"Je suis complètement timbré"

France Dimanche
"Je suis complètement timbré"

« J'ai débuté ma collection de timbres à l'âge de 8 ans, grâce à une cousine qui travaillait chez Vilmorin, où elle recevait du courrier de l'étranger. Elle conservait pour moi toutes ces enveloppes. Ensuite, à l'adolescence, j'ai laissé de côté cette passion jusqu'à la naissance de mon fils. C'est à ce moment-là que je me suis replongé dans l'univers de la philatélie.

En 1986, je suis tombé sur un article dressant le portrait d'une personne, en Afrique, qui envoyait dans tous les pays du monde des lettres à des adresses erronées. Ainsi, ses lettres lui revenaient oblitérées par retour de courrier. Cette idée m'a interpellé, car je trouvais l'univers de la philatélie un peu trop vieillot et je souhaitais le découvrir autrement. Je me suis donc lancé et, depuis 1986, j'ai envoyé 8 060 lettres à des fausses adresses à travers le monde. Au total, 7 063 me sont revenues...

J'ai écrit à Sir Anthony en Indonésie, Amadou Bandoura en Guinée, Saïd Osam aux Emirats Arabes Unis... Autant de destinataires que j'ai inventés et qui sont invariablement tamponnés d'un “N'habite pas à l'adresse indiquée - Retour à l'expéditeur“. Puis, j'ai compliqué l'expérience en n'envoyant que des missives avec des cachets spéciaux, les plus recherchés des collectionneurs : flamme “premiers jours“ ou bureaux de poste temporaires.

Pour inventer les adresses, je me basais autrefois sur de vrais noms, jusqu'à ce qu'Interpol vienne frapper à ma porte. En effet, j'avais envoyé une lettre au nom d'une jeune fille au pair qui avait travaillé pas loin de chez moi... Il se trouve que celle-ci avait rejoint le groupe terroriste “Sentier Lumineux“ au Costa Rica et qu'elle était recherchée ! Depuis, je pioche et j'associe au hasard noms et adresses fictives avec un seul but : que le courrier parte et revienne fermé avec un cachet de réexpédition. Pour cela, je m'aide d'Internet, bien sûr, mais aussi de ma collection de 100 atlas...

J'expose régulièrement tous ces courriers dans des salons de philatélistes car mon but n'est pas de laisser ma collection au coffre mais, au contraire, de la sortir et de la montrer. J'ai même exposé en Allemagne !  La petite exposition de présentation que j'ai montée s'appelle “Retourland“. Pour chaque enveloppe, j'indique le drapeau et la monnaie du pays, ainsi que le temps que chaque missive a mis pour me revenir. Pour l'instant, le record vient des îles Tokelau, dans le Pacifique, au nord des Tonga : 1 537 jours !

Certains me traitent de “timbré“ et moi, ça me va bien. D'autant que j'ai travaillé vingt ans durant dans un hôpital psychiatrique de Villejuif (94) et que je le suis très littéralement puisque je me suis fait confectionner une veste avec 3 945 timbres ! »

Propos recueilli par Marie Godfrain

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