Michel Audiard : Le tonton gouailleur aurait eu 100 piges !

France Dimanche
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Disparu il y a près de trente-cinq ans, Michel Audiard, le plus renommé des dialoguistes français, aurait eu 100 ans. Ses répliques inspirées du paris populaire de son enfance dem eurent cultes.

Audiard. Son seul nom incarne à lui seul les répliques cultes prononcées par les plus grands acteurs, de Gabin à Ventura, de Blier à Belmondo, de Girardot à Serrault... Autant d'étendards pour un festival de mots argotiques du Paris de son enfance, d'humour moqueur, de périphrases et métaphores poétiques, marques de fabrique de ses personnages. En une centaine de films, il s'est imposé comme le plus grand dialoguiste du septième art. Le chantre d'un parler savoureux, reflet d'une période, d'un esprit de la France populaire de l'après-guerre. « Toute une époque ! » comme dit Bernard Blier dans Les Tontons flingueurs.

GAVROCHE PARIGOT

Né le 15 mai 1920 dans le XIVe arrondissement de Paris, de père inconnu, Michel Audiard est abandonné par sa mère « extrêmement voyageuse et fugace », confiera-t-il. Il est récupéré par son parrain, employé aux PTT. Ses parents adoptifs, qui résident avenue du Parc-Montsouris, aujourd'hui avenue René-Coty, travaillent dans la dentelle. Michel Audiard restera d'ailleurs à jamais marqué par cette morsure de l'abandon. Annie Girardot disait de lui : « Il a un œil gai, un œil triste ». Enfant de chœur dans l'imposante église Saint-Pierre-de-Montrouge, il a le caractère rebelle et fait le minimum à l'école, sauf pendant les cours de français. Passionné de littérature, il se forge une culture en lisant Proust et Rimbaud. La lecture de Céline lui révèle qu'il peut écrire, lui aussi.

Très vite, il ne pense qu'à s'assumer et à s'émanciper. Pendant l'Occupation, il s'inscrit en école de soudure pour échapper au service du travail obligatoire (STO) et, après avoir passé un CAP de soudeur, manie le chalumeau chez des artisans du quartier avant d'obtenir, grâce à un copain, un boulot d'apprenti-opticien. S'essayant à l'écriture, il publie des nouvelles, notamment dans L'Appel, revue collaborationniste. Il en gardera d'ailleurs un antigaullisme viscéral.

Après-guerre, passionné de la « petite reine », il fréquente le Vélodrome d'hiver où il rencontre André Pousse qui l'initiera au métier d'acteur. Caressant un moment l'espoir de devenir cycliste professionnel, il abandonne très vite puisqu'il n'arrive pas à monter les côtes !

Aux lendemains de la Libération, il travaille comme livreur de journaux et poursuit une carrière de journaliste comme rédacteur à L'Étoile du soir et à Cinévie. Son premier article parle de la Chine où il n'a jamai mis les pieds. Audiard bidonne se papiers dans la chaleur des bistrot parisiens. L'imposture découverte il se fait renvoyer de L'Étoile du soir

Le 3 mai 1947, il épouse Marie-Christine Guibert, qui lui donnera deux fils : François et Jacques, le fameux cinéaste multirécompensé. Bien que toujours marié, il a en 1953 un troisième garçon, non reconnu, Bruno Meynis de Paulin.

Entre-temps, son verbe fait merveille. Son humour et son sens du raccourci séduisent. Sur un tournage, il se lie au réalisateur André Hunebelle qui lui commande le scénario d'un film d'espionnage, Mission à Tanger, suivi de deux autres (Méfiez-vous des blondes et Massacre en dentelles). Travaillant pour Bourvil ou Jouvet, affirmant sa verve comique avec Poisson d'avril et adaptant Alexandre Dumas dans Les Trois Mousquetaires, il démontre l'étendue de ses talents. Toutefois, il s'avère meilleur dialoguiste que scénariste, préférant retravailler un script ou s'adjoindre les services de son ami adaptateur Albert Simonin.

LES MOTS DE GABIN

En 1955, grâce à Gilles Grangier, il rencontre Jean Gabin, à qui il propose le scénario de Gas-oil. Commence alors une collaboration de sept ans avec 17 films couronnés de succès au box-office (Les Grandes Familles, Les Vieux de la vieille, Le Baron de l'écluse, Un singe en hiver, Le cave se rebiffe...). Gabin l'appelle « le gamin ». Audiard le baptise « le vieux ». Michel Audiard fait alors parler Gabin comme personne. Le verbe de l'un fait le succès de l'autre.

Cette association lui vaut d'être étrillé par la critique, à l'instar du réalisateur François Truffaut. Celui-ci pourfend, dans les Cahiers du cinéma, ce « cinéma de papa » qu'il abhorre. Il assène : « Les dialogues de Michel Audiard dépassent en vulgarité ce qu'on peut écrire de plus bas dans le genre. »

LE CULTE DES “TONTONS FLINGUEURS" !

Le 27 novembre 1963, attirant plus de 3,3 millions de spectateurs, avec ses répliques ciselées, le succès des Tontons flingueurs lui donne raison. Ce film culte de Georges Lautner fait entrer à jamais le comique dans le polar français avec les gueules patibulaires de Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard Blier et Jean Lefebvre. Depuis, ce film en noir et blanc assure toujours les beaux jours de la télévision cinquante-sept ans plus tard, en traversant les générations. Difficile aussi de faire plus culte avec des acteurs en roue libre et des dialogues jubilatoires. Un succès qui lui donne des ailes puisqu'à partir de 1968 le dialoguiste scénariste fait montre de ses ambitions de réalisateur. S'en suivront neuf films qui se distinguent plus par la longueur de leur titre que par leurs qualités cinématographiques (Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ; Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! ; Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques...). Le public ne suit pas. Il revient alors à son métier de dialoguiste, troussant des farces policières pour Belmondo (Flic ou Voyou ou Le Guignolo).

En janvier 1975, un drame le frappe. Alors qu'il travaille sur le scénario de L'Incorrigible pour le réalisateur Philippe de Broca, il apprend la mort de son fils François. « Je ne joue plus à rien depuis qu'une auto jaune a percuté un pont sur l'autoroute du Sud et qu'un petit garçon est mort », écrit-il dans La Nuit, le jour, et toutes les autres nuits, un roman aussi noir que sublime.

Avec une économie de moyens qui rappelle son travail sur les deux Maigret (Maigret tend un piège et Maigret et l'Affaire Saint-Fiacre) qu'il adapte fin des années 50, il écrit Pile ou face, Garde à vue, qui lui vaut le César du meilleur scénario, et Mortelle randonnée. Le dialoguiste se livre à travers les mots qu'il offre à Michel Serrault. « Le drame, avec la vie, lui fait-il dire dans son dernier film, On ne meurt que deux fois, de Jacques Deray, c'est qu'on n'en sort pas vivant. Alors, la vraie question, la seule, c'est de savoir comment on va mourir. » Michel Audiard a eu sa réponse avant qu'il n'assiste à la sortie du film, terrassé par un cancer, le 28 juillet 1985, à l'âge de 65 ans. Depuis, sa notoriété ne s'est jamais démentie. « L'idéal quand on veut être admiré, c'est d'être mort », disait-il, toujours caustique. La postérité lui donne raison.

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Dominique PARRAVANO

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