Victor Lanoux : Le drame de son enfance

France Dimanche
Victor Lanoux : Le drame de son enfance

Depuis son « malaise » survenu le 18 octobre 2007 en plein tournage d'un épisode de Louis La Brocante, « Louis et les pots cassés », Victor Lanoux n'avait donné que très peu de nouvelles de sa santé.

Mais la bonne mine qu'il affichait depuis, dans le feuilleton de France 3, rassurait tous ses admirateurs. Bien sûr, il restait sa canne et l'attelle soutenant son bras droit. Et puis sa voix, toujours passablement éraillée... L'accident vasculaire cérébral dont il avait été victime il y a tout juste deux ans avait vraiment failli lui coûter la vie.

Néanmoins, il suffisait de voir l'air décontracté avec lequel il répondait à ceux qui s'inquiétaient de sa santé pour être persuadé que ce pépin était désormais à ranger parmi les mauvais souvenirs.

Or une biographie, à paraître le 12 novembre prochain, vient annihiler toutes ces belles illusions ! Dans cet ouvrage intitulé Laissez flotter les rubans ( éditions du Cherche Midi ), Victor Lanoux laisse tomber le masque derrière lequel il se cachait en fait jusqu'à présent pour nous asséner une terrible nouvelle : la sereine bonhomie qu'il affiche sur nos petits écrans n'est en rien due aux miracles de la médecine, mais à un incroyable courage !

->Voir aussi - Victor Lanoux : Il pleure son frère !

À 73 ans, le comédien souffre en réalité le martyre, comme il l'avoue dans la dernière partie de son livre : « Contrairement à toutes les idées reçues, la totalité de mes douleurs, de mes soucis, de mes ennuis ne s'envolent pas brusquement comme par enchantement quand je deviens brocanteur, écrit-il. J'ai beau être acteur, quand j'entre dans la peau du personnage, j'y entre avec tout ce que je suis, et c'est de plus en plus lourd à porter. »

En effet, au lieu d'être sur la voie du rétablissement, le plus célèbre brocanteur du PAF se voit au contraire obligé d'effectuer un véritable deuil : celui de l'homme qu'il était. « Je suis un homme à 85 %, déplore-t-il en effet dans son livre. Et je crois que cela sera ainsi jusqu'à ce que la bête s'en aille. C'est comme ça. »

L'opération de son anévrisme, qui lui a incontestablement sauvé la vie, lui a en effet aussi porté un coup fatal, puisque, malheureusement, le chirurgien a « titillé », selon l'expression de Victor, sa moelle épinière. Une lésion qui a irrémédiablement endommagé la communication entre son corps et son cerveau.

Donné tout d'abord pour paraplégique et muet, l'acteur aurait probablement cédé au découragement s'il n'avait eu, à son côté, une femme dont la foi et la détermination lui ont insufflé une force incroyable. Cette femme, le comédien l'a rencontrée il y a dix ans, sur un tournage où elle officiait en tant que scripte. Ils ont mis plusieurs années à tisser ce qu'il appelle « des fils invisibles », mais sont désormais incapables de vivre l'un sans l'autre.

Le soutien de Véronique s'est révélé d'autant plus précieux que, plus jeune, elle aussi avait été victime d'un accident de moto et s'était retrouvée, durant plusieurs semaines, en fauteuil roulant.

Usant et abusant de ses maigres forces, Victor a donc puisé en elle sa pugnacité et, au terme de longues semaines d'hospitalisation, d'examens, de rééducation, il a pu enfin abandonner cette maudite chaise roulante !

Cependant, celui qui, jusqu'à ses 71 printemps, avait vécu comme un jeune homme, n'a pu retrouver toute sa mobilité. Il doit désormais se faire à l'idée qu'il ne pourra plus jamais se déplacer sans celle qu'il appelle sa « troisième jambe ».

De même, il sait qu'en dépit de ses efforts, ses pieds resteront ces « sabots de Denver » ( sabot d'immobilisation des véhicules ), ô combien malhabiles ! Quant à son dos, rigidifié, il ne lui permet plus de se tenir naturellement en équilibre. Désormais, Victor doit composer avec ce corps récalcitrant jusque dans ses gestes les plus intimes, puisqu'il avoue qu'il lui faut aujourd'hui l'aide d'une sonde pour uriner.

« J'attends toujours mon premier orgasme pour que, comme on me l'a affirmé, tout s'arrange. » C'est ainsi qu'il exprime qu'il ne peut plus non plus avoir de relations sexuelles.

Vaincre

À côté de tout cela, les séances de kiné l'aident un peu, mais le font souffrir beaucoup. Pourtant, il continue de mener ce combat sans illusion.

« Pourquoi ? Pour vaincre le sort, refaire son destin, ici, recommencer à l'écrire sur d'autres bases, avec d'autres buts aussi. Se reconstruire pour soi mais aussi pour les autres. Ceux qu'on aime, ceux pour qui on n'a pas laissé flotter les rubans !»

Et parmi ces proches, il y a bien sûr Véronique : « Je n'ai pas le droit de la décevoir, confie-t-il, donc j'avance, j'avance !»

La crainte, la résignation , la peur et l'espoir. À cette palette d'émotions éprouvées par le comédien dans cette épreuve sont venues s'en ajouter d'autres, venant, elles, de l'enfance : la honte, la culpabilité et le chagrin.

Lors de son séjour à l'hôpital, le comédien, enregistré sous son véritable nom d'état civil, a été appelé « monsieur Nataf » par toute l'équipe médicale pendant des jours. Or, ce patronyme lui avait valu d'être insulté et traité de « sale juif » étant petit. « À l'époque , quand on disait Nataf, je me sentais coupable, explique-t-il. C'est peut-être pour cette raison que j'ai voulu devenir acteur. Pour changer de nom. »

Mais cet affreux souvenir en a aussi remué d'autres. Notamment son retour chez ses parents, après la guerre : « Je suis vraiment revenu sur une terre de misère . Mon seul refuge, finalement, était l'école. Là , au moins, je mangeais à ma faim. » Car chez lui, les repas venaient de la soupe populaire. Des repas qu'à 9 ans il devait aller chercher lui-même, la honte au ventre, chaque jeudi et dimanche.

Les autres jours, c'était son père qui exigeait qu'il aille ramasser les mégots dans la rue pour les lui rapporter. Alors, une boîte vide de conserve à la main, le petit garçon changeait de quartier pour ne pas être reconnu et ratissait les trottoirs, les grilles de métro et les dessous de comptoir.

Si l'artiste ne repense pas souvent à tout cela, se faire appeler par son vrai nom a tout fait ressurgir, colorant les souvenirs de Victor Lanoux de leur émotion d'origine au pire moment de sa vie.

Anna Hadrien

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