollack qui s’apprête à tourner Bobby Deerfield. Son potentiel partenaire est tout-puissant et s’occupe du casting, sans que le metteur en scène ait son mot à dire.

Son entremetteur lui a aussi précisé un détail d’importance : elle est très grande, Al tout petit, et cette différence risque de le mettre de mauvaise humeur. « Pour qu’il ne me voie pas debout, j’avais prévu d’arriver en avance, et j’avais bien l’intention de ne pas quitter mon fauteuil, explique-t-elle, toujours dans Vanity Fair. J’avais aussi convié Dustin Hoffman, sans lui dire qui serait là. Je pensais faire plaisir à tout le monde. »

L’idée d’un face-à-face impromptu entre deux rivaux aux dents longues qui se partageaient les faveurs du public n’était pas géniale, mais le rendez-vous s’annonçait néanmoins sous les meilleurs auspices : « Aussitôt, j’ai senti qu’il était complètement névrosé et on s’est très bien entendu. Il n’a parlé que de lui et ça ne m’a pas dérangée. »

Marthe, qui voulait devenir danseuse classique jusqu’à ce qu’un accident de ski ne brise son rêve et son ménisque, est devenue comédienne par défaut. Elle n’a pas le côté nombrilisme de ses consœurs et confrères, mais a fini par s’habituer à leur règle du « je ».

Bref, tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’un groom traverse les salons et lance : « On demande Marthe Keller au téléphone ! » La jeune première reste figée sur son coussin. Elle tente bien un coup de bluff, s’écriant : « Non, non, c’est une erreur ! », mais Al Pacino insiste pour qu’elle prenne l’appel, plutôt étonné par la réaction de cette inconnue qui semble terrorisée par un téléphone.

Alors, la mort dans l’âme, Marthe se lève et entame une drôle de chorégraphie. Voûtée, genoux fléchis, elle marche en boitillant, à la façon du bossu immortalisé par Jean Marais. De plus en plus intrigué par son invitée du jour, Al la croit handicapée et lui demande : « Vous avez un problème à la jambe ? » Et là, d’un seul coup, comme une miraculée à Lourdes, l’actrice se redresse et s’exclame : « Non, mais c’est que je suis grande ! »

Une fois la fausse paralytique rassise, la conversation reprend son cours, vaille que vaille, quand soudain, et bien malgré lui, Dustin Hoffman va porter le coup de grâce à Marthe.

Dès qu’il le voit, Pacino se lève, salue poliment son collègue et part sans un mot... « J’ai bredouillé à Dustin : “Vous n’êtes pas amis ?" J’ignorais ce que tout le monde savait : ils se détestaient. Bref, ce rendez-vous était une catastrophe. »

Le soir même, l’actrice contacte Pollack pour lui dire qu’elle ne fera sans doute pas le film. Le réalisateur éclate de rire et lui annonce qu’Al l’avait déjà appelé : Marthe avait décroché le rôle. « Quelques mois plus tard, le tournage a commencé... et notre histoire aussi », résume-t-elle.

Tourmenté

Bobby Deerfield raconte l’histoire d’un ancien pilote de F1 ayant sombré dans la déprime, qui fait la connaissance de Lilian, une femme malade dont les jours sont comptés. Cette condamnée à mort va redonner le goût de vivre à cet homme blessé. Ce n’est pas le genre de scénario qui incite à la franche rigolade.

Pourtant, Marthe a eu l’occasion d’éclater de rire durant le tournage. Tout d’abord quand, en Suisse, la patrie de l’actrice, Pacino, qui joue les gros durs dans les films de gangsters, prend ses jambes à son cou lorsqu’il aperçoit une vache... Et Marthe s’amuse encore en songeant à son agent français qui, en descendant du train, tend sa valise à la star, qu’il prend pour un porteur.

De retour à New York, elle découvre une face cachée de ce garçon tourmenté : « Personne ne me croit quand je dis qu’Al Pacino est à l’origine de mes mises en scène d’opéra, de mon travail avec les musiciens. C’est un chat de gouttière. Il a tout appris par lui-même. Il est l’homme le plus intelligent que j’aie jamais rencontré. »

Mais c’est aussi un jaloux pathologique, avec un côté horripilant qui pouvait rendre Marthe folle : « Un jour dans l’ascenseur du Carlyle, raconte-t-elle, un groom dit : “Je vous ai adoré dans Marathon Man !" Je l’ai remercié, flattée que quelqu’un apprécie mon travail. Mais il a répliqué : “Ce n’est pas à vous que je parle mais à Dustin Hoffman !" »

Al, fou furieux qu’on ait pu le confondre avec son meilleur ennemi – et non à cause de la muflerie de l’employé envers sa compagne –, manque d’étrangler ce dernier. Même si ces deux-là s’adorent, leurs emplois du temps inconciliables et le tempérament de feu de l’acteur rendent leur rupture inéluctable.

Ils se séparent au début des années 80. Marthe rentre en France, lui reste de l’autre côté de l’océan. Mais ils se retrouvent, le temps d’un déjeuner, à New York.

Un repas qui tourne mal : « Al m’a raconté qu’il avait rencontré quelqu’un, dit-elle encore dans Vanity Fair. J’étais heureuse pour lui. Je lui ai annoncé que moi aussi je refaisais ma vie. Ça l’a mis hors de lui : “Je n’ai pas à savoir des choses pareilles." Il s’est levé et il est parti. »

Une bouderie qui n’a pas duré bien longtemps : « Il n’était pas loin, ajoute l’actrice en souriant. Il faisait les cent pas derrière la vitrine du restaurant. Puis il est revenu et on a ri ! J’ai été amoureuse de lui, aujourd’hui, je peux dire que je l’aime. »

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Claude LEBLANC

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