Mathias Moncorgé : “Son rêve le plus cher : être père !”

France Dimanche
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Jean Gabin est doublement à l'honneur ces jours-ci ! Avec d'une part Jean Gabin, l'exposition, qui se tient jusqu'au 10 juillet au musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt, et ce riche et passionnant livre paru aux éditions de La Martinière et réalisé par le cinéphile Patrick Glâtre et le fils de l'inoubliable Max du Grisbi, Mathias Moncorgé. Pour l'occasion, celui-ci a accepté de nous ouvrir le coffre aux trésors de ses souvenirs et de faire revivre cet immense acteur, qui fut aussi un papa et mari hors pair.

France Dimanche : D'où est venue l'idée de ce livre ?

Mathias Moncorgé : C'est Patrick Glâtre, passionné de papa et de cinéma, qui un jour m'a dit que ce serait sympa de le faire ensemble. Lui raconte ses films et moi, j'apporte la touche intime avec des témoignages plus personnels. Avec une préface de mon fils Alexis... qui m'a tiré les larmes.

FD : Comment avez-vous vécu cette plongée dans vos souvenirs ?

MM : J'adore me souvenir de mes parents, parler d'eux avec mes amis d'enfance qui les ont connus. Ça me rappelle les bons moments, et il y a tant à dire. Si, aujourd'hui, je n'ignore plus grand-chose, il y a dix ans, j'en apprenais encore ! Comme le fait que papa a un jour fait un disque avec Léo Ferré.

FD : Vous n'avez jamais imaginé suivre ses traces ?

MM : Non, ça ne m'intéressait pas. Néanmoins, j'ai la même passion que lui pour les courses. À 12 ans, je savais que je travaillerai avec les chevaux. Je voulais être entraîneur de galopeurs, mais papa est parti trop vite. Je n'avais que 20 ans, je me suis retrouvé paumé. J'ai bossé dans notre haras de la Pichonnière où j'ai rencontré un entraîneur de trot qui m'a initié. C'est devenu ma spécialité. J'ai finalement fait ce que papa voulait que je fasse.

La ressemblance entre le père et le fils est saisissante. Après une vie consacrée aux chevaux, Mathias fait revivre Jean à travers le livre coécrit avec Patrick Glâtre.

FD : C'est vrai que lui ne voulait pas faire ce métier d'acteur ?

MM : Oui, il rêvait d'être conducteur de locomotive ! Il nous a élevés en tentant de nous faire oublier qu'il était acteur. Il était père et on parlait peu de cinéma à la maison. C'est pour ça que j'ai appris beaucoup de choses sur le tard, par maman ou ceux qui ont travaillé avec lui. Mais il a fini par aimer ce métier et a été très heureux. D'ailleurs, quand le téléphone ne sonnait pas, il disait : « Ça y est, je suis foutu, plus personne ne m'aime ! » Alors qu'il avait lui-même demandé à ce qu'on ne l'emmerde pas quand il était à la campagne ! Au bout de quinze jours, n'en pouvant plus, il nous rapatriait à Paris. Nous ses enfants, on a vraiment réalisé ce qu'il était à son décès.

“Papa ne voulait pas être acteur, mais conducteur de locomotive !"

FD : Flic, truand, président, il a tout joué. Quel rôle préférait-il ?

MM : Il adorait Un singe en hiver. Qui, pour la petite histoire, n'était pas prévu. Papa rentrait en voiture de Granville à Deauville avec Jacques Bar, Henri Verneuil et Michel Audiard, tous un peu défaits à cause d'un projet qui venait de tomber à l'eau. Quand, soudain, ce dernier a tenté de réchauffer l'ambiance en lançant qu'il avait peut-être une idée. J'ai lu le bouquin d'un mec, ça s'appelle Un singe en hiver. Ça a été tiré à 5 000 exemplaires, mais c'est génial ! » Ils en ont parlé toute la nuit, et ont proposé le rôle du jeune à Jean-Paul Belmondo qui venait de cartonner dans À bout de souffle. C'est du rattrapage, et pourtant c'est un très grand film.

FD : Malgré son immense notoriété, votre papa était toujours le premier sur les plateaux, maquillé, habillé, prêt à tourner, quitte à attendre ensuite deux heures, assis dans un coin...

MM : C'était le respect du travail, des gens, de la vie... Papa était comme ça, et il nous a élevés ainsi. Moi, quand je travaillais au haras, j'étais le premier dans la cour. À l'époque, dans le cinéma, les gens étaient payés à la semaine, le vendredi soir. Eh bien, ce jour-là, papa attendait toujours que tout le monde soit payé pour s'en aller l'esprit serein. Et si quelqu'un n'était pas payé, il menaçait de ne pas revenir le lundi.

FD : Que penserait-il aujourd'hui de ce monde du cinéma ?

MM : Lui, je n'en sais rien ; mais moi, je le trouve très vide ! Il n'y a plus vraiment de belles histoires. Comme disait papa : « Pour faire un bon film, il faut premièrement une bonne histoire, deuxièmement une bonne histoire et troisièmement une bonne histoire. » Et c'est vrai, vous pouvez réunir les meilleurs acteurs, si l'histoire n'est pas bonne, le film sera nul. Le problème est qu'aujourd'hui, il n'y a plus de dialoguiste. Quand je vois papa qui a eu les quatre plus grands du siècle dernier, Jacques Prévert, Henri Jeanson, Michel Audiard et Pascal Jardin, je me dis quelle chance il a eue !

FD : Êtes-vous heureux que votre fils Alexis ait suivi ses traces ?

MM : Bien sûr. Même si je suis surtout heureux qu'il soit heureux dans ce qu'il fait. Déjà tout môme, il montait des pièces de théâtre et aimait jouer la comédie. Il s'est démerdé tout seul et je suis très admiratif de ce qu'il fait. Il est fait pour le théâtre. Ce qui n'était pas le cas de papa qui, lui, s'y est essayé une seule fois dans La Soif, mais ne l'a pas bien vécu, tant il avait le trac.

Mort de trac, il n'est monté qu'une seule fois sur les planches.

FD : Dans la nouvelle génération, quel acteur vous fait le plus penser à votre père ?

MM : Même si je n'adhère pas toujours à ses films, j'adore Vincent Lindon, et aussi Albert Dupontel que je trouve extraordinaire. Je n'en vois pas d'autres. À l'époque, il y avait papa, Ventura, Belmondo et Delon. Dès qu'ils apparaissaient à l'écran, vous en preniez plein la gueule, sans même qu'ils aient besoin de dire un mot. Y en a-t-il aujourd'hui capable de ça ?

FD : Vous dites qu'il était très timide...

MM : C'est vrai, car il ne voulait jamais déranger, c'était dans son éducation. Maman l'avait un jour laissé aux courses à Clairefontaine, pensant qu'il trouverait bien quelqu'un pour le raccompagner. Sauf qu'il ne connaissait personne et n'a pas osé demander. Il s'est donc retrouvé seul au bord de la route à attendre un hypothétique taxi. Heureusement, Alain Louis-Dreyfus passait par-là et l'a raccompagné dans sa Ferrari, dont il a fallu sortir papa au chausse-pied à l'arrivée !

FD : En parlant de ça, France Dimanche avait à l'époque légendé une photo de votre papa et vous, en béquilles, devant un de ces bolides : « Pour consoler son fils, Gabin lui offre une Ferrari ! »

MM : Oui, je l'entends encore pester : « C'est quoi ces conneries ! » Et moi de lui dire : « Oui, mais je la veux bien, la Ferrari ! » Mais, je ne l'ai jamais eue...

FD : Est-il vrai qu'il avait pour habitude de donner des surnoms à tout le monde ?

MM : Toujours ! Moi, c'était « gros père » ; Jacky, le fils de maman, que papa a élevé comme le sien, c'était « le frelon » ; mes sœurs, Florence, « poussin », et Valérie, « la pougne » ; Charles Aznavour, c'était « le p'tit plombier », juste parce qu'il trouvait qu'il ressemblait au plombier du coin. Parfois ça tenait à pas grand-chose, mais avec papa, ça vous suivait toute votre vie.

FD : Et il ne manquait jamais une occasion de vous faire faire l'école buissonnière...

MM : Oui, car l'école de la vie et la bonne santé étaient primordiales. Il nous préférait dehors à respirer le bon air, qu'enfermés dans une salle de classe. Vous allez rire, mais nous n'avions même pas le droit d'aller à l'église, car il y avait des courants d'air et il avait peur qu'on chope la crève. Il disait à maman : « Je suis allé chercher “gros père", car il est bien mieux avec moi sur le champ de courses ! »

FD : Votre maman aussi a été primordiale dans sa vie...

MM : Oh que oui ! Maman réunissait à elle seule toutes les femmes qu'il avait eues, dont sa mère. Et surtout, c'est la première, et la seule, qui ait accepté de lui donner des enfants. C'était le vœu le plus cher de papa depuis toujours, mais toutes les précédentes le lui avaient refusé. Quand il a rencontré maman, il lui a demandé : « Accepteriez-vous de me faire un enfant ? » Elle a dit oui et tout est allé très vite. C'était en janvier 1949. En juin 1949, ils se mariaient, et en novembre 1949, ma sœur Florence naissait. Il avait alors 45 ans, mais rêvait de ça depuis ses 20 ans.

FD : Leur couple était-il un modèle pour vous ?

MM : Oui car l'un n'allait pas sans l'autre. Et je suis conscient de mon immense bonheur de les avoir eus comme parents. Jacques Bar, grand ami de papa, me confiait aussi un jour : « Ton père a eu beaucoup de chance d'avoir eu ta mère, car il fallait quand même se le farcir ! » En effet, ils s'étaient bien trouvés.

“Toutes celles avant maman avaient refusé de lui donner un enfant."

FD : Il est parti lorsque vous aviez 20 ans. Y a-t-il des choses que vous regrettez de ne pas lui avoir dites ou de ne pas avoir fait avec lui ?

MM : Oh la la ! la liste est longue ! Quand je pense à lui, donc à peu près tous les jours, je nous revois tous les deux aux courses. Grâce à tout ce qu'il a laissé, on a heureusement la chance de continuer à le faire vivre. L'autre jour, j'étais en taxi vers Boulogne, quand j'ai vu les affiches de Jean Gabin, l'exposition partout. Eh bien, l'espace d'une seconde, je me suis dit : « Tiens, papa sort un nouveau film ! » J'étais reparti 40 ans en arrière...

FD : Que ressentez-vous en constatant combien votre père est toujours dans le cœur des gens ?

MM : Je n'en reviens pas ! Il est tellement présent que beaucoup ont du mal à réaliser que ça va faire 46 ans qu'il nous a quittés. Après avoir traversé le xxe siècle, vécu les deux guerres, n'ayant jamais été une star inaccessible malgré son immense popularité, mais restant toujours proche des gens simples, avec ce sens du devoir et de vraies valeurs. C'est pour tout ça qu'on l'a tant aimé et jamais oublié.

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Caroline BERGER

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