"Je collectionne les menus de l'Elysée"

France Dimanche
"Je collectionne les menus de l'Elysée"

Asseyez-vous aux côtés des grands de ce monde grâce à Jean-Maurice qui nous accorde une petite place à la table du palais présidentiel. Vous reprendrez bien, comme la Reine Elizabeth II que ce plat l’avait laissée dubitative, des hérissons périgourdins au nid...

"J'ai trouvé mon premier menu dans une brocante. Il datait de 1905 et avait été réalisé pour une réception donnée à l'Elysée par le Président Emile Loubet en l'honneur du Roi d'Espagne Alphonse XIII. Entièrement décoré, il mentionnait une quinzaine de plats. En rentrant chez moi, j'ai commencé à faire des recherches et j'ai réalisé que ces morceaux de papier pouvaient nous en apprendre beaucoup sur leur époque. Je me suis alors mis à chercher de nouvelles pièces anciennes ou récentes.

Actuellement, les menus sont pour la plupart ornés des armes de la République, sauf pour les dîners de gala. Mais, ils ont aussi été de véritables œuvres d'art, parfois réalisés par des artistes de renom, certains exécutés sur de la soie ! Au fil du temps, le menu est devenu un objet de communication qui montrait des tableaux ou des monuments célèbres, rendait hommage à l'homme d'Etat invité, ou célébrait un événement.

Menu en l'honneur d'Emile Loubet, à Sétif, le 25 avril 1903

Menu du 14 juillet 1910 donné à l'hippodrome de Longchamp

A chaque nouvelle acquisition, j'essaie de reconstituer le contexte historique du repas, mais aussi les anecdotes qui y sont liées. Je me renseigne, en lisant les journaux d'époque, des biographies, les récits des proches collaborateurs qui ont écrit sur les présidents... J'ai appris, par exemple, que lors de son premier voyage officiel en France, en 1957, la Reine Elizabeth II a pris peur lorsqu'elle a lu qu'elle s'apprêtait à déguster des “hérissons périgourdins au nid“. Elle a demandé à l'intendance de se renseigner avant que le plat arrive, et a été rassurée d'apprendre que le “hérisson“ était une boule de foie gras piquée avec des truffes, et le nid, une brioche lardée avec de fines lamelles d'amandes !

Menu du 5 janvier 1978 avec la "colombe" de Chagall en l'honneur du président américain

En règle générale, le chef des cuisines propose plusieurs entrées, plats et desserts au Président qui fait son choix sauf pour le repas d'investiture, choisi par le chef lui-même. Mais j'ai découvert qu'en 1963, alors qu'il recevait le Grand Duc et la Grande Duchesse du Luxembourg, le Général De Gaulle s'est rendu compte, en même temps que ses invités, que des “Fonds d'artichauts Clamart“ allaient être servis. Or, il avait interdit que le mot “Clamart“ apparaisse sur un menu depuis la tentative d'assassinat dont il avait été victime dans cette même ville.

Je suis très touché par les menus qui renvoient à une symbolique forte comme ce simple petit carton réalisé en l'honneur du violoncelliste Rostropovitch. Il me tient à cœur car il renvoie à cette période de l'histoire où l'Allemagne était séparée en deux, et à cette image de grand musicien jouant au pied du mur de Berlin. Mais je trouve tout aussi intéressant les dîners privés et familiaux comme ce petit repas de Noël à l'Elysée, tout simple avec du chapon et une bûche, de décembre 1956, sous René Coty.

Jacquette du livre de J.-M. Sacré, éditions Ouest-France

J'ai déjà exposé une partie de ma collection au musée Jacques Chirac à Sarran, en Corrèze, au musée Maxim's, à Paris, et même au palais de l'Elysée, lors des journées du Patrimoine. Il y a quelques mois, un ami, François Bertin, m'a proposé de co-écrire un livre dans lequel pourrait figurer une partie de ma collection. La gastronomie française étant entrée cette année au patrimoine immatériel de l'Unesco, j'ai accepté de réaliser le premier livre consacré aux menus et aux repas de la Présidence*.

J'ai sélectionné des menus qui parlent à tous, qui font rêver, aussi bien pour la qualité des plats présentés que pour leur iconographie. Je suis heureux que ces pièces d'histoire sortent de l'ombre..."

* "Invitation à l'Elysée, 150 ans de tables présidentielles" de Jean-Maurice Sacré et François Bertin, aux éditions Ouest-France.

Propos recueilli par Julie Boucher

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