“J’ai failli laisser ma peau dans une résidence senior”

France Dimanche
“J’ai failli laisser ma peau  dans une résidence senior”

En y emménageant, elle pensait qu’elle aurait la belle vie. Mais cette retraitée a découvert un mouroir doré hors de prix, comparé aux faibles prestations assurées.

« À mon entrée dans cette résidence de services pour seniors, je dansais encore le madison. Mais à la sortie, quatre ans plus tard, semi-impotente, je me déplace difficilement, condamnée au déambulateur. Quand on sait que l’espérance de vie d’une femme en maison de retraite est de trois ans, je peux dire que j’ai bien résisté. En mai 2007, après quinze ans d’une retraite heureuse et active à Biarritz, j’avais décidé de me rapprocher de ma fille, qui habite à Brest. J’ai vendu mon appartement pour en acheter deux dans cette résidence, qui m’avait fait une très bonne impression. Je pensais que cette nouvelle vie serait pleine d’animation. J’ai vite déchanté.

Pour commencer, personne n’était là à mon arrivée pour m’accueillir. Quant à la moyenne d’âge, elle frôlait les 90 ans, et les personnes que je croisais semblaient toutes plus ou moins atteintes par la maladie d’Alzheimer. Seul un petit noyau de quelques mamies semblait encore capable de discuter. Elles n’avaient pas de salon à vivre et se retrouvaient donc dans le hall, assises dans les fauteuils d’attente devant l’hôtesse d’accueil qui s’empressait de les faire taire lorsqu’elles parlaient trop fort. Je me suis vite rendu compte qu’à part un cours de tricot regroupant trois personnes et un cours de gym rudimentaire, il n’y avait pas d’activités. J’avais le choix entre l’allée muette et mon appartement. Bien loin du petit paradis que j’imaginais !

Scandale

Du côté des frais, j’ai eu plus d’une surprise. Au bout d’un mois, en plus de mes charges, l’association des usagers me réclama une cotisation services mensuelle de 481,10 euros pour des prestations inexistantes. Mes demandes d’explication ont fini par agacer la directrice et la comptable, qui m’a montré un document que j’avais signé et qui stipulait que “l’association des usagers [proposait] des activités diverses, intéressant les personnes du troisième âge". Un document qui, selon eux, avait valeur de contrat. Un scandale !

Puis, dans le détail des charges, je m’aperçus que chaque mois, je payais 250 euros pour la SCI Koda. Je mis longtemps à découvrir que cette SCI, créée et toujours gérée par les anciens promoteurs, louait les parties communes (couloirs, restaurant...) aux résidents. Autrement dit, ils nous avaient inventé un “droit de péage" pour nous plumer ! Dans cette résidence, j’ai compris pourquoi l’ancien renonce à sa conscience et pourquoi le taux de suicide est élevé. Il veut s’épargner le désespoir de constater qu’il est traité comme un objet que l’on bouscule, méprise, contredit et trimballe de droite à gauche...

Mafia

J’ai assisté à la déchéance de nombreuses personnes. L’une d’entre elles, par exemple, a vu son gentil petit chien disparaître alors qu’elle était à l’hôpital. Il avait été donné à une famille volontaire... Rien n’était fait pour égayer le quotidien, jusqu’au loto où nous étions obligés de participer sous peine d’être privés de goûter (compris dans les charges !). Le droit au respect de la vie privée n’était pas observé non plus. La directrice possédait un pass et entrait comme bon lui semblait dans nos appartements.

Je ne m’attarderai pas sur le médecin, recommandé par cette geôlière. Il “assagissait" les insoumis. D’ailleurs, j’accuse les laboratoires pharmaceutiques de créer une race de vieilles poules (les seniors) droguées, bourrées de somnifères et de neuroleptiques pour les précipiter plus vite dans les bras d’Alzheimer. J’ai longtemps hésité entre dénoncer et aider à redresser la situation. J’ai infiltré le conseil d’administration ainsi que le conseil syndical. J’ai mis à jour toutes leurs magouilles et compris que, derrière ce système, il y avait une mafia intéressée uniquement par l’argent. Des individus sans scrupule, qui se fichaient de savoir que certains pensionnaires vivaient dans le noir, parce qu’il n’y avait personne pour leur changer une ampoule alors qu’ils payaient 481 euros de cotisations services !

Quand j’ai compris que tout cela était une énorme escroquerie, j’ai crié au secours. Mais même les associations de maltraitance pour les seniors (Alma) n’avaient rien d’autre à m’offrir qu’une oreille attentive. Contrairement aux Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr] qui sont publics, les résidences privées, non médicalisées et non conventionnées, comme la mienne, ne sont assujetties à aucune loi. En France, il y a un vide juridique abyssal (contrairement aux pays voisins) qui permet tous les abus en toute impunité. Et la pénurie d’établissements pour les seniors joue en notre défaveur.

Heureusement pour moi, ma fille et deux femmes militantes et professionnelles venant d’agences de consommateurs m’ont aidée. Mais ce fut long et épuisant. J’y ai laissé une partie de mon argent, ma santé et j’ai dû passer quatre mois alitée. Aujourd’hui, je suis donc semi-impotente, j’ai des douleurs chroniques et ne sors quasiment plus, mais je suis chez moi. Contrairement à d’autres, j’ai survécu. Je ne me sens pas la force, à mon âge, d’attaquer tous ces gens en justice, mais j’aimerais que chacun prenne conscience de ce qui se passe dans ces résidences et que les autorités s’en mêlent sérieusement.

Je viens d’apprendre que le député Bernard Gérard a déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour réglementer les services dans ces endroits. De leur côté, les copropriétaires en difficulté commencent à se regrouper*. Enfin des initiatives qui vont dans le bon sens et qui peuvent contribuer à faire cesser ces abus ! Car je suis certaine que la résidence que j’ai quittée sans parvenir à la changer est loin d’être un cas à part. »

"Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré", de Christie Ravenne, éd. Fayard : 17,50 €.

* Association de défense des droits des copropriétaires des résidences services ancienne génération : Bruno.audon@hotmail.fr

Propos recueilli par Julie Boucher

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