“Je sors Madagascar de la nuit !”

France Dimanche
“Je sors Madagascar de la nuit !”

Éclairer tous les villages de la Grande île de Madagascar, tel est le défi fou que s’est lancé cette jeune femme d’origine malgache. Grâce à elle, petit à petit, les cases s’illuminent et la misère recule.

Josielle, Paris

« Tout commence par mon licenciement en 1995. Je me jure alors de réaliser un rêve : participer à la renaissance de Madagascar, mon pays d’origine. En mai 1996, je crée Jacaranda, une agence de voyages spécialisée sur cette destination. La première année, j’ai eu 100 clients. Le début d’une longue histoire. Rapidement, ma sœur Sylviane et mon frère Joël viennent m’épauler. Elle s’occupe de tout ce qui est financier, lui de l’organisation sur place. En 2001, nous créons un hôtel, d’abord en toile, puis en dur. Le seul sur l’île à être géré et tenu par des Malgaches d’ethnies différentes... et qui s’entendent !

Mais il nous fallait aller plus loin. En 2005, tandis que je sillonne ma grande île depuis dix ans, je réalise que la plupart de ses habitants s’éclairent encore à la bougie ! Je décide alors de créer une nouvelle structure, associative cette fois : Les jardins de lumière. Un projet solidaire et responsable qui a pour but de développer l’éclairage dans les coins les plus reculés de l’île grâce à l’installation de panneaux solaires. Notre objectif : une lampe par case, un lampadaire par village. Il faut savoir que Mada, comme on la surnomme, c’est 22 millions d’habitants dont près de 3 millions à Tananarive, la capitale. Or, en 2005, la couverture en électricité (privé et public confondus) était estimée à 400 000 abonnés seulement !

Victoire

Au-delà du manque de confort, l’éclairage précaire des Malgaches n’est pas sans risques. L’utilisation des bougies et des lampes à pétrole génère en effet des problèmes oculaires et pulmonaires. Et comme il fait nuit tôt là-bas, tout s’arrête à 17 h dans les champs, les ateliers, les villages... et dans les cases. Lorsqu’une femme accouche la nuit, il faut espérer que cela se passe bien !

En 2011, après six ans d’études de dossier, d’attente d’accord des municipalités, des chefs locaux et de recherche de financement, la lumière jaillit dans 81 villages. Nous équipons près de 3 500 cases et illuminons 4 570 habitants. Deux ans après, en mai 2013, 61 autres villages bénéficient de l’éclairage : une immense victoire !

Comment ça marche ? Chaque case reçoit une lampe et un panneau photovoltaïque. Ce n’est pas gratuit, comme me l’ont conseillé les sages des villages : une lampe par case, c’est 0,30 euro par mois pendant un an (cela couvre largement les dépenses de pétrole et bougies), et les lampes ne doivent pas être revendues durant cette période (les Malgaches manquant de tout, cela pouvait être tentant). L’argent récolté sert à racheter des lampes à ceux qui ne sont pas encore équipés.

Un membre de l'association explique comment on peut faire de la lumière avec une lampe et un panneau solaire

Enfin, mon rêve prend vie. Mes jardins fleurissent. Pour preuve, ces deux anecdotes : en mai dernier, une jeune femme s’est jetée sur un chef de village pour l’insulter car elle n’avait pas reçu de lampe. Persuadée que cette histoire n’était que du vent, elle n’avait pas souscrit ! Quelques jours plus tard, lors d’une visite de contrôle, quelle n’a pas été notre surprise de voir que le bidouillage avait repris ses droits. Avec une lampe, le propriétaire avait fait deux éclairages dans sa case, un fixe et un mobile !

Il reste encore tant à faire ! Je voudrais que tous les villages malgaches aient la lumière, non seulement dans les cases mais aussi devant, là où les gens se réunissent pour parler. Je veux réellement créer des jardins de lumière. Les élèves de l’école des Mines de Douai m’ont récemment fait une belle surprise. Ces futurs ingénieurs se sont appuyés sur l’association pour bâtir leur projet de fin d’année, baptisé LuMines’Naissance. Ils ont développé un prototype de panneau solaire qui peut charger plusieurs lampes dans le but d’améliorer leur autonomie.

“Que les hommes ne vous soient pas indifférents, car c’est la richesse", dit un proverbe malgache. Chaque jour m’en apporte la preuve. »

Pour en savoir plus : www.jardins-de-lumiere.org

Propos recueilli par Véronique Robin

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