"A cause d'Alzheimer, j'ai dû devenir un père pour ma mère"

France Dimanche
"A cause d'Alzheimer, j'ai dû devenir un père pour ma mère"

« Si je témoigne aujourd'hui ce n'est pas pour me mettre en valeur. Je voudrais transmettre de l'espoir aux familles qui traversent l'épreuve de la maladie de l'Alzheimer. Ma maman, Colette, 86 ans, a été diagnostiquée il y a sept ans. J'ai décidé, il y a trois ans, de la prendre chez moi. Je n'ai pas voulu la placer dans un établissement spécialisé, ce n'est ma conception de la vie. J'estime qu'on doit beaucoup à ses parents et qu'on doit prendre soin d'eux.

Tout le monde m'en a dissuadé, me disait que j'allais vivre un enfer. C'est vrai que ces trois années ont été très éprouvantes. Il a fallu mettre des barreaux aux fenêtres, du scotch aux robinets. J'ai arrêté de travailler pour veiller 24 heures sur 24 sur elle. Je ne me suis accordé aucun moment pour moi, ni un restaurant avec des amis, ni même une heure de sport. Même si c'est mon choix de garder maman à la maison et de veiller sur elle, c'est néanmoins très lourd.

Maman ne dormait pas la nuit et elle se promenait dans la maison. Elle pouvait rester éveillée 48 heures... Son médecin lui a fait arrêter son traitement estimant qu'il ne servait plus à grand-chose. Au fil du temps, maman a perdu de plus en plus en autonomie. Elle ne se coiffait plus, ne pouvait plus manger seule, ni aller aux toilettes. On a échangé nos rôles, je suis devenu le père de ma mère.

En janvier dernier, Colette a fait un accident vasculaire cérébral (AVC). A l'hôpital où elle a été transportée, le médecin ne m'a pas laissé aucun espoir. Il m'a dit que compte tenu de l'ancienneté de sa maladie d'Alzheimer, de son âge et de l'AVC, elle n'en avait que pour quelques jours. Je n'ai pas accepté ce discours froid et inhumain. Surtout je ne voulais pas croire que la fin de ma mère était proche. Il était hors de question qu'elle aille en soins palliatifs comme tout le monde le préconisait.

Je l'ai ramené à la maison pour une hospitalisation à domicile. Les deux premiers jours, j'avais très peur. L'accident lui avait paralysé tout le côté gauche. Mais il s'est passé quelque chose de très étrange. Comme si l'AVC avait eu un effet positif sur la maladie d'Alzheimer. Avant elle parlait un charabia guère compréhensible. Aujourd'hui elle arrive à faire des phrases telles que, j'ai faim, j'ai soif. Personne ne comprend son état ! Même ses prises de sang sont excellentes !

On m'avait dit qu'elle ne pourrait plus se nourrir par la bouche, mais uniquement par perfusion. Petit à petit, je lui ai donné une demi-cuillerée de yaourt avec le stress que l'aliment fasse une fausse route et tout s'est bien passé. Depuis, elle prend à chaque petit-déjeuner un petit pot, un jus d'orange et une Danette vanille. Pour les médecins, son évolution est incompréhensible. Je me suis rendu compte en lui chatouillant la plante des pieds qu'elle avait encore de la sensibilité.

Au bout d'une semaine, elle a voulu s'asseoir. Je me suis procuré un fauteuil roulant mais dans le salon elle m'a montré le canapé et s'est mise à pleurer. J'ai compris qu'elle réalisait son état. Alors je l'ai prise dans mes bras pour l'asseoir sur le sofa. Elle a même voulu se lever ! Aujourd'hui, elle voit un kiné pour remuscler ses jambes.

J'ai rappelé le médecin de l'hôpital qui l'avait “condamnée“. Je lui ai dit que je n'avais jamais vu quelqu'un dans le couloir de la mort vouloir manger, se lever et même vouloir aller aux toilettes alors qu'elle avait une sonde depuis son AVC ! Quoiqu'il arrive demain, merci à Dieu ou à je ne sais pas qui pour ce merveilleux sursis. Je le vis comme une récompense des trois années terribles que j'ai passées auprès d'elle. Ma mère, c'est ma plus belle histoire d'amour. Elle m'embrasse et quand parfois je lui dis que je suis fatigué, elle me dit : je te demande pardon.

A travers mon témoignage, je voudrais dire aux familles dans la détresse qu'on peut se battre contre la maladie, la perturber. D'après mon expérience, j'ai remarqué qu'il fallait vivre au rythme du malade, ne pas le contrarier même s'il est confus. La contrariété va l'énerver, il va perdre confiance et se renfermer sur lui-même. Contrairement à ce qu'on pense, les malades, d'après moi, n'oublient pas. Ils n'arrivent plus à nommer les choses comme s'ils avaient un scotch sur la bouche. Ils sont sensibles à ce que l'ont dit sur eux, même s'ils semblent parfois absents. Il faut être très attentif et sensible dans la façon de leur parler comme de les toucher. Je suis admirablement aidé à domicile par des aides-soignantes et infirmières qui font leur travail dans un grand respect de ma mère.

Enfin, je voudrais dire aux lecteurs de France Dimanche qui comme moi vivent cette douloureuse maladie à travers un proche, qu'ils peuvent m'écrire au journal qui transmettra. Je sais à quel point on se sent seul et désarmé face à l'Alzheimer. »

Propos recueilli par Anéma Isaac

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