"Hitler ne m’a pas eue !"

France Dimanche
"Hitler ne m’a pas eue !"

« Mes parents, des juifs polonais, sont arrivés à Paris en 1933. Je suis née deux ans plus tard à Belleville, un quartier très populaire dont j’ai appris à connaître chaque recoin... Lorsque la guerre éclate, mon père rejoint le maquis et je me retrouve seule avec ma mère. En 1941, la police, appelée par notre gardienne, fait irruption dans notre immeuble. Par une chance incroyable, ma mère et moi arrivons à nous cacher et nous échappons à la rafle.

Elle décide alors de fuir et nous arrivons finalement à la Guerche-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). Maman y est embauchée comme femme de ménage tandis que je suis expédiée dans une ferme où je n’ai pas le droit de la voir (seulement de loin !) ni de lui parler. En plus, je suis baptisée de force, ce qui m’a traumatisée à vie !

En 1945, nous sommes rentrées toutes les deux dans notre appartement parisien qui avait été vandalisé et vidé... Quelques mois plus tard, mon père est rentré à la maison. Il avait été arrêté et torturé à Lyon et il n’a pas survécu longtemps à ce traumatisme. Nous nous sommes donc retrouvées seules, Maman et moi...

Cette période m’a vraiment construite. Ma révolte est née lorsque je suis revenue de Bretagne. A l’école, personne ne comprenait ce que j’avais vécu et les autres élèves se moquaient de moi, de mes manières... A leurs yeux, j’étais devenue une pouilleuse, ce que je trouvais profondément injuste par rapport à ce que j’avais enduré. D’ailleurs, plus tard, lorsque je travaillais, en sortant du métro ou dans mon bureau, je me surprenais à penser “Tiens, Hitler ne m’a pas eue."

Mais je n’étais pas pour autant sortie d’affaires... Après l’obtention de mon brevet, ma mère est tombée gravement malade et j’ai dû arrêter mes études pour travailler. Je me suis retrouvée à l’usine mais en parallèle, je prenais des cours du soir de statistiques. Je suis finalement parti comme statisticienne pour l’Insee en Afrique. Quelques mois plus tard, je suis rentrée en France écœurée car là-bas, on me voyait comme une légionnaire en jupes qui imposait sa façon de penser européenne. C’est à cette période que François-Henri de Virieu m’a proposé de collaborer à son émission l’Heure de Vérité dont je suis devenue co-productrice.

J’ai toujours été passionnée par les nouvelles technologies et j’ai commencé à militer pour Internet et la téléformation, mon dada, dès le début des années 90. Aujourd’hui, si je suis à la retraite, j’ai conservé mon âme de militante car j’ai pu observer les ravages du travail et de l’exploitation humaine, notamment dans les mines. J’ai aussi vu ma mère rentrer le soir tard, épuisée par ses journées de labeur. Et si j’ai réussi, c’est grâce à la confiance que ma mère a toujours placée en moi. Elle me rappelait souvent que nous étions tous riches de quelque chose. Cela m’a permis de m’en sortir sans le bac et d’obtenir la légion d’honneur que j’ai acceptée au nom de tous les immigrés de France. »

Propos recueilli par Anéma Isaac

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