« Imaginez Hiroshima en short et en tee-shirt... »

France Dimanche
« Imaginez Hiroshima en short et en tee-shirt... »

Cet ancien militaire a assisté aux premiers essais nucléaires français. Il en paie aujourd'hui les conséquences, affrontant son troisième cancer.

"Le 24 août 1968, j'étais en poste derrière mon radar sur le porte-avions Clemenceau lorsque la première bombe H française a explosé à 600 mètres d'altitude, au-dessus de l'atoll de Fangataufa. Sa puissance était 150 fois supérieure à celle d'Hiroshima. Une demi-heure après, nous étions à 90 km de là, en short et tee-shirt, à quelques dizaines de kilomètres du nuage.

À l'époque, nous ne nous posions aucune question sur les risques encourus car nous faisions confiance à l'état major et aux scientifiques qui ne nous ont jamais fourni la moindre information. En parler, c'était trahir la patrie. Nous étions nus face à la hiérarchie étoilée toute puissante. Hélas, aujourd'hui que nous sommes malades et retraités, nous sommes toujours aussi impuissants..

J'ai 66 ans et développe mon troisième cancer des os. J'avais 56 ans lorsque la maladie s'est déclarée, et j'ai tout de suite compris qu'il y avait un lien entre mon lymphome et les cinq essais nucléaires auxquels j'avais assisté. Un soir, j'avais entendu à la télé le témoignage de l'amiral Sanguinetti, qui avait commandé le Clémenceau. C'est le seul gradé qui a eu le courage de dire que ces essais avaient été dangereux pour la santé.

Au total, entre 1960 et 1996, 210 expériences nucléaires ont été réalisées par les Français, en Polynésie et au Sahara... À titre d'exemple, entre 1966 et 1974, on a fait sauter 45 bombes atmosphériques au-dessus de la Polynésie, à Mururoa, sans aucune protection. En 2003, j'ai donc créé l'Anvven (Association nationale des vétérans victimes des essais nucléaires) pour soutenir des collègues qui, comme moi, étaient frappés par des cancers ou des leucémies après avoir participé à des essais nucléaires atmosphériques.

Lorsque l'association est née, nous n'étions que trois adhérents, aujourd'hui nous sommes plusieurs centaines à nous battre pour obtenir des indemnités. Nous sommes âgés, fatigués. Les veuves sont sans le sou, certaines ont perdu leur époux à 40 ans, et sont depuis sans ressources puisqu'elles ne travaillaient pas à cause des mutations fréquentes. Le cancer, c'est pire que le parcours du combattant. Les autorités ont reconnu mon invalidité à 100  %, mais elles m'ont dit qu'elle n'était pas imputable à mon service militaire.

Voilà 10 ans que je suis en soins, que j'ai subi des chimiothérapies, des greffes de moelle osseuse et désormais, je n'ai plus de système immunitaire et traîne ma misère. Voilà pourquoi nous demandons que les pouvoirs publics reconnaissent notre souffrance et, surtout, son lien avec les essais nucléaires. Une loi a bien été votée, mais c'est une coquille vide.

Tous les gouvernements nous ont mené en bateau et jouent la montre en spéculant sur notre mort programmée. Pas moins de 112 décisions de justice ont été prises pour la Polynésie. Elles ont toutes été négatives et, au total, 500 demandes ont été déposées auprès du comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires. Aucune victime ou ayant droit n'a encore été indemnisée..."

Propos recueilli par Marie Godfrain

En vidéo