Hydrocéphalie : “Le regard des autres sur ma fille m’a ravagée…”

France Dimanche
Hydrocéphalie : “Le regard des autres sur ma fille m’a ravagée…”

Lorenza, cette mère de famille qui vit à Auxerre, n’avait que 19 ans lorsqu’elle a mis au monde un bébé atteint d’hydrocéphalie. Une anomalie qu’elle n’a jamais pu accepter. Elle raconte comment le regard des autres autour d’elle l’a meurtrie.

« En 1980, j’ai eu une petite fille, Manuela, atteinte d’hydrocéphalie : le volume de sa tête était supérieur à la normale à cause d’un surplus de liquide céphalorachidien. Trépanée à trois mois, elle a fait ensuite de nombreux séjours à l’hôpital, et vécu jusqu’à l’âge de 6 ans avant d’être emportée par une septicémie généralisée. Et pourtant, je l’ai tellement aimée que je lui ai dédié l’ouvrage que j’ai écrit.

Pendant sa courte vie, ce qui m’a le plus fait souffrir, c’est le regard des autres. Par exemple, lorsque j’allais dans les magasins accompagnée de ma fille que j’installais dans le caddie, les gens me suivaient dans les rayons du supermarché : ils voulaient voir de plus près cet enfant au regard étrange, à la tête disproportionnée. À la caisse, les couples me dévisageaient. “Regarde donc, elle a l’air si bizarre et endormie, la petite !" disaient-ils. Aussitôt rentrée chez moi, je m’effondrais en larmes. Je ne pouvais plus sortir, affronter ces regards, entendre ces réflexions. J’allais m’enfermer, je restais cloîtrée avec elle.

"Trépanée à trois mois, elle a vécu jusqu’à l’âge de 6 ans avant d’être emportée par une septicémie généralisée."

Heureusement que j’avais ma sœur et mon beau-frère qui m’aidaient. Mais l’une de mes belles-sœurs racontait dans mon dos à notre belle-mère : “Mais sa fille, on dirait une mongolienne !" Et cette femme me répétait tout. Cela me faisait mal, très mal. Je ne comprenais pas ce comportement si hypocrite.

Bien entendu aucune nourrice ne voulait la garder. D’autant que Manuela avait parfois des crises inattendues. Elle était effrayante. Un jour, j’étais allée boire un verre avec mon amie Mia à la terrasse d’un café lorsque le serveur est arrivé et nous a lancé : “Elle est à qui, la petite ?". J’étais clouée sur place. Je n’ai pas pu répondre. Je n’avais qu’une vingtaine d’années. C’est Mia qui est montée au créneau, elle lui a rétorqué avec assurance : “Elle est à moi ! Il y a un problème ?"

Je ne pouvais plus sortir dans les magasins. Même me rendre à l’hôpital me posait problème. À l’entrée des urgences, mes jambes se mettaient à trembler. J’avais l’impression qu’elles ne me portaient plus, que j’allais tomber dans les pommes. J’avais les doigts engourdis, des fourmis dans les jambes. Je déglutissais avec peine. Je faisais de fréquentes crises d’angoisse et ne supportais plus la foule. Avant de sortir de chez moi, il fallait que je me prépare pendant des heures. Je me disais que j’allais y arriver, que je réussirai à affronter le monde extérieur.

"Il me reste encore en mémoire les regards assassins qui m’ont rendue malade."

À la maison, ça n’était pas mieux. Mon compagnon de l’époque, même s’il aimait Manuela, était toujours sorti avec ses copains. Le soir, j’avais tellement l’impression d’étouffer que je me mettais un bâton de Vaporub sous le nez [médicament qui décongestionne, ndlr]. Je retrouvais alors la force de respirer puis de m’assoupir.

Il faut dire que j’étais jeune et un peu naïve. Et je ne pouvais pas compter sur le soutien de mes parents. Ma mère est morte lorsque j’avais 4 ans et mon père m’avait chassée du domicile familial. J’étais seule.

Puis, j’ai vu un psy, qui m’a conseillé d’avoir un second enfant. Érika est née vingt-et-un mois après. Elle m’a ressuscitée. Dorénavant, on pouvait regarder le beau bébé dans sa poussette... Je suis aujourd’hui maman de quatre enfants radieux. Pas avec le même père.

J’ai écrit un livre (aime comme Manuela, éditions de Saint-Amans), pour exprimer toute la souffrance que j’ai -emmagasinée. Cela m’a fait un bien fou. J’ai tout craché, tout vomi : ces années d’angoisse et de cauchemar à me débattre seule avec un enfant pas comme les autres. Mais il me reste encore en mémoire les regards assassins qui m’ont rendue malade.

Aujourd’hui encore, lorsque je vois un enfant handicapé dans la rue, je détourne les yeux. Par respect pour sa mère. Elle n’a pas besoin de ça. Ni de pitié d’ailleurs. Elle a juste besoin qu’on la laisse tranquille... »

Alicia Comet

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