"A 15 ans, j'ai été condamnée à vivre en chaise roulante"

France Dimanche
"A 15 ans, j'ai été condamnée à vivre en chaise roulante"

« Cette Saint-Valentin serait forcément particulière. Passer un 14 février, à l'âge de 15 ans, en tête à tête avec mon chirurgien dans une salle d'opération. Une plaie ? Bien au contraire, j'avais hâte ! La plaie, j'étais née avec. Une méchante scoliose qui me poursuit depuis ma naissance. Je suis née avec une maladie osseuse. J'ai un fémur très fragile, j'ai porté des broches et subi une dizaine d'opérations. Les hôpitaux, je connais... A vrai dire, j'en avais eu ma dose. Les médecins qui me suivaient me comprenaient. Ils m'avaient promis que cette intervention serait la dernière. Une “arthrodèse“. Une quoi ? Une opération assez lourde destinée à corriger la courbure de mon dos grâce à l'implantation d'une tige métallique. Aïe... J'y allais un peu à reculons, je le reconnais, mais je savais aussi que c'était nécessaire. Sinon je serais obligée de porter un affreux corset à vie. J'avais 15 ans et je rêvais d'une vie normale, loin des blouses blanches. Quelques semaines avant l'opération, je suis allée avec des copines au concert des L5. On avait dansé toute la soirée. J'adorais danser.  Je rêvais d'aller à New York aussi. Allez, courage Elsa ! Et puis, ça devait être ma dernière opération. Les médecins me l'avaient promis...

En 2005, un réveil douloureux à l'hôpital. Rien ne sera plus comme avant

L'opération a eu lieu un lundi, le 14 février 2005. Je suis partie confiante, même si je savais que la rééducation serait longue. On m'a donné un sédatif et je me suis endormie pendant de longues heures. L'intervention a été longue est délicate. Quand je me suis réveillée, j'étais engourdie de partout. Je ne me suis pas inquiétée tout de suite. Et puis, un jour, deux jours, trois jours sont passés. Pourquoi suis-je toujours si amorphe ? J'ai commencé à m'inquiéter un peu. D'autant que je voyais bien que ma mère était préoccupée. Mon chirurgien était retenu au bloc. Comme dans un mauvais téléfilm, je me souviens avoir demandé à ma mère de me piquer la plante des pieds. “Allez, vas-y, tu peux y aller !“ me suis-je énervée. En fait, elle avait déjà commencé et je ne sentais plus rien dans tout le bas de mon corps. J'ai demandé à ma mère ce qui se passait. Elle avait la gorge nouée. Elle m'a juste dit : “C'est pas à cause de l'anesthésie...“

Personne n'avait osé me dire que l'opération ne s'était pas déroulée comme prévu. Depuis plusieurs jours, les médecins cherchaient une solution sans trouver, sans comprendre. Ils ont su que quelque chose n'allait pas en me ramenant du bloc. Je ne réagissais pas normalement alors ils m'ont réopérée pour m'enlever la tige, sans succès. Une boule s'est formée dans mon ventre. Je ne pouvais pas y croire. A son tour, mon médecin m'a confirmé que j'étais paralysée, sans pouvoir me dire pourquoi ni pour combien de temps. J'ai serré fort la couverture de mon lit. J'étais très en colère. Forcément, j'ai d'abord pensé à une erreur médicale. Plusieurs experts se sont penchés sur mon cas. J'ai passé des examens, des IRM. Tout le monde est arrivé à la même conclusion. Selon les différentes expertises, il n'y a pas eu d'erreur médicale. Mes nerfs étaient intacts. En revanche, ma moelle épinière avait souffert d'un problème d'irrigation inexpliqué qui a été imputé à l'hôpital. Une sorte d'infection nosocomiale rarissime. Les experts appellent cela un “aléa thérapeutique“. Le chirurgien et plusieurs membres de l'hôpital se sont excusés. Ma souffrance a été reconnue. J'ai même été indemnisée à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d'euros par les assurances. Si cela ne me ramènera pas mes jambes, cet argent servira essentiellement à aménager mon cadre de vie : construire une extension, aménager les escaliers, me permettre de vivre avec le handicap, quoi...

Eté 2010 : Elsa aujourd'hui, resplendissante après les épreuves, lors de son voyage à New York

Oui, vivre. Je veux vivre. J'ai  déjà perdu deux ans de ma vie à cause de cette histoire. J'aurais dû retourner au collège à la rentrée. Je n'ai pas pu. J'ai arrêté mon année en classe de 4ème. A cause des soins, des hospitalisations, de la dépression. Heureusement que mes copines ne m'ont jamais lâchée. J'ai fini par reprendre. Je vais passer mon bac technologique, devenir secrétaire médicale. Ça surprend tout le monde, je sais. Je suis comme ça, je n'ai pas de rancune. Le chirurgien qui m'a opéré était effondré. Il n'y est pour rien. C'est tombé sur moi, mais c'est tombé sur lui aussi. Et il ne m'a jamais laissée tomber. Pendant cette épreuve, j'ai rencontré plein de gens formidables, du personnel et des spécialistes investis. J'ai aussi vu des enfants et des adolescents souffrir dix fois plus que moi. Certains ne s'en sont pas remis. A 20 ans, je ne veux pas gâcher toute la vie qui me reste. Avec le temps, je retrouve une vie aussi normale que possible. Au début, avec le fauteuil, j'avais l'impression que tout le monde me regardait. Une impression. Depuis, j'ai appris à être autonome. Aujourd'hui, j'arrive à m'habiller toute seule la plupart du temps. J'ai retrouvé des rêves de mon âge. Pour mon dernier anniversaire, mes parents m'ont même offert le voyage à New York dont je rêvais. »

Propos recueilli par Céline Jury

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