Maurice Chevalier : Ça, c'est Paname !

France Dimanche
Maurice Chevalier et SheilaBESTIMAGE

L'artiste au canotier le plus connu à travers le monde, décédé il y a cinquante ans, s'est érigé en symbole de la France et de Paris. Ce french lover, incarnation du génie tricolore, faisait chavirer les Américains.

“Quand j'aurai 100 ans et que le Bon Dieu me fera des avances Je dirai “Attends ! Je suis amoureux de la vie qui commence"... », chante Maurice Chevalier le 20 octobre 1968 lors de ses adieux à la scène. Mais il n'a pas respecté la promesse de sa chanson : il est mort à 83 ans, le 1er janvier 1972. Ce soir-là, à l'Olympia, Julien Clerc demande une minute de silence tant l'onde de choc de ce décès est colossale. L'artiste incarnait la France qui chante pour l'éternité, mais aussi l'éclosion du vedettariat à l'américaine.

Ce môme de Paname fut la première star qui a enchanté le monde entier. Pourtant, souvent, il faillit tomber de son piédestal. Accusée de collaboration active, puis de communisme aggravé, la star resta hissée sur son pavois, surfant sur la Belle Époque, les deux conflits mondiaux, la guerre d'Indochine, celle d'Algérie et Mai 1968.

C'est dans le quartier parisien de Ménilmontant qu'il voit le jour, le 12 septembre 1888. Son père, Victor Chevalier, est peintre en bâtiment. Maurice est accroché aux jupons de sa mère d'origine belge, Joséphine, surnommée « La Louque ». Avec ses deux frères aînés, il passe son enfance dans les rues de « Ménilmuche ». Mais tandis qu'il est à peine âgé de 10 ans, son père quitte le domicile familial. L'enfant délaisse alors l'école.

La mode étant aux chanteurs comiques, son emploi est tout trouvé : il amuse la galerie avec des imitations, dont celles de l'artiste Dranem, la vedette de l'époque. Il décroche une audition au Casino des Tourelles, puis passe d'un répertoire populaire à des numéros plus dandy. Il porte beau et se coiffe d'un canotier. Le galure devient un accessoire indispensable de sa silhouette ! Pourtant, le succès tarde. Il s'accroche, apprend les claquettes. Il finit par obtenir un rôle dans une revue, au Parisiana, en 1903, et devient la sensation du moment. Inspiré par le comique britannique Little Tich, le jeune Maurice, 15 ans, cisèle son style. Il ajoute une nouvelle corde à son arc en apparaissant dès 1908 dans des courts-métrages muets.

En 1909, il décroche le premier rôle dans un spectacle des Folies Bergère et devient le compagnon de la chanteuse Fréhel. Ensemble, ils portent haut leur autodestruction et sont au pire de leurs amours torves avec la cocaïne... Leur liaison prend vite l'eau, et Maurice se console avec la chanteuse star Mistinguett. Il a alors 23 ans, elle 36. Elle l'aide, lui apprend les dernières ficelles du métier.

Fin 1913, ses obligations militaires le rattrapent. Fait prisonnier lors de la Première Guerre mondiale, il reste deux ans au camp d'Altengrabow, en Allemagne. Libéré en 1916, il retrouve aussitôt le succès et enchaîne le Casino Montparnasse, l'Olympia, les Folies Bergère, Marigny, avant de partager la tête d'affiche de l'opérette Gobette of Paris avec sa compagne, au théâtre Femina. On loue sa félicité insouciante, sa fantaisie, sa verve, mais sa relation avec Mistinguett s'effiloche. Une artiste américaine, Elsie Janis, l'introduit alors sur la scène londonienne.

Ayant appris l'anglais durant son emprisonnement, il y fait des étincelles. De retour à Paris, il enchaîne les revues et les films, et obtient un triomphe dans les opérettes Dédé et Là-haut. Il ne s'accorde aucun répit, mais il a mal à la vie et tente même de mettre fin à ses jours en 1924.

Ma pomme... de discorde Sa rencontre avec Yvonne Vallée, une danseuse, lui fait peu à peu revoir le bleu du ciel. Il l'épouse en 1927. Déterminé à atteindre d'autres sommets, il s'offre alors une échappée outre-Atlantique. Il tisse sa toile à Hollywood et tourne une douzaine de films entre 1929 et 1935, dont de nombreux avec le réalisateur Ernst Lubitsch. Son panache devient international. En 1935, après son divorce et la mort de sa mère adorée, il rentre en France. Éternel séducteur, il s'éprend, en 1937, de la danseuse Nita Raya. Paris reste son point d'ancrage et la tête de gondole de ses créations : Paris en joie (1937), Amours de Paris (1938), et, durant l'Occupation, Bonjour Paris (1941), Pour toi Paris (1942)... Dans le même temps, il enchaîne les succès discographiques : Prosper, Ma pomme... À la demande du gouvernement de Vichy, il va chanter à Altengrabow, dans le camp allemand où il fut détenu.

Après le débarquement allié, Maurice Chevalier est l'une des cibles du comité d'épuration qui recense les Français ayant fait preuve de sympathie ou de complicité envers l'occupant nazi. Il y est défendu par d'autres artistes : si le malentendu se dissipe, son image est écornée. Néanmoins, dès janvier 1945, il fait sa rentrée à l'ABC. Un an plus tard, il se sépare de Nita Raya, écrit ses mémoires Ma route et mes chansons (qui compteront dix volumes), et tourne Le silence est d'or, de René Clair. Mars 1947 marque son retour aux États-Unis... avant d'y être persona non grata au plus fort du maccarthysme ! Il se console et part chanter au Canada, en Amérique du Sud, au Moyen-Orient et en Europe.

En 1952, il achète une propriété à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine) qu'il surnomme « La Louque », en hommage à sa mère. En 1954, il chante de nouveau aux États-Unis, avant de tourner Ariane, du réalisateur Billy Wilder, avec Audrey Hepburn et Gary Cooper. Le film est un succès, tout comme Gigi, de Vincente Minnelli, qui sort en 1958. Le Frenchie décroche alors un Oscar et un Golden Globe d'honneur ! Ce triomphe lui colle aux basques : il participe encore à une dizaine de films dans les années 1960, et sa tournée américaine aimante les foules, notamment son spectacle Chevalier at 77, à Broadway, en 1965, ainsi que sa tournée des 80 ans, qui signe ses adieux à la scène. La dernière, en octobre 1968, a lieu au théâtre des Champs-Élysées, à Paris. En 1970, il interprète la chanson du dessin animé Les Aristochats et sort l'ultime volume de ses mémoires, Môme à cheveux blancs. Après un dernier tour de piste à l'automne aux États-Unis, il se retire chez lui, à La Louque, et dépose son canotier le 1er janvier 1972, après près de soixante-dix ans de carrière.

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Dominique PARRAVANO

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