Patrick Dewaere : La vérité de Depardieu sur sa mort

France Dimanche
Patrick Dewaere : La vérité de Depardieu sur sa mort

Gérard Depardieu évoque le traumatisme qui a causé le suicide de son ami.
Révélations.

Ils étaient si proches qu’on aurait dit des frères. Avec l’aîné, Depardieu, un peu plus fort, un peu plus rentre-dedans, et Dewaere, dans le rôle du cadet, plus fragile.

Leur duo fusionnel dans Les valseuses, film culte sur la jeunesse et la liberté sorti en 1974 et signé Bertrand Blier, avait encore renforcé leurs liens. Dès que les caméras s’éteignaient, les deux enfants terribles restaient dans la peau de leurs personnages : ils piquaient la DS qui servait au tournage et partaient faire les voyous où bon leur semblait...

Il avait d’ailleurs fallu deux semaines supplémentaires au réalisateur pour terminer son film, tant les deux compères, qui semblaient s’être bien trouvés, paraissaient ingérables et ne respectaient que leurs propres règles...

Hélas, on le sait, Patrick Dewaere a mis fin à ses jours en 1982. Le 16 juillet.

En été, quand la vie semble plus douce, lui, l’acteur surdoué, a décidé que plus rien n’était possible. Il a attrapé un fusil, s’est rendu dans sa salle de bains, et là, se regardant peut-être dans le miroir, acteur et spectateur de son suicide, s’est tiré une balle sous le menton.

Mal de vivre

Bien sûr, comme à chaque fois, on a alors cherché la raison de ce geste terrible. Certes, il y avait la drogue, l’héroïne, qui adoucissait son mal de vivre. Le comédien, qui allait tourner Édith et Marcel, avait arrêté net d’en consommer, sur l’injonction de Claude Lelouch. Il était donc particulièrement fragile dans cette période de sevrage.

Mais il y avait aussi un chagrin d’amour. La femme de sa vie, Elsa, connaissant elle aussi des problèmes d’addiction, lui aurait annoncé qu’elle voulait le quitter. Et Dewaere était persuadé qu’elle avait une relation avec Coluche. Lola, leur fille, comédienne, âgée aujourd’hui de 37 ans, en parlait à notre confrère Paris Match, en 2010.

«[Ma mère]m’a dit qu’à ce moment-là elle était partie “décrocher" en Guadeloupe sur l’invitation de Coluche. C’était la première fois qu’elle n’accompagnait pas mon père sur un tournage. L’après-midi de sa mort, [mon père] a parlé à ma mère au téléphone et lui a demandé de revenir, mais elle a refusé car, m’a-t-elle dit, elle se sentait encore trop fragile. [...] Je crois qu’après leur conversation téléphonique, mon père a reçu un autre coup de fil. Quelqu’un lui a balancé que Coluche et ma mère étaient ensemble. Je ne leur jette pas la pierre : à l’époque, tout le monde avait des aventures avec tout le monde. Mais, pendant cette période sans drogue, je pense que mon père l’a vécu comme la trahison suprême, Coluche étant son meilleur ami.»

La disparition de Dewaere, Depardieu en a aussi profondément souffert. En 1988, il a adressé une longue lettre hommage à son alter ego, une vraie déclaration d’amour. Au fil des mots, on pouvait y lire : «Ce n’est pas tellement que tu n’avais plus envie de vivre, mais tu souffrais trop, de vivre. Chaque jour, tu ressassais les mêmes merdes, les mêmes horreurs dans ton crâne. À la fin, forcément, tu deviens fou.»

De quoi Depardieu voulait-il parler ? Et pourquoi dit-il plus loin qu’il n’avait pas été surpris par son suicide ?

Aujourd’hui, alors qu’il publie un nouveau livre, Monstre, aux éditions du Cherche midi, dans lequel il évoque son ancien complice, Gérard vient de faire une bouleversante révélation, qui explique peut-être la violence avec laquelle son ami abordait l’existence. Et la violence avec laquelle il l’a quittée. «Patrick Dewaere a été abusé sexuellement durant son enfance. Il avait un encombrement en lui que la drogue a, un temps, mis en paix», a-t-il confié, le 29 octobre au Journal du dimanche.

Des faits terribles, qui ont été confirmés par sa fille Lola, dans la préface à l’ouvrage Patrick Dewaere, l’écorché, signé de Christophe Carrière, ressorti en juin 2017 aux éditions Michel Lafon. Selon elle, son père s’est «foutu en l’air parce qu’on l’a violé quand il était gamin et qu’il avait un sale rapport avec sa mère, Mado Maurin».

Gouffre intérieur

On sait en effet que ce genre de traumatisme peut laisser des traces aussi indélébiles que dévastatrices. Et cette révélation résonne peut-être plus fort aujourd’hui, alors que le silence concernant les abus sexuels a été enfin rompu depuis l’affaire Weinstein. Car si, aujourd’hui, cette information risque de faire grand bruit, il est à noter qu’elle avait déjà été rendue publique il y a quelques années.

En 2004 en effet, dans Vivant !, un livre d’entretiens paru chez Plon, Depardieu s’était confié à Laurent Neumann au sujet de Patrick : «Je crois que, dans son enfance, il avait été victime d’actes de pédophilie. Il m’en avait parlé, mais je ne sais pas si j’ai le droit de raconter ça. Ce que je sais, c’est que sa fragilité venait de là. Cette enfance qui ne passait pas, c’était son abîme, son gouffre intérieur», expliquait-il, avec beaucoup de lucidité.

Quelques pages plus loin, Bertrand Blier confirmait que Dewaere lui avait aussi parlé de cette blessure qui ne s’était jamais refermée : «Patrick m’a raconté qu’il avait été abusé sexuellement. Et il m’a toujours dit le plus grand mal de sa famille, à l’exception de ses frères et de sa sœur. C’est de là qu’il faut partir.»

Il est hélas possible que ce soit bien «de là qu’il faut partir».

De cette violence infligée à Patrick, enfant, dont l’acteur n’a pu faire autrement que de la retourner contre lui. Dans son dernier livre, Depardieu écrit : «Il faut laisser sortir ses monstres, si on ne veut pas que ce soient eux qui nous bouffent.»

Hélas, Dewaere les avait gardés en lui, et ils ont fini par avoir sa peau.

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Laurence PARIS

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