“Être organiste liturgique, c’est rock’n’roll !”

France Dimanche
“Être organiste liturgique, c’est rock’n’roll !”

Bertrand Ferrier est ambitieux et incisif comme un rocker. Et il passe son temps à gérer les sensibilités différentes de ceux qui viennent le voir pour qu’il accompagne défunts ou mariés, au son de son orgue.

« J’accompagne les célébrations dans les églises, temples et synagogues. Tout jeune, j’ai appris à jouer du piano, de la clarinette et de la flûte à bec. À 13 ans, je découvre qu’il n’y a plus d’organiste à l’église de Domont (Val-d’Oise) où je réside. Je me dis que je vais en profiter. L’orgue, c’est mystérieux et magnifique ! Je commence donc à prendre des cours, assiste à des messes et à des concerts. L’instrument me fascine de plus en plus.

Quelques années plus tard, j’apprends qu’une chapelle du 15e arrondissement de Paris recherche un organiste. Auditionné, je suis retenu. Alléluia ! Je vais pouvoir approcher cet instrument magique qui possède trois claviers mais aucun tuyau : c’est un orgue électronique sur lequel je vais jouer pendant de nombreux mois, surtout les week-ends car, à l’époque, je suis étudiant en Khâgne.

"À ceux qui veulent entendre du Bach, je propose des fugues. Mais je peux aussi jouer du Dalida, si le curé l’accepte."

Depuis 2002, j’ai été organiste conférencier au musée national de la Renaissance à Écouen, adjoint à la collégiale Saint-Martin de Montmorency, titulaire à l’église Saint-André-de-l’Europe... Je donne des concerts, et surtout j’accompagne les cérémonies de mariage, d’enterrement, de naissance. À ceux qui veulent entendre du Bach, je propose des fugues. Mais je peux aussi jouer du Dalida, si le curé l’accepte. Comme j’apprécie aussi la pop, cela ne me dérange pas. Après tout, c’est plus simple à jouer qu’une sonate en trio de Bach !

"Un jour, une famille m’a demandé de jouer Highway to Hell, célèbre tube d’AC/DC, à la sortie d’un enterrement."

Un jour, une famille m’a demandé de jouer Highway to Hell, célèbre tube d’AC/DC, à la sortie d’un enterrement. Là, j’ai dit non ! Mon métier c’est aussi de faire évoluer la demande tout en souplesse, en accord avec les intéressés. Finalement, on a opté pour Jésus que ma joie demeure de Bach. Plus classe. L’assistance était comblée.

Une autre fois, une famille m’a proposé de jouer Siffler en travaillant – l’air de Blanche-Neige dans le film de Walt Disney –, pour l’enterrement d’une femme qui avait l’habitude de le chanter. Je l’ai plutôt orientée vers Nabucco (le chœur des esclaves) de Verdi. Plus décent pour une cérémonie à l’église ! Car de nombreuses personnes pas très croyantes veulent tout de même passer par la case “église" le jour de leur mariage ou pour enterrer leurs proches... Cela fait vingt-cinq ans que je joue de l’orgue, et je veux que ces gens vivent, au son
de cet instrument unique, des moments inoubliables et sacrés.

Comme je l’explique dans mon livre [L’homme qui jouait de l’orgue, éditions Max Milo, 18 €, ndlr], je dois souvent lutter contre un ennemi de taille : le CD, par lequel les familles souhaitent me remplacer. Comment les convaincre qu’il est beaucoup plus intéressant d’avoir un musicien en chair et en os qui, pour la modique somme de 50 € en moyenne, va leur interpréter un répertoire sur mesure ?

Mais je ne suis pas là juste pour encaisser mon petit chèque à la fin. Je veux aussi offrir du “beau", du “solennel". Donner une autre dimension à une cérémonie religieuse ! Un mariage célébré avec, en fond sonore à l’entrée de l’église, La marche nuptiale de Richard Wagner, c’est tout de même mieux que du Didier Barbelivien ou du Laura Pausini... Que l’on croie en Dieu ou non ! »
 

Alicia Comet

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