Mireille Darc : La Grande Sauterelle va nous manquer

France Dimanche
Mireille Darc : La Grande Sauterelle va nous manquer

De la blonde sexy à la star des séries d’été, sans oublier la documentariste qui a su écouter les laissés-pour-compte, la comédienne 
et réalisatrice Mireille Darc a réussi une carrière drôle et éclectique.

Plus que par sa blondeur, ou son sourire tour à tour ingénu, mutin et délicieusement complice, Mireille Darc fit sensation dans sa fameuse robe noire à dos nu (signée Guy Laroche). Descendant toujours plus bas, jusqu’à la naissance des fesses, soulignées par une très fine chaîne d’or, dans Le grand blond avec une chaussure noire, sous les yeux éblouis d’un Pierre Richard à la surprise non feinte, cette tenue restera à jamais l’image de marque érotique de la comédienne.

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Celle qui s’assumait dans les rôles de « pétasse » ou de « rigolote sexy » du cinéma de papa, comme elle se définissait, a incarné mieux que toute autre le sex-symbol à la française dans pas moins de 54 longs-métrages.

Panthère

Mais remontons dans le temps. Montée à Paris à 21 ans, elle paie ses cours de théâtre chez Maurice Escande en s’essayant au mannequinat pour Le Printemps, en posant pour des peintres et dans des romans-photos. Très vite, elle devine que sa plastique parfaite, son sourire impeccable, ses longues jambes fuselées et sa classe naturelle sont ses meilleurs atouts pour vamper la caméra. Et elle ne s’en privera pas.

Mireille avec Georges Lautner qui l'a lancée

Incarnation à l’écran du charme supposé des filles de Madame Claude, Mireille Darc va ensorceler le cinéma français sur un créneau périlleux : « toujours sexy, jamais vulgaire ». Georges Lautner lui offrira ses plus beaux rôles. À commencer par Galia – deux ans avant que 1968 ne prône la libération sexuelle – dans lequel, déjà, elle fait scandale en femme affranchie qui choisit ses amants.

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Pour incarner cette blonde voluptueuse qui assume sa vie affective, Lautner avait naturellement pensé à Bardot, qui refusa. Mireille, choisie par défaut, raconte ce superbe cadeau que lui fit, à son insu, l’autre sex-symbol du cinéma : « Ce film a fait de moi une star. J’étais blonde platine, la coupe au carré, mon partenaire et amant [Venantino Venantini, ndlr] incarnait le latin lover idéal et mon personnage ne boudait pas son plaisir ! Scandaleux pour les bien-pensants, le film, qui a marché dans le monde entier, a été un choc pour une génération de femmes. Les filles se sont mises à copier ma coupe, ma couleur de cheveux et mes vêtements. »

Lautner ne s’y était pas trompé. Sur l’affiche, il avait ajouté à la photo de Mireille, lascivement allongée, le dos nu (déjà !), cette accroche prophétique : « une révélation... sensuelle, amoureuse, passionnée ! ». Dès lors, sa carrière au grand écran est toute tracée. Elle sera cette grande bringue, fausse ingénue qui n’a pas froid aux yeux, sûre de son sex-appeal et habile à séduire les hommes.

À ce corps idéal, il fallait une voix et des répliques à la hauteur. Michel Audiard, qui devint son ami, sut mettre dans sa bouche la gouaille d’Arletty et le piment de Marilyn. Il la baptisera « ma Grande Asperge ». Avec Lautner, rencontré sur Les tontons flingueurs, elle tourna 13 films, dont Des pissenlits par la racine, Les barbouzes, dans lequel Lino Ventura tombe éperdument amoureux d’elle, Ne nous fâchons pas et La Grande Sauterelle, un surnom qui lui collera à la peau.

Jean Yanne et Mireille Darc

Toute cette bande de machos (Blier, Blanche, Ventura, Constantin...) adopte cette blonde panthère, l’emmène aux courses et aux matchs de boxe. Mais Mireille se lasse de jouer les « poules de gangster », et sent bien son étoile pâlir doucement. Pour tenter de sortir du carcan de l’adorable allumeuse, elle parie alors sur Jean-Luc Godard et tourne Week-end, qui la jette dans les embouteillages et les bras de Jean Yanne. Peine perdue.

« Godard et moi sommes passés à côté l’un de l’autre. Il n’y a que le désir qui compte dans ce métier. Ça ne pouvait pas marcher. » Entrée dans la vie d’Alain Delon, elle s’esquive des studios, n’acceptant que de rares apparitions, en particulier dans Le téléphone rose, où elle incarne une call-girl qui séduit Pierre Mondy, un homme d’affaires transformé en micheton amoureux et pathétique.

Jusqu’à ce que ses lourds problèmes de santé et un grave accident de voiture ne l’éloignent définitivement des tournages. « Je ne le regrette pas. Je sentais bien que je n’avais plus l’âge de mes rôles. Et puis, si le réalisateur n’est pas un peu amoureux de vous, le spectateur s’en aperçoit. »

Distinguée

La télévision lui offrira une nouvelle gloire dans des feuilletons où elle assume son âge. Elle enchaînera les séries avec bonheur car le public est ravi de retrouver sur le petit écran celle qu’il a tant aimée dans les salles obscures. Que ce soit dans Les cœurs brûlés, Les yeux d’Hélène ou Terre indigo, trois grosses productions de TF1, elle booste les audiences en quinqua indépendante et épanouie qui ose dire « Moi d’abord » et choisit de jeunes amants.

L’actrice ne boude pas son succès : « Moi, je ne crache pas sur la télé. Elle raconte, quand le cinéma montre. Et puis, réunir huit millions de spectateurs tous les soirs... » Mais plus encore que dans ces longues séries un peu convenues, c’est dans le documentaire qu’elle va à nouveau se distinguer.

Avec Pierre Richard

Comme tous les grands blessés de la vie, Mireille sait poser un regard empathique sur les autres. « Féminine plus que féministe », l’actrice passe de l’autre côté de la caméra et se penche sur le sort de ses congénères au destin cabossé. Elle commence par les transplantations d’organes pour Envoyé spécial. Un sujet qu’elle maîtrise depuis que le Pr Cabrol, onze ans plus tôt, l’a opérée du cœur.

Elle poursuit avec les coulisses de la prostitution, bien éloignée de l’image sublimée de la call-girl de luxe qu’elle interpréta si souvent. C’est dans les arrière-cours de la rue Saint-Denis qu’elle se confronte à la misère humaine la plus noire. Aucun sujet, si lourd soit-il, ne la rebute : malades du cancer en phase terminale, femmes SDF abandonnées de tous... « Les documentaires m’ont enrichie au plan humain. J’ai grandi, alors qu’au cinéma je n’ai que vécu. »

Il y a des stars inaccessibles, figées dans leur beauté de papier glacé. D’autres, au contraire, qui par leurs éclats de rire et leur goût de la vie savent toucher le cœur du public : humaines, amicales, fraternelles. Mireille Darc restera de celles-là.

Philippe Margaux

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