Marthe Mercadier : "J'ai été bègue"

France Dimanche
Marthe Mercadier : "J'ai été bègue"

Avec pas moins de 91 films et 57 pièces à son actif, Marthe Mercadier n'en finit plus d'enchaîner les succès.

Il faut dire qu'à 75 ans, la madone du Boulevard est toujours aussi débordante d'énergie. Alors, ce n'est pas un hasard si on retrouve aujourd'hui Marthe Mercadier à l'affiche d'une comédie hilarante, Folles de son corps, aux Bouffes parisiens, du jeudi au dimanche, jusqu'au 11 juillet prochain, puis en tournée à travers la France.

C'est avec son naturel et son incomparable joie de vivre qu'avant d'aller retrouver ses partenaires sur scène, la comédienne a accepté de se livrer. Pour les lecteurs de France Dimanche, elle a accepté de parler de ses bonheurs, mais aussi de l'incroyable drame qui a bien failli briser sa carrière... avant même qu'elle ait commencé!

France Dimanche (F.D.) : Quel est votre regard sur votre si riche et belle carrière ?

Marthe Mercadier (M.M.) : Comment vous dire, je suis heureuse d'être encore là! J'ai eu très tôt un vrai coup de foudre pour le théâtre. À 5 ans, je passais tout mon temps dans les coulisses, entre les tutus, les boas et les plumes, dans les bras de Joséphine Baker, sur les genoux de Mistinguett ou pendue au cou de Maurice Chevalier. Mais j'ai entendu les applaudissements bien avant de voir les spectacles. C'était pour moi un ravissement.

F.D. : Parlez-nous du drame de votre enfance...

M.M. : D'abord, j'ai eu toutes les maladies infantiles qui existent : la rougeole, la scarlatine, les oreillons, la varicelle, etc. Et, à chaque fois, c'étaient... des hurlements de joie ! Dès que le médecin disait que je devais rester au lit, j'étais aux anges car mon père m'offrait alors des décors de théâtre, avec des personnages, et, au lieu d'aller à l'école, je passais mes journées à jouer, à m'inventer des histoires. Jusqu'au jour où, un matin, je me suis réveillée... bègue ! Brusquement, il m'était devenu impossible de sortir des phrases construites correctement, et encore moins d'aligner des mots les uns derrière les autres. Alors, mes parents ont eu l'idée de me faire apprendre l'alphabet des sourds et muets. Et, je me souviens de vacances à Saint-Malo où nous étions des tablées de dix personnes, et il n'y avait pas un mot de prononcé. C'était très drôle ! Au total, j'ai mis une dizaine de mois à reparler normalement...

F.D. : Mais, ensuite, vous avez dû affronter un autre drame, plus terrible encore...

M.M. : Oui, à 8 ans et demi. À cette époque, je faisais de la danse moderne. Un jour, alors qu'on réalisait une pyramide humaine, je suis tombée d'une dizaine de mètres, la tête contre un mur. J'étais inopérable, en miettes, et pouvais rester infirme à vie ! Heureusement, un médecin a dit que tout pourrait peut-être s'arranger, mais à une seule condition : que je ne bouge pas ! Alors, j'ai passé un an et demi allongée sur une planche en bois, à regarder le ciel. Et, après une très longue rééducation, j'ai pu remarcher. C'est là que j'ai compris qu'il ne fallait jamais désespérer.

F.D. : Votre carrière a débuté juste après la guerre, n'est-ce pas ?

M.M. : Oui. Rapidement, j'ai été engagée au théâtre Saint-Georges, et j'étais tellement heureuse que, lorsqu'on m'a donné ma première paye, je n'en voulais pas ! Je faisais ce que j'avais toujours rêvé de faire. J'ai eu l'immense privilège de rencontrer des grands personnages comme Francis Blanche, Serge Reggiani, Jean Poiret, Michel Serrault... C'était magique!

F.D. : Avez-vous encore la nostalgie de cette époque ?

M.M. : Non, absolument pas ! Aujourd'hui, je suis ravie de jouer Folles de son corps car c'est l'œuvre de Gérard Moulévrier, un jeune auteur. Son texte m'a beaucoup touchée et je suis particulièrement heureuse qu'il ait écrit le rôle principal en pensant à moi.

F.D. : Êtes-vous un brin superstitieuse ?

M.M. : Disons que je suis quelqu'un de très zen, qui écoute énormément son corps. Et, lorsqu'il tire des sonnettes d'alarme, je fais très attention... Je suis capable de changer de wagon ou de descendre d'un train qui va dérailler ! Je le sens, mais je ne me pose jamais de questions à ce sujet. Un jour, j'ai d'ailleurs échappé de justesse à un très grave accident. Mais je ne peux pas l'expliquer, j'ai ça en moi.

F.D. : À 75 ans, seriez-vous prête à revivre une histoire d'amour ?

M.M. : Oh non alors ! Mon grand bonheur est d'être seule. Pour moi, la solitude veut dire la liberté. J'ai eu deux hommes formidables dans ma vie. Le père de ma fille, avec qui je suis restée mariée vingt et un ans, et mon dernier compagnon, avec qui j'ai vécu dix-neuf ans. Mais, vous savez, je n'ai vécu que des histoires d'amour. Ma vie entière est une formidable histoire d'amour ! Ma fille, Véronique, a fait deux adorables bambins, Alexandre, 15 ans, et Laura Marie, 8 ans. Je les gâte beaucoup, je les aime infiniment. Je veux qu'ils grandissent avec les notions de solidarité et de respect.

F.D. : Est-ce que la mort vous fait peur ?

M.M. : Je mourrai en disant : «merci» ! Je suis née dans un éclat de rire, et ma vie n'aura été qu'un éternel fou rire !
Caroline Berger

En vidéo